#9 - Mobility as a Service : Quelles précautions pour que «Innovation» ne rime pas avec «Aggravation» ?

Rédigé par

Laurent CHEVEREAU

Directeur d'études "Connaissance des offres et services de mobilité"

5394 Dernière modification le 10/06/2019 - 16:11
#9 - Mobility as a Service : Quelles précautions pour que «Innovation» ne rime pas avec «Aggravation» ?

Le MaaS – pour Mobility as a Service – est une promesse. La promesse de simplifier la mobilité. Finies les comparaisons de sites internet distincts et contradictoires. Finis les périlleux numéros de jonglage entre les nombreuses applications dédiées aux déplacements. Finie la complexité des grilles tarifaires, des tarifications combinées. Le concept de MaaS est bien une innovation qui tend vers cette promesse… Mais pour quels impacts ? Faut-il s’attendre à une forte hausse des comportements vertueux, avec un réel bénéfice sur l’environnement ? Ou alors faut-il craindre un usage plus fort de la voiture et une hausse des émissions de gaz à effet de serre?

 S’il n’existe pas de définition unanime du MaaS, l’acception la plus commune considère qu’il s’agit d’un système intégré proposant information, réservation, achat et validation, pour un panel de services de mobilité le plus étendu possible.

Le MaaS – ou mobilité servicielle – consiste donc à fournir à l’usager un service complet lui permettant de planifier et réaliser un déplacement sans couture qui combine plusieurs modes de transports. Cela passe par un compte unique où l’usager définit une fois pour toutes son profil, ses préférences et où il peut gérer ses achats et abonnements pour l’ensemble des modes.

L’innovation ne consiste pas en de nouvelles fonctionnalités ou de nouvelles offres, elle réside dans l’intégration. Le MaaS doit en effet amalgamer des modes de transport (et notamment les modes de transport non gérés par les collectivités) et réunir des fonctionnalités (information / réservation / achat / validation / compte utilisateur) pour proposer un outil ou une plate-forme tout-en-un.

 

La quête du MaaS

Cette intégration complète de toutes les fonctionnalités et tous les modes reste aujourd’hui un idéal, recherché mais pas encore atteint, même si plusieurs candidats  s’en rapprochent sérieusement.

C’est dans les grandes métropoles, et particulièrement en Europe du Nord, que cette mobilité servicielle est la plus avancée. Göteborg, Helsinki, Vienne et Londres sont ainsi de vrais laboratoires d’innovation.

A Helsinki, en Finlande, la start-up MaaS Global, dédiée au MaaS, a mis en service son application Whim en octobre 2016 (répliquée depuis à Anvers et Birmingham). Après plusieurs évolutions successives, elle propose aujourd’hui trois modalités :

  • un abonnement mensuel illimité à 499€ qui vise à remplacer la possession d’une voiture, et qui propose transports collectifs, vélo en libre-service, 2h par jour de location de voiture et trajets taxis jusqu’à 5km ;
  • un abonnement mensuel à 62€ donnant accès aux transports collectifs, vélos en libre-service et à des tarifs contenus pour les taxis (10€ max pour 5km) et la location de voiture (49€/jour) ;
  • Une inscription sans engagement, qui permet de payer à l’usage les tickets nécessaires à un itinéraire demandé, comprenant les transports collectifs, l’autopartage et la location de voiture.

A Londres, c’est Citymapper, startup spécialisée dans l’information voyageurs à l’échelle mondiale, qui propose son système de mobilité servicielle, avec sa propre carte sans contact. L’abonnement à 35€ donne accès aux transports collectifs (5€ moins cher que l’abonnement proposé par les TFL) et l’abonnement à 46€ propose également l’usage des vélos en libre-service Santander et 2 trajets offerts sur le service de taxi à la demande « Citymapper Ride Service ».

 

La France en croisade pour sauver le MaaS public

À la différence de la plupart des expérimentations européennes, les projets qui émergent en France sont portés par la puissance publique. 

Avec le Compte-Mobilité, l’agglomération de Mulhouse propose une application pour smartphone qui permet d’accéder à la majorité de l’offre de transport de l’agglomération : bus, tram, vélos en libre-service, voitures en libre-service, parkings. L’usager ne paie qu’en fin de mois les services effectivement empruntés, avec une seule facture et au tarif le plus avantageux. La collectivité prend en charge 100% des coûts et des risques induits par le postpaiement.

Les Transports de l’agglomération de Montpellier (TAM) proposent des forfaits multimodaux, à choisir en amont sur une agence en ligne intégrée, donnant accès également à la même palette de services de mobilités « publics », en y ajoutant le stationnement sur voirie.

Dans ces villes françaises, cet accès simplifié aux services de mobilité passe encore beaucoup par une carte sans contact (c’est le cas pour l’ensemble des services de mobilité de Montpellier, et à Mulhouse pour les parkings et pour quelques mois encore les vélos en libre-service). Mais la plupart ont des projets bien avancés pour développer l’usage d’autres supports : tickets sur mobile ou lecture de QR-codes comme à Belfort, carte bancaire en Open Payment comme à Dijon, téléphone NFC comme à Paris dès septembre 2019. À chaque territoire sa solution, en fonction de ses contraintes (infrastructures existantes, marchés en cours) et de ses objectifs de politiques publiques.

 

Projet d'écran des horodateurs de la TAM : une composante de l'écosystème MaaS

Le rôle des régions : faciliter ou réaliser un service de MaaS ?

Les régions ne sont pas en reste. Poussées par l’appel à projets de l’Ademe sur la mobilité servicielle, elles visent à unifier leurs deux services historiques phares : les systèmes d’information multimodale (les SIM) et la billettique interopérable. Ces projets de fusion sont plus avancés dans les régions dont le périmètre n’a pas été modifié en 2015 (en Bretagne par exemple). Dans les nouvelles grandes régions, la priorité est déjà de réunifier les services des anciennes régions, pour n’avoir qu’un seul SIM et une seule carte billettique interopérable. Sans aller jusqu’à la mise en place d’un vrai système MaaS, certaines régions cherchent à mutualiser les efforts en proposant des plates-formes sur lesquelles les AOM de leur territoire pourront s’appuyer pour leur projet de MaaS : référentiel de l’offre multimodale, calculateur d’itinéraire centralisé, référence des tarifs TER, ou encore génération de QR-codes standards.

Régions et AOM forment ainsi le binôme central pour les projets de MaaS, mais la gouvernance doit inclure bien d’autres acteurs.

Mais, d’où vient le MaaS et pourquoi est-il apparu ?

 

Le MaaS : une innovation permise par le numérique et les données…

Pour certains, l’élément déclencheur du MaaS, c’est le numérique. Les récents progrès technologiques ont en effet permis le développement d’outils puissants, légers et qui donnent des informations utiles en temps réel… Ces nouveaux systèmes basés sur tablettes et smartphones ont également révolutionné l’approche de la billettique et des systèmes d’exploitation. Mais il ne s’agit là que de briques du MaaS !

Le numérique a aussi permis la création de services de mobilité en tant que tels. Uber ou les services de trottinettes en libre-service viennent ainsi compléter l’offre des transports publics. Cette concurrence pousse à l’innovation, enjoignant les autorités organisatrices à optimiser ou à repenser leur offre de mobilité (offres de transport à la demande dynamique, offres de covoiturage intégrée au réseau de transport…)

Pour d’autres l’élément déclencheur est l’incitation réglementaire à l’ouverture des données. Elle n’est pas un élément nécessaire pour développer un MaaS sur un territoire, car un tel projet nécessite de toute façon une gouvernance forte avec un partenariat entre tous les opérateurs de mobilité, qui peut donc inclure des clauses de partage de données. Néanmoins, c’est bien la généralisation de l‘open data qui a fait émerger des start-ups comme Citymapper, Transit ou encore Moovit, spécialisées dans l’information voyageur, mais qui maintenant s’attaquent au marché du MaaS. Par ailleurs, le projet de loi des mobilités prévoit aujourd’hui l’obligation pour les opérateurs de mobilité de laisser un libre accès à leur interface numérique de vente de titres en ligne, comme c’est déjà le cas en Finlande. Ce sera(it) alors des fortes contraintes en moins pour développer un tel système de MaaS.

 

… Poussée par les collectivités…

« L’ouverture » doit aussi être entendue dans un sens plus large. L’ouverture à la concurrence des services de transport est source d’innovation, en vue d’une meilleure compétitivité… Et le développement de l’open source entraîne la phobie des boîtes noires des constructeurs. On voit donc apparaître de plus en plus de marchés allotis, plus contraignants pour la collectivité, mais permettant de mettre en place des innovations spécifiques sur chaque lot, le tout étant assemblé de façon modulaire et évolutive.

Pour certains encore, ce qui fait avancer des projets de MaaS, c’est la volonté politique des collectivités. Certaines cherchent à mettre en avant une image positive du territoire. Les projets de plates-formes Open Data et les projets de Smart City visent également cette image innovante et positive, mais dans un but de développement économique local. Un service de MaaS est un formidable atout en termes d’image, mais il s’agit plutôt d’attractivité du territoire pour le grand public, qu’il soit résident ou touriste.

 

… Et déclenchée par les usagers !

Finalement, toutes ces briques sont essentielles au MaaS, mais pas suffisantes. Étonnamment, celui qui a fait émerger le MaaS, c’est peut-être plutôt l’usager. Celui-ci est au cœur de toutes les attentions : celles des collectivités qui projettent de lui faire adopter un comportement plus vertueux ; et celles des investisseurs privés qui vont lui proposer de nouveaux services sources de revenus. Or, cet usager, bien que très multiforme, est de plus en plus connecté et habitué aux interfaces fluides et intégrées. Les services de gestion de banque en ligne, de réservation d’hôtels ou d’achat sur des plates-formes mondiales ont habitué l’usager à ne plus interroger une multitude de sites internet… Par ailleurs, cet usager tant convoité reste assez réfractaire au changement. Pour espérer de nouvelles habitudes de mobilité, il faut « mettre le paquet » : de simples services d’information multimodale ne suffisent pas, et il faut viser le tout-en-un proposé par le MaaS… A condition bien-sûr que l’offre de mobilité multimodale et les combinaison proposées soient performantes et concurrentieles à la voiture individuelle, que le service soit connu et compréhensible, et que les modalités d’inscription et d’accès soient les plus fluides possibles !

 

Le MaaS devra faire ses preuves

La diffusion de ces systèmes « tout-en-un » fait rentrer la brique « Information voyageur » dans le MaaS, et donc dans un domaine potentiellement rentable. Ce n’était pas le cas auparavant, car l’usager n’était pas prêt à payer pour accéder à une information sur la mobilité. Mais aujourd’hui, l’usager est prêt à payer pour un service intégré de MaaS, ce qui amène des perspectives de nouveaux modèles économiques possibles, et on peut donc s’attendre à une accélération des progrès technologiques en termes d’information sur les déplacements. Beaucoup de fonctionnalités avancées sont déjà techniquement disponibles depuis plusieurs années, mais peu répandues (itinéraire adapté à son profil et ses préférences, système de guidage multimodal, postpaiement, suivi de la consommation, usage des transports sans achat préalable de ticket, …)

Et il y a fort à parier que même avec un système très intégré, il faudra continuer à innover pour être utilisé par des usagers toujours plus exigeants. Il sera assez aisé d’aller toucher les clientèles captives – visiteurs occasionnels et touristes – à condition de proposer des offres adaptées, mais il sera plus difficile de toucher les voyageurs réguliers, surtout les conducteurs de voiture individuelle. Un marketing individualisé de l’offre de mobilité sera probablement nécessaire.

Pour être efficace, le MaaS devra donc être couplé à des mesures complémentaires pour encourager le report modal vers des transports plus durables : incitatifs financiers, voies réservées au covoiturage, transports collectifs performants. Il est encore trop tôt pour disposer de données et d’études fiables sur l’impact de tels services MaaS, mais l’évaluation de ces systèmes est clairement un enjeu important des années à venir, pour mesurer leur impact et éclairer les décideurs.


Le Maas aura-t-il forcément un effet positif ?

Il faut distinguer ici les différentes approches du MaaS. Les systèmes portés par des acteurs purement privés cherchent la rentabilité économique. Ils cherchent donc à mettre en avant les services de mobilité où leur bénéfice est le plus fort, ou cherchent l’optimum individuel des utilisateurs. On a vu ainsi des effets négatifs du MaaS aux Etats-Unis, avec une utilisation accrue des VTC comme Über, au détriment des transports publics.

Lorsqu’ils sont portés par la puissance publique, ces systèmes MaaS visent l’intérêt collectif, même si la question de leur modèle économique n’est pas oubliée. En milieu urbain, cela se traduit par la mise en avant des modes durables, dans un objectif de réduction des émissions (polluants et GES). Mais les offres de stationnement, les taxis et VTC devraient rapidement y être ajoutées, faute de quoi des systèmes purement privés risquent d’être préférés par les usagers si l’offre y est plus complète. En milieu rural, des systèmes de MaaS devraient aussi voir le jour, portés par les régions. L’ambition y sera alors plus de favoriser la mobilité pour tous, avec une approche plus sociale. Les modes de transport adaptés à cette dispersion spatiale et mis en évidence par le MaaS seront probablement basés sur des véhicules thermiques.

C’est toute la complexité à laquelle un système MaaS devra faire face : faciliter l’usage de la voiture en rabattement, faciliter l’usage des taxis et VTC quand ils sont complémentaires aux transports collectifs, sans pour autant les encourager quand ils sont concurrents aux modes plus durables. Ainsi à Montpellier, des réflexions sont en cours sur des politiques tarifaires incitatives en couplant stationnement et transport collectif.

Une mobilité pour tous et plus durable, tel est le double enjeu auquel les MaaS publics devront répondre. Partageant ces deux mêmes enjeux, le projet de loi d’orientation des mobilités cherche donc à encourager de tels systèmes. Dans l’espoir que ces services de MaaS soient plébiscités par les usagers, avec de réels changements de comportement… si possible vertueux !

 

Un article signé Laurent Chevereau, Directeur d'études "Connaissance des offres et services de mobilité" Cerema 

 

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