Les Sciences Humaines et Sociales : un allié majeur de la rénovation énergétique des bâtiments

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Cercle Promodul/INEF4 Communication

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3179 Dernière modification le 19/12/2019 - 10:13
Les Sciences Humaines et Sociales : un allié majeur de la rénovation énergétique des bâtiments

D’un côté on parle de marché de la rénovation énergétique et d’objectifs annuels de 500 000 rénovations performantes chaque année et de l’autre on parle d’un marché atone, de rénovation minimale loin des objectifs nationaux BBC et SNBC. On est aujourd’hui très loin du modèle initial sur lequel se construisait une offre globale en vantant des retours sur investissements et des économies d’énergie.

Or, on le sait, le marché de la rénovation énergétique aujourd’hui ne décolle pas. On constate donc un décalage entre l’intention d’agir et le passage à l’acte car l’approche énergétique et écologique des travaux de rénovation ne fonctionne pas et n’est pas encore apte à changer les comportements.

En rénovation, doit-on choisir entre confort et efficacité énergétique ?

Cette question est importante car le comportement humain, dans toutes ses dimensions, est bien sûr au cœur de cette problématique.

Si le modèle du marché de la rénovation énergétique n’a pas fonctionné, parce que pensé loin des considérations des usagers, peut-on prendre le même risque en définissant pour l’occupant ce que doit être son confort en pensant qu’il sera un « booster » du marché ?

Aujourd’hui, la notion de confort est généralement rattachée, voir réduite, aux aspects techniques qui la compose : luminosité, réglage de la température, niveau de bruit etc.

Lorsque que l’on pose la question « pourquoi rénove-t-on ? » les Européens répondent « pour améliorer le bien-être » (à 80%) [1].

Le confort, la santé et le bien-être général sont donc des critères importants de passage à l’acte.

Pourtant, au-delà de ces dimensions déjà largement définies et analysées, il convient également d’appréhender la dynamique de confort sous un nouveau prisme : celui des sciences humaines et sociales [2].

Une approche « socio-technique » du confort sera-t-elle un enjeu clé du marché de la rénovation énergétique et plus largement des transitions énergétique et environnementale ?

La compréhension, en amont, de la sphère sociale et de nos comportements favoriserait un jugement plus approprié sur notre habitat : bâtiments, aménagements, usages des matériaux et solutions.

La caractérisation scientifique et sociologique du confort dans l’habitat est donc nécessaire afin de mieux percevoir et traduire les attentes des usagers.

C’est la raison pour laquelle nous avons consulté trois sociologues spécialistes de la question du confort dans le bâtiment :

Découvrez ci-après l’étude qui rassemble leurs contributions et échanges sur le sujet.

Il s’agit d’une préoccupation importante que nous portons dans les travaux d’un de nos Comités dédié aux thèmes « confort, santé, bien être de l’usager dans le bâtiment ».

Nous sommes convaincus que l’apport des sciences sociales est primordial pour comprendre l’usager, le remettre au cœur des problématiques pour enfin arriver à massifier la rénovation énergétique. Car, seul décideur, il occupe une position centrale et devra être accompagné par l’ensemble de l’écosystème (acteurs, outils innovants) pour gagner la confiance, faciliter la compréhension et le passage à l’acte.

Une notion complexe et évolutive

La diversité même des sciences humaines et sociales, regroupant plusieurs disciplines comme la sociologie, l’économie, la psychologie ou encore l’anthropologie, renvoie à la complexité des déterminants du comportement des individus. Elles abordent donc la notion du confort comme complexe.

Pourquoi ? Car aujourd’hui le confort dépend de la perception même des usagers, qui l’appréhenderont différemment en fonction de leurs besoins individuels, mais aussi et surtout, selon différentes données, telles que l’âge, le genre, la culture d’appartenance, la catégorie sociale etc.

Si d’un point de vue historique, la notion de confort fut initialement liée à la sécurité / la mise à l’abri, elle est aujourd’hui beaucoup plus complexe et nécessairement évolutive.

Et contrairement à des aspects techniques qui seront mesurables, ces autres paramètres sont totalement subjectifs et incluent à la fois des abords sensoriels propres à chacun, mais également des déterminants de comportements corrélés aux contraintes / aides collectives (réalité économiques, sociales et matérielles de la société).

La complexité du confort renvoie aussi au fait que bien que mesurables, les dimensions physiologiques du confort (confort thermique, acoustique, visuel, olfactif, accessibilité, environnement etc.) sont plus ou moins universelles et sont rarement estimées indépendamment les unes des autres. Leur modélisation permet une maîtrise de l’environnement par l’usager, car ce dernier a un besoin de contrôle sur son confort.

La perception du confort est également évolutive notamment à cause des normes sociales partagées au sein de la société. Les prouesses technologiques et études sur nos habitats ont permis de relever encore et toujours les standards en matière de sécurité, d’hygiène et de commodité. Cette évolution et ces nouvelles exigences vont alors se retrouver dans les perceptions propres des usagers.

Mais c’est surtout bien évidemment d’un point de vue réglementaire que cette évolution sera la plus significative, et l’arrivée de la RE2020 devrait encore, au-delà des enjeux environnementaux d’économie d’énergie et de compensation des émissions carbones, faire évoluer les standards en la matière.

Puisqu’il s’agira de massifier, faire mieux en termes de conception, construction et exploitation des bâtiments, mais sans dégrader la qualité de vie.

Pour plus de détails sur le sujet, consultez notre article « RT 2012 à RE2020 : la transition se prépare».

« Le confort induit un équilibre entre les besoins individuels et collectifs, qui renvoient à la fois à des sensations, à des valeurs et à des solutions technologiques pour les satisfaire » – Christophe Beslay

« Une définition opérante du confort est nécessairement complexe en ce qu’elle articule des éléments quantifiables, universels et physiologiques avec d’autres plus qualitatifs, subjectifs et sensoriels » – Thibault Danteur

« La notion de confort a évolué au cours de l’histoire et les catégories d’usagers se sont diversifiés. Je distingue volontiers le confort hédonique (abri, santé et sécurité) le confort qui conforme (des équipements pour respecter les normes d’habitat) et le confort qui conforte (qui permet de s’affranchir de contraintes et donne une image de soi). Les usagers ont besoin de relier ces trois dimensions ce qui n’est pas aisé dans les conditions actuelles de vie dans les villes (éloignement, cherté, etc.). » – Yankel Fijalkow

Les usagers et la technique : deux indicateurs de définition du confort

Au-delà des dimensions purement techniques et matérielles, les sciences sociales vont, quant à elles, inclure l’usager dans leur définition. Car la prise en compte des particularités individuelles des habitants, de leurs styles de vie et usages, est essentielle.

Nous l’avons dit, le confort est une notion dynamique, qui se définie entre autres au regard des pratiques des usagers : ces derniers vont chercher à atteindre le niveau de confort auquel ils aspirent.

Le confort se définit, de manière stricto sensu, comme « l’ensemble des commodités matérielles qui procurent le bien-être » [3].

Cela peut amener à développer des stratégies de contournement s’ils n’ont pas une emprise directe sur la gestion de leur climat intérieur quitte à créer des situations pouvant affectant leur santé et l’environnement (occultation des grilles de ventilation et d’amenées d’air neuf de la VMC, chauffage,  ventilateurs, voire climatisation d’appoints et utilisation de combustibles dans des conditions non conformes…).

L’usager devient donc pleinement un indicateur du confort : il n’est jamais passif, et va avant tout tenir compte de ses habitudes, même si cela implique de contrecarrer la technique (rajouter un chauffage d’appoint si la température de l’habitat n’est pas celle espérée, par exemple ou déconnecter des capteurs et systèmes de pilotage parce que déclenchant des actions à contresens de leur attentes).

Pourtant, l’usager a également un fort désir de ne s’occuper de rien, de laisser les équipements gérer le confort intérieur. C’est là que la technique rentre en jeu. Elle devient alors un indicateur parallèle, et apparaît comme une solution pratique permettant une amélioration du bien-être.

Un des points soulevés par les sciences sociales est significatif : il faut étudier les discours et les pratiques des usagers dans le but d’adapter la technique aux besoins et attentes. Car c’est l’étude de ces pratiques qui concédera un accompagnement et une transmission de l’information aux usagers, et permettra singulièrement de contrecarrer certaines mauvaises habitudes. En effet, l’apparition de mauvaises habitudes est révélatrice de certains dysfonctionnements : un chauffage d’appoint installé peut mettre en exergue une mauvaise isolation du bâti ou encore un système de chauffage vieillissant et non conforme.

L’étude d’un comportement sociologique peut donc nous permettre d’opérer des changements au niveau de la technique, et de tendre encore davantage vers des solutions appropriées, tout en s’inscrivant dans une logique durable.

« Les pratiques d’usage de l’énergie n’ont qu’un impact réduit sur les consommations d’énergie domestique. Le poids des styles de vie, qui relèvent des identités sociales, et les éléments structurels du cadre de vie (les systèmes techniques, les cultures…) sont les plus déterminants des consommations d’énergie » – Christophe Beslay

« L’étude des pratiques et des usages du quotidien [par les industriels permet d’intégrer] l’impact des modes de vie ou des représentations sur la performance des solutions. Qu’il s’agisse de mieux connaître les artisans et les problèmes auxquels ils s’affrontent ou d’anticiper des comportements tels que les « effets rebonds » dans l’occupation résidentielle, l’étude et la connaissance des contraintes provenant de la subjectivité des individus, de leur trajectoire de vie, de leurs expériences passées renforcent notre capacité à répondre à ces impératifs de durabilité et de responsabilité » – Thibault Danteur

« Il faudrait développer une vraie pédagogie en partant de ce que les gens connaissent, de ce qu’ils ont entendu par le passé et qui peut paraître contradictoire avec le message actuel » – Yankel Fijalkow

Changer les comportements pour tendre vers un modèle de confort plus durable

Et si, assurer un bon niveau de confort  et limiter notre empreinte environnementale passait par les sciences sociales et humaines ?

Ces sciences permettent d’anticiper les difficultés, de mieux cerner les individus et leurs actions pour agir sur différents leviers, tant individuels que collectifs permettant de faire évoluer les pratiques des individus vers plus de durabilité. Elles proposent une multitude d’outils d’intervention sur le comportement mais devant être combinés à d’autres actions. Car il n’existe pas de leviers dits universels, or, un changement d’habitude est toutefois nécessaire, puisque notre parc immobilier vieilli et implique une transition indispensable vers un modèle sociétal et économique plus durable.

La mise en place d’une stratégie de conseil auprès des usagers est essentielle pour agir, à la fois sur la valeur sociale du confort, et sur les équipements techniques qui y sont relatifs. Car vouloir améliorer le confort, et par voie de conséquences l’efficacité énergétique et réduire l’empreinte carbone de son logement est une bonne chose, mais qui a un coût (équipements performants plus onéreux, travaux de rénovation de qualité avec des matériaux de équipements de qualité etc.) qui doit être anticipé. De plus, le pilotage et la gestion de ces équipements faisant de plus en plus appel aux technologies du numérique nécessitent une mise à niveaux des acteurs et une sensibilisation des usagers qui en seront les premiers utilisateurs.

« Les dispositifs incitatifs et réglementaires ne peuvent avoir d’impacts significatifs qu’à la condition d’être en cohérence avec les systèmes de valeur et les intérêts des ménages. Or, ceux-ci sont soumis à des injonctions contradictoires : économiser et consommer, maîtriser ses consommations mais ne s’occuper de rien, gérer ses équipements sans en avoir ni les compétences ni les modes d’emploi… Pour « changer les comportements », il faut donc agir tout à la fois : sur les valeurs et les images sociales véhiculées par la publicité et les médias, sur les équipements techniques pour en accroître l’efficience et sur les travaux de rénovation énergétique. » – Christophe Beslay

« Nous prenons ainsi notre part, en tant qu’industriels, des efforts nécessaires pour réaliser la transition vers des modes de construction et des modes de vies plus vertueux sans que cela soit au prix d’une dégradation de la qualité de vie. L’étude des comportements et des éléments socio-culturels qui les contraignent est, à ce titre, un moyen qui participe de soutenir les actions mises en place au quotidien par les individus pour atteindre ces objectifs. » – Thibault Danteur

« L‘accompagnement et l’information sont essentiels. Mais il ne faut pas considérer que les usagers ne savent rien : bien au contraire ils ont des connaissances transmises par leur milieu et ils s’informent notamment sur internet. Il faudrait développer une vraie pédagogie en partant de ce que les gens connaissent, de ce qu’ils ont entendu dans le passé et qui peut paraître contradictoire avec le message actuel. Un vrai enseignement qui tiendrait compte de la particularité de chaque habitant et de chaque habitat, avec des relais de conseils adaptés : ce serait une révolution ! »Yankel Fijalkow

Sciences humaines et sociales sont utiles pour identifier des leviers d’action et favoriser l’évolution des comportements. Pour autant, choisir les outils qui en découlent nécessite de connaitre la pertinence propre à chacun.

Ainsi, en dépit des divers freins rencontrés actuellement, ces sciences peuvent amener de nombreuses pistes de réflexion pour considérer la rénovation énergétique comme un plus, identifier les facteurs qui contribuent à déclencher la décision et le passage à l’acte et bien évidemment prévoir l’évolution du comportement des habitants d’un logement (limiter les effets rebond).

Enfin, la rénovation énergétique est un des leviers permettant à la fois d’adhérer aux attentes des usagers, et une réponse aux objectifs carbone (le bâtiment étant à l’origine de 23% des émissions de gaz à effet de serre, et de 44% de la consommation finale d’énergie). Surtout, la rénovation énergétique doit permettre une harmonisation des pratiques, indépendamment des moyens financiers des usagers, pour que le confort ne finisse pas par devenir un luxe mais soit bien une nécessité accessible à tous.

Pour en savoir plus, consultez notre article : « Le confort dans l’habitat : une nécessité ou un luxe ? ».

Le Fonds de Dotation CERCLE PROMODUL/INEF4 intègre l’humain au cœur de l’ensemble de ses travaux et développe au sein de ses GT des outils innovants et simples d’évaluation du confort ou de l’inconfort qui seront utiles à la fois aux professionnels et aux usagers des bâtiment.

Dans une volonté de toujours inclure les sciences humaines et sociales nous favorisons les expérimentations et retours d’expériences pour s’adapter au mieux aux attentes et servir l’intérêt général du plus grand nombre.

Sources : 

[1] 14.000 Européens interrogés dans le cadre du Baromètre de l’Habitat Sain de Velux via « Rénovation : privilégier le confort pour atteindre l’efficacité énergétique« , Batiactu, 21/04/2016.

[2] « Les sciences humaines et sociales sont un ensemble de disciplines qui ont pour objectif d’étudier et de « comprendre pourquoi des individus […] ou des groupes sociaux, petits ou grands, font ce qu’ils font, pensent ce qu’ils pensent, sentent ce qu’ils sentent, disent ce qu’ils disent » via « Changer les comportements, faire évoluer les pratiques sociales vers plus de durabilité : l’apport des sciences humaines et sociales pour comprendre et agir », ADEME, septembre 2016.

[3] La définition du confort par le CNRTL.

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