"Les matériaux bio-sourcés sont des matériaux comme les autres"

Rédigé par

Jean-Philippe Pié

Journaliste

2190 Dernière modification le 10/07/2012 - 23:24

L'effervescence intellectuelle et peut-être déjà commerciale que suscitent les éco-matériaux pourrait bien réserver de belles déconvenues à l'avenir : parés de toutes les qualités a priori, ils pourraient décevoir a posteriori. Pour parer à ce danger qui guette tout ce qui est un tant soit peu à la mode, rien de tel que la démarche scientifique, qui consiste à se poser des questions avec méthode, sans préjugé positif ou négatif, dans l'indépendance.

De ce point de vue, l'expertise que développe le Codem-Picardie* apparaît précieuse. Ce centre technique situé à Dury (Somme) a été créé en 2007 à l'initiative du conseil régional de Picardie, avec une participation de l'Ademe. L'expertise de ses ingénieurs, unique aujourd'hui, est 100 % tournée vers les éco-matériaux - un terme que n'apprécie d'ailleurs pas son directeur général Blaise Dupré, car trop fourre-tout. Mieux vaudrait parler de matériaux bio-sourcés.

Blaise Dupré veut faire rimer process industriel et matériau "naturel"

blaise dupre

En tout cas, la conviction de ce docteur en génie des procédés est simple : éco, bio ou agro, les matériaux doivent avant tout passer à la moulinette de l'expertise. "Pour moi, ils ne se caractérisent pas par leur faible impact sur l'environnement ou la santé. Ce qui les définit, c'est leur fonction dans la construction et la réponse technique qu'il apportent : isolation, étanchéité, structure porteuse, parement... Nous les mettons au même niveau que les autres" explique-t-il. 

La dimension économique est également fondamentale. Un éco-matériau que l'on ne peut produire en quantités suffisantes pour répondre aux besoins ne mérite pas vraiment qu'on s'y attarde. Idem pour les coûts : "20 % plus cher, c'est trop cher et c'est à terme dissuasif".

Dernier critère majeur qui permet de prendre au sérieux, ou non, un éco-matériau : la pratique. "Le matériau doit s'adapter à des procédés réalistes, maîtrisés. Pas question d'improviser sur le terrain, au prétexte qu'on a affaire à un matériau miracle" formule Blaise Dupré. Comment faire rimer process industriel et matériau "naturel" ? L'une des solutions consiste à mettre au point la bonne méthode de travail. Pour le béton de lin, par exemple, Blaise Dupré trouve beaucoup d'avantages aux panneaux composites préfabriqués en atelier, qui évitent le froid et les intempéries, permettent un contrôle qualité optimum, de même que des gains de temps et d'argent.

Ces exigences sont motivées par le fait que le vrai sujet du Codem-Picardie, c'est le transfert industriel, c'est-à-dire la liaison entre la recherche et et la fabrication. Ce n'est qu'après avoir appliqué ces critères fondés sur le réalisme que l'on peut se lancer dans l'expertise environnementale, via l'analyse de cycle de vie (ACV) notamment. Là aussi, sans a priori. Blaise Dupré, docteur en génie des procédés, livre l'exemple du béton de lin. "Aujourd'hui, nous préconisons le traitement du granulat - les copeaux de lin - pour le stabiliser. Cette stabilisation consomme de l'énergie. Nous devons faire alors un choix : traiter les granulats ou augmenter la proportion de ciment. Une ACV doit alors être réalisée et il faut se poser beaucoup de questions - l'impact du transport des déchets de lin, par exemple. En l'espèce, l'ACV montre in fine que le ciment représente toujours la partie la plus impactante, d'un point de vue environnemental. Il faut donc traiter le granulat, pour obtenir un produit de qualité industrielle." CQFD. codem

Le Codem-Picardie a ouvert en novembre dernier un espace exposition, In-Codem, dédié à l'innovation dans la construction durable.

Mais aujourd'hui, où en est-on ? Quels sont les éco-matériaux qui réussissent l'examen d'entrée au Codem-Picardie ? "Plusieurs matériaux issus des agro- ressources tiennent désormais la route : la laine, le chanvre, le lin, la fibre de bois, détaille Blaise Dupré. La clé est de toute façon d'entrer dans la démarche de certification, à commencer par les pass' innovation du CSTB. Un fabricant comme Cavac BioMatériaux est un bon exemple de ce qu'il faut faire. Il dispose de produits certifiés, au même niveau de qualité que les produits traditionnels. C'est la clé du succès."

Jean-Philippe Pié.

Source : Ecobat. "Les matériaux bio-sourcés sont des matériaux comme les autres"  


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