Le commissioning : une démarche de qualité globale

Rédigé par

Hélène MEYER

Responsable communication et marketing

19971 Dernière modification le 09/06/2020 - 16:50
Le commissioning : une démarche de qualité globale

Avec une transition écologique qui doit être accélérée et l’arrivée de nouvelles normes, la construction, mais aussi la rénovation des bâtiments est de plus en plus complexe. En intégrant le commissioning dans leurs projets, les maîtres d’ouvrage peuvent compter sur un spécialiste doté d’outils numériques permettant d’optimiser le suivi de projet depuis la phase de programmation, jusqu’à celle d’exploitation. Lors du colloque Build & Connect qui aura lieu à Strasbourg en novembre prochain, David Corgier* de Manaslu expliquera en quoi doit consister une approche globale de commissioning et sa déclinaison digitale.

1. En tant que spécialistes, comment définissez-vous le commissioning chez Manaslu ?

J’opterai sa définition anglo-saxonne qui se traduit par une démarche de qualité globale, où aucun secteur n’est épargné par le suivi qualité et rien n’est laissé au hasard. Contrairement au secteur automobile, celui du bâtiment reste encore largement sur une approche « commissionnement » qui renvoie à une mission plus partielle d’assistance, d’aide à la mise en route des équipements, et de suivi d’exploitation d’un bâtiment sur la première année.

Je plébiscite la première alternative car l’expérience démontre qu’il y a beaucoup de turn-over sur les projets. La stabilité du personnel est assez rare chez les maitres d’ouvrage comme les maitres œuvres, et on peut ajouter la multitude de compétences à laquelle on a recours. Cela engendre une perte de connaissance du projet de suivi et, par conséquent, cela conduit rapidement à un gouffre entre les objectifs annoncés et les résultats obtenus concrètement. Le commissioning est un outil de management complet, qui permet d’éviter ce trop grand décalage entre les objectifs fixés en amont et les moyens mobilisables et les résultats obtenus.

Aujourd’hui, il est aussi nécessaire de dépasser la seule cible énergétique. Le confort, ou la qualité de l’air sont tout aussi essentielles. Au travers d’un suivi global, pour chaque risque identifié dans un bâtiment, nous sommes en mesure de mettre en place un plan de limitation de ce risque adapté. Cela demande en amont de fixer des objectifs clairs et basés sur des références de retours d’expériences si possible. Il s’agit du moyen le plus sûr pour évaluer la conformité du projet aux cibles fixées.

Ainsi définie, cette démarche s’adresse en priorité aux maîtres d’ouvrages, aux foncières, mais aussi aux autres acteurs du commissioning qui n’ont pas les ressources pour mettre en place une stratégie globale basée sur le retour d’expérience.

 

2. Quels sont les freins à la généralisation du commissioning dans les opérations ?

Il existe plusieurs freins : tout d’abord, faire un bon cahier des charges de l’opération au stade de la programmation. J’aurais tendance à dire que c’est un savoir-faire qui s’est perdu, alors que cela impacte la définition d’objectifs programmatiques et énergétiques précis à respecter par la suite.

Ensuite, les projets de bâtiments sont surtout tournés vers la rentabilité et la fonctionnalité, le facteur qualité est ainsi souvent laissé de côté.

Il y a également trop peu de moyens techniques et financiers disponibles pour atteindre les objectifs fixés. Les simulations thermiques dynamiques et énergétiques dynamiques sont couramment assimilées, or ce sont bien deux choses distinctes. Définir ses objectifs et axes de travail uniquement à partir d’études thermiques, c’est mettre de côté toute une partie des enjeux d’un bâtiment. In fine, ceci porte atteinte à la conformité du projet aux objectifs voir aux normes.

Enfin, bien souvent, les exigences énergétiques changent entre le lancement d’un projet et la livraison du bâtiment final. Cela demande donc un travail d’anticipation des contraintes à venir et de réactivité durant la vie du chantier pour permettre une adaptation cohérente.

 

3. Comment l’innovation liée à la digitalisation et la robotisation peuvent elle apporter des solutions pour généraliser le commissioning et améliorer la qualité globale des bâtiments ?

De manière générale, le robot est considéré comme un moyen de se passer de salariés et ainsi gagner en productivité lors de la phase chantier. Son image est donc plutôt mauvaise en usine, comme sur des chantiers avec une menace directe sur les emplois. Néanmoins, outre le fait que le digital peut jouer un grand rôle sur l’aspect économique global d’un projet, et sur la question des délais, un de ses avantages est aussi de potentiellement éviter les erreurs humaines.

Considérons bien le fait que nous, les ingénieurs en charge du commissioning coûtons cher au projet. Une mission totale de commissioning peut représenter entre 1 % et 3 % du coût de construction d’un projet. Tout le monde ne peut donc pas faire appel aux services d’un spécialiste pour ce type de mission. Il est donc nécessaire d’imaginer l’apport du digital, pour nous puissions travailler mieux et plus vite, afin que la facture soit moins lourde pour les clients.

Notre question aujourd’hui est la suivante : comment le digital peut nous assister dans nos métiers ? Nous nous sommes inspirés du secteur automobile, où des contrôles qualités répétitifs mais absolument nécessaires sont totalement automatisés. Des plus, nous nous sommes également inscrits dans la dynamique BIM, même s’il reste beaucoup de choses à faire dans ce domaine.

 

4. L’usage d’une solution robotisée se suffit-il à lui-même pour optimiser les performances énergétiques ou est-il nécessaire de travailler sur d’autres sujets et à d’autres phases (dont l’enveloppe du bâtiment) ?

Non, une solution robotisée comme ce que nous étudions a pour fonction de faire essentiellement de la mesure et de la vérification. En revanche, elle demande en amont d’être programmée et testée de manière rigoureuse pour répondre aux besoins du projet objet de la campagne de mesure. Elle ne remplace pas non plus le travail de prévention nécessaire, qui doit être effectué par un agent, et ce dès la programmation et les études, et ce, notamment sur l’enveloppe du bâtiment.

En effet, celle-ci est souvent le parent pauvre de la construction même si les cibles de performance sont ambitieuses. Nous avons des architectes qui savent dessiner et concevoir, des bureaux d’études qui savent réaliser des calculs suivant des normes et réglementations, et ainsi de suite, mais il n’y a pas de véritable synthèse entre ces acteurs. Et, trop souvent, ils ne se concentrent que sur des méthodes normatives non représentatives de la réalité du projet. Donc nous nous retrouvons avec des opérations qui semblent en première approche performantes, mais en creusant, une grande partie des déperditions thermiques au niveau de l’enveloppe sont occultées et n’entrent pas dans les calculs et simulation effectuées pour évaluer la performance thermique et énergétique. Ceci nuit indubitablement à la qualité globale des projets et explique en grande partie le décalage observé entre performances énergétiques attendues et celles obtenues en exploitation. C’est un problème que nous rencontrons au quotidien dans la vie des projets.

Il faut donc veiller en amont dès la conception à limiter les pertes liées aux ponts thermiques, ainsi qu’au risque de condensation, à l’apparition possible de parois froides dans le bâtiment, via un travail de prévention sur toute la durée du projet.

 

5. En quoi consiste le robot proposé par Manaslu ?

Notre solution permettra tout d’abord de réaliser une vérification exhaustive des conditions de confort des occupants nécessaires aux opérations préalables de réception, et de mesurer la performance de l'éclairage artificiel, suivant un maillage des zones conforme à la norme EN 12464. Ainsi, les moyens humains et le temps consacrés aux campagnes de mesure et vérification des conditions de confort seront rationnalisés.

Partant de là, nous avons identifié comme autre fonction potentielle la reconstruire en 3D les volumes du bâtiment afin de les comparer automatiquement avec la maquette BIM, et à terme, l’identification automatiquement d’éventuels ponts thermiques ainsi que la vérification du bon fonctionnement des systèmes terminaux de chauffage et climatisation.

 

6. Plus largement comment la gestion numérique peut-être associée à la recherche de qualité que vous évoquiez ?

Dans l’imaginaire collectif, quand on pense BIM ou numérique, on pense que cela se réduit à des maquettes 3D. Mais le BIM, c’est principalement une très grande base de données, où un bâtiment dispose de « x » dimensions : outre la géométrie, les dimensions coût, accessibilité, performance thermique, et énergétique etc. Cet outil offre le potentiel de pouvoir apporter dans un futur proche un vrai plus pour la recherche de la qualité globale du bâtiment.

Le digital est une formidable opportunité pour continuer à progresser ensemble, toute la filière. Il permet d’analyser et de partager les réussites, mais aussi de partager une forme de langage sur des chantiers souvent multilingues. Néanmoins, pour l’utiliser efficacement, il faut prendre en compte une de ses limites : tout le monde n’est pas exercé au digital aujourd’hui. Il est donc essentiel de mettre en place un fort volet didactique, autour d’un numérique simple et accessible à tous, qui ne devra, surtout, pas être assimilé à une surveillance digitale, mais plus comme une assistance.

 

* David Corgier est membre du groupe de travail sur la qualité de l’enveloppe du Pôle de compétitivité Fibres-Énergivie

Le groupe de travail sur la qualité de l’enveloppe regroupe 9 représentants : des industriels, des bureaux d’études, des assureurs, des organismes professionnels et des syndicats. En 2019, au bout de 18 mois de travail, le groupe a publié un Livre Blanc, qui remet l’enveloppe du bâtiment au cœur des enjeux énergétiques.

Pour en savoir plus, consultez le Livre Blanc via ce lien

 

Propos recueillis par Manon Salé de Construction21

 

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