#24 - Le cadre institutionnel de l’économie circulaire dans la construction

Rédigé par

Christian Brodhag

Vice-Président Construction21 France / Président Construction21 AISBL

6266 Dernière modification le 28/11/2019 - 12:02
#24 - Le cadre institutionnel de l’économie circulaire dans la construction

L’économie circulaire est un concept issu de celui de l’écologie industrielle qui a été proposé il y a trente ans.  Elle est approchée aujourd’hui sous différents angles politique ou normatif. Ces cadres sont étroits et limités et ne paraissent pas susceptibles de relever le défi des ressources et des impacts sur le climat et la biodiversité. Nous développerons trois approches pouvant y contribuer : l’approche cycle de vie qui permet d’identifier et d’évaluer l’ensemble de ces enjeux environnementaux, l’éco-conception qui permet de développer les solutions économiques et, spécifiquement pour la construction, une approche territoriale permettant de combiner les ressources locales et les formes constructives locales frugales.

A l’origine : l’écologie industrielle

C’est par un article de Scientific American en septembre 1989 que Robert Frosch et Nicholas Gallopoulos ont initié le concept écologie industrielle, en proposant une analogie entre le concept d’écosystème industriel et celui des écosystèmes naturels. Ils considéraient que le système industriel repose sur les ressources et les services fournis par la biosphère, qui ne peuvent en être dissociés (Frosch et Gallopoulos 1989 ; Erkman 1997). L'écologie industrielle conduit à considérer le fonctionnement du système industriel, sa régulation et son interaction avec la biosphère et à le restructurer pour le rendre compatible avec le fonctionnement des écosystèmes naturels.

Elle visait une sorte de mimétisme du système économique avec le fonctionnement des écosystèmes, notamment à travers les deux composantes : l’utilisation de l’énergie solaire renouvelable et le recyclage de la matière. Cette analogie conduisait à utiliser les outils d’analyse de l’écologie à l’industrie, par exemple l’étude du « métabolisme industriel » qui permet de décrire l’ensemble des flux de matériaux et d’énergie transitant par le système industriel.

A la fin des années 1990 ce concept, qui ouvrait de nombreuses possibilités d’application, a survécu à travers quelques éléments, d’une part sa localisation au sein de parcs éco-industriels et d’îlots de durabilité où pouvaient se développer des symbioses industrielles, les déchets d’une activité devenant la matière première d’une autre. D’autre part de façon plus globale une stratégie de dématérialisation/décarbonisation de l’économie est proposée, avec notamment l’économie de service ou économie de la fonctionnalité (Erkman 1997).

La question des ressources

Depuis la question globale des ressources est devenue plus critique encore. Le Panel international sur les ressources (www.resourcepanel.org) considère que le maintien des tendances historiques, conduirait à une augmentation de l’utilisation mondiale de matières de 110 % d’ici 2060 par rapport aux niveaux de 2015, passant ainsi de 90 à 190 milliards de tonnes en 2060, c’est-à-dire de 11,9 tonnes à 18,5 tonnes par habitant (Oberle et al. 2019). Cette évolution n’est pas durable, l’extraction et la production de ces ressources disponibles en quantités limitées fait aussi peser un poids considérable sur l’environnement. Une moitié de ces ressources consiste en des minéraux non métalliques utilisés principalement dans la construction. Ces matériaux pondéreux, pour la plupart, ne peuvent pas économiquement être transportés sur de longues distances. Leur cycle de vie (extraction, élaboration, mise en œuvre dans la construction neuve et la réhabilitation, collecte en fin de vie, recyclage) se déroule en grande partie sur le territoire. Deux pistes sont envisagées : l’usage de matériaux recyclés, ce qui relève directement de l’économie circulaire, et l’usage de matériaux biosourcés que l’on peut considérer comme un service fourni par les écosystèmes. Les deux ne pouvant être gérés qu’au niveau territorial.

 Or la dimension territoriale est aujourd’hui absente des perspectives juridiques et la normatives de l’économie circulaire.

L’économie circulaire aujourd’hui

Par rapport à l’écologie industrielle, l’économie circulaire se focalise sur une des composantes du mimétisme avec les écosystèmes : la fermeture des boucles de matière par le recyclage. La question énergétique liée au flux du carbone, un des éléments de l’écologie industrielle, est envisagée dans un autre agenda celui de la lutte contre le changement climatique.

Aujourd’hui l’ADEME propose une approche qui porte sur trois domaines et sept piliers :

  • offre des acteurs économiques : 1) extraction/exploitation et achats durables, 2) éco-conception (produits et procédés), 3) écologie industrielle et territoriale, 4) économie de la fonctionnalité ;
  • demande et comportement des consommateurs : 5) consommation responsable (achat, consommation collaborative, utilisation), 6) allongement de la durée d’usage (réemploi, réparation, réutilisation) ;
  • gestion des déchets : 7) recyclage (matière et organique).

Le cadre juridique français aborde ces différents piliers avec une intensité très variable, en privilégiant le recyclage.

La loi anti-gaspillage pour une économie circulaire

Le projet de loi anti-gaspillage pour une économie circulaire qui a été adopté en première lecture par le Sénat en septembre 2019, vise la transposition du Paquet Européen sur l’économie circulaire. Il s’appuie sur le principe de responsabilité élargie du producteur (REP) par lequel les acteurs économiques (fabricants, distributeurs, importateurs) qui mettent sur le marché des produits générant des déchets, prennent en charge tout ou partie de la gestion de ces déchets. Elle focalise ainsi l’économie circulaire sur l’aval du cycle et le financement du traitement des déchets plus que sur l’amont et la maîtrise de l’usage des ressources. Le projet de loi propose d’élargir le modèle de REP à la construction, en contraignant les metteurs sur le marché de produits et matériaux de construction du secteur du bâtiment (fabricants de fenêtre, de pots de peinture, de béton...) à contribuer à la gestion de la fin de vie des produits ou des matériaux de construction. Ce système financier permettant notamment le financement des déchetteries sur le territoire permettant aux artisans une reprise gratuite des déchets triés.

Le secteur du bâtiment est soumis par ailleurs à loi ELAN (loi évolution du logement et aménagement numérique), qui définit la performance RE2020 focalisée sur la consommation d’énergie d’une part dans le prolongement des réglementations thermiques, et d’autre part sur un élément nouveau le carbone notamment celui provenant des matériaux et des produits utilisés dans une approche cycle de vie. Cette évaluation devrait passer par l’usage généralisé des fiches de déclaration environnementale et sanitaire les FDES. Ceux-ci adapté pour des produits industriels ne peuvent prendre en compte les spécificités locales.

Les deux cadres juridiques sont ainsi disjoints, proposant une approche séparée des ressources et du climat, et ignorent le troisième problème celui de la biodiversité. Or ces problèmes sont liés. Le matériaux biosourcés issus des écosystèmes (biosphère) et les matériaux industriels (technosphère) ne peuvent pas être abordés de la même façon.

La normalisation ISO

L’ISO a aussi entrepris de normaliser l’économie circulaire avec une vision système de management. Le comité TC 323 de 1'ISO vient de mettre en place un comité technique sur l’économie circulaire pour élaborer des « exigences, cadres, lignes directrices et outils de support relatifs à la mise en œuvre de projets d'économie circulaire ». Il devrait proposer un système de management, un modèle d’affaire sur la chaîne de la valeur notamment à travers l’économie de la fonctionnalité, ainsi que des éléments pour la mesure de la circularité et du développement durable, l’éducation et les approvisionnements publics. La France pousse dans les travaux de l’ISO la norme expérimentale française (X30-901) qui est aussi limitée management de projet sans viser explicitement la gestion globale et locale des ressources.

La nécessité de considérer les ressources

Dans ces différentes approches partielles il manque la dimension des ressources elles-mêmes. La diminution globale de l’usage des ressources et des considérations liées au métabolisme industriel. Leur rareté, leur gestion écologique et surtout leur disponibilité concrètes ne sont pas abordés. Les conditions concrètes de mise en place de filières matières production/recyclage ne sont pas considérées. La responsabilité étendue du producteur est envisagée à travers l’acquittement d’une éco-participation qui ne conduit pas une véritable maitrise du cycle de vie.

L’approche cycle de vie pour identifier et évaluer les enjeux

L’approche par le cycle de vie consiste à considérer les impacts sur l’environnement de chacune des étapes : des matières premières, de la fabrication, du transport, de l’usage et de la fin de vie. Elle vise à minimiser les impacts sur l’ensemble de ces étapes, et non plus l’une d’entre elle, la seule production ou le traitement des déchets. Elle permet d’éviter les transferts de pollutions d’une étape sur l’autre.

Elle repose sur une méthode d'évaluation, l'analyse du cycle de vie (ACV), qui permet de réaliser un bilan environnemental multicritère sur l’ensemble des questions environnementales (notamment ressources, climat et biodiversité) et multi-étapes d'un système (produit, service, entreprise ou procédé) sur l'ensemble de son cycle de vie. Dans le cas de chaînes de valeur mondiales qui séparent géographiquement les étapes de production, l’ACV mesure l’impact sur l’ensemble de la chaine en incluant les impacts hors des juridictions nationales, c’est-à-dire mesure l’empreinte écologique.

Cette notion d’empreinte écologique est aujourd’hui utilisée pour évaluer le carbone ou l’eau. L’empreinte carbone considère les émissions nationales et le bilan importation/exportation des émissions lors de la production des biens. En 2015, les émissions nationales françaises étaient que 6,6tCO2e par habitant, alors que l’empreinte carbone des français atteignait 11tCO2e par habitant (HCC 2019, p. 34). Sur la base nationale, les émissions de GES en France ont diminué de 19% entre 1990 et 2018, ce qui est tout de même un dépassement de 3,5% de ses engagements (HCC 2019, p. 28). Mais l’empreinte carbone des Français a augmenté de 20% entre 1995 et 2015 au point où les importations ont dépassé les émissions sur le territoire (hors les exportations).

L’approche territoriale de l’économie circulaire, et du métabolisme local, devrait aussi intégrer l’empreinte globale des consommations du territoire, c’est-à-dire considérer une Analyse du Cycle de Vie appliquée aux territoires (Alberti et al. 2017 ; Albertí et al. 2019a ; Albertí et al. 2019b).

L’éco-conception pour développer les solutions

L’éco-conception est un cadre méthodologique défini dans la norme française X30 264 dont l’objectif est de réduire l’impact environnemental des produits et service à la source dans une perspective de cycle de vie. L'intégration de l'éco-conception dans les processus de développement de produits peut réduire les impacts environnementaux tout en étant une source de performance et de rentabilité pour les entreprises qui la mettent en œuvre. L’étude sur les bénéfices de l’éco-conception portée par le Pôle Éco-conception en 2014 constate que 96% des entreprises qui mettent en place cette démarche augmentent leur performance globale (Haned et al. 2014). Celles qui utilisent l’éco-conception comme un facteur d’innovation augmentent même leur marge brute pour 45% des cas étudiés. Ce qui nous amène à la notion d’éco-innovation qui peut être définie comme une éco-conception dont la donnée de sortie est un produit ou un service nouveau ou amélioré qui offre à l’utilisateur des valeurs d’usage supérieures et qui donne un avantage concurrentiel et de la valeur économique au metteur sur le marché.

Dans un cadre maîtrisé et holistique des impacts environnementaux, réduire à la source, augmenter la durée de vie et boucler les boucles sont les principales stratégies d’éco-conception. Mais l’éco-conception va au-delà en proposant grâce à la pensée en cycle de vie des nouveaux modèles économiques pour les entreprises comme les systèmes produits services, l’économie du partage ou l’économie de fonctionnalité. En cela, l’éco-conception est à la croisée d’une dimension environnementale évaluée dans l’ensemble du cycle de vie et de la durée de vie, et d’une dimension économique en envisageant le modèle d’affaire, le situant dans la chaine de la valeur, et orientant ainsi l’innovation.

Dans cette logique, l’écoconception ne peut être limitée à une composante de l’économie circulaire, mais une approche transverse permettant de choisir les modèles d’économie circulaire pertinents ou d’autres modèles de consommation et de production durables et, d’en garantir la cohérence environnementale, sociale et économique.

Pour une approche territoriale

La construction et les infrastructures absorbent la moitié de la masse des ressources, pondéreuses elles ne peuvent pas être transportées sur de longue distance. C’est pour cette raison par exemple que le projet de loi vise une multiplication des points de collecte, sans pour autant envisager de filières de valorisation à la même échelle locale.

Or dans la logique de la gestion durable des ressources, il convient d’organiser la production et l’utilisation de matériaux issus du recyclage, mais aussi les matériaux locaux naturels (terre, pierre...) ou les matériaux bio-sourcés (bois, paille…) en évaluant et minimisant l’impact environnemental de leur production sur le territoire. La durabilité de ces matériaux ne peut être jugée par des standards nationaux, mais par une évaluation d’impact intégrée dans des plans de gestion locaux. Les FDES évaluent les produits standards et industriels de niveau national, ils s’appuient sur des données d’impact moyennes non différentiées par territoire.

Cette nécessité d’une approche locale porte sur les matériaux de construction issus de filières locales mais aussi sur les formes constructives particulières liées aux conditions géographiques (climatiques, écologiques, géologiques) locales. La combinaison entre matériaux et géographie locale a été prise en compte dans l’habitat vernaculaire. Il faut se rappeler que 50% de l’habitat dans le monde est construit en terre, et 15% en France. Un habitat frugal, qui mobilise des ressources simples accessibles sur le territoire serait gage de prix bas et d’appropriation technique. Les 2/3 du chiffre d’affaire de la construction sont le fait d’entreprises de moins de 20 salariés qui interviennent sur des marchés locaux.

Une approche de type « AOC de la construction » permettrait le développement de filières locales qui intègrent la construction dans un système productif et culturel local valorisant les solutions vernaculaires, des matériaux locaux en accord avec les conditions géographiques et climatiques locales. Le concept et les procédures des appellations d’origine, mise en œuvre pour les produits agricole ou artisanaux, qui ont fait leurs preuves de leur intérêt et pourraient être transposés à la construction.

Bibliographie

Albertí, J., Brodhag, C., & Fullana-I-Palmer, P. (2019). First steps in life cycle assessments of cities with a sustainability perspective: A proposal for goal, function, functional unit, and reference flow. Science of the Total Environment, 219, pp. 1516-1527.

Alberti, J., Roca, M., Brodhag, C., & Fullana-I-Palmer, P. (2019). Allocation and system boundary in life cycle assessments of cities. Habitat International, 83, pp. 41-54.

Alberti, J., Roca, M., Brodhag, C., & Fullana-I-Palmer, P. (2019). Allocation and system boundary in life cycle assessments of cities. . Habitat International, 83, pp. 41-54.

Erkman, S. (1997). Industrial ecology: an historical view. .I. Cleaner Production, 5(1-2), 1-10.

Frosch, R. A., & Gallopoulos, N. E. (1989). Strategies for Manufacturing. Scientific American, 261(September, Special Issue «Managing Planet Earth), 144-152.

HCC. (2019). Agir en cohérence avec les ambitions. Premier rapport annuel Neutralité Carbone. Premier rapport annuel, Haut Conseil pour le Climat, Paris.

 

Article signé Christian Brodhag, Président de Construction21, Professeur émérite Ecole des Mines de Saint-Etienne

 

Consulter l'article précédent : #23 - Modéliser un stock de bâtiments dans une perspective matière, déchets et ressources


           

Dossier soutenu par

Economie circulaire

 

Découvrez leur engagement

Bâtiments et territoires circulaires

Retrouvez tous les articles du dossier Bâtiments et Territoires circulaires

Partager :