« La pédagogie est une des clés pour restaurer la biodiversité en ville»

Rédigé par

Julie Chauvigné

3841 Dernière modification le 24/05/2017 - 10:26
« La pédagogie est une des clés pour restaurer la biodiversité en ville»

La biodiversité est un sujet relativement nouveau, tant pour les professionnels que pour le grand public. Comment faire prendre conscience de son importance ? Par la pédagogie, comme le montre l’association Nord Nature Chico Mendes depuis 1990 dans le Nord Pas de Calais. Julie Chauvigné, chargée de mission environnement, et Eric Dubois, responsable pédagogique, témoignent de cette action.

Quel a été l’élément déclencheur de votre association ?

Eric Dubois : Le début des années 1990 a été une période rude pour le Nord Pas de Calais. La désindustrialisation a laissé une multitude de terrains dégradés par les activités minières et les usines, libérant aussi de grandes friches industrielles. Il nous a semblé urgent de réhabiliter ces espaces, de les transformer en lieux pédagogiques pour les enfants, dans un milieu urbain pauvre en espaces naturels. Cela a constitué notre combat dans les années 1990, c’est toujours le cas aujourd’hui, mais d’autres projets se sont développés autour de notre action pédagogique, notamment l’aménagement d’espaces nature et l’éducation environnementale. Nous accompagnons les enseignants, nous animons des sorties et des ateliers en Nord Pas de Calais et un peu dans les Hauts de France.

Quelle est l’approche pédagogique à adopter pour sensibiliser à la biodiversité ?

E. D. : Pour les enfants et le grand public en général, au-delà de l’apprentissage des différentes espèces sauvages, nous avons décidé de les ramener à un émerveillement, à développer une réceptivité. Ils se mettent à l’écoute de l’espace naturel et apprennent à s’y sentir bien. Cela passe par une approche scientifique basée sur les protocoles Viginature, une approche sensorielle et une approche sensible grâce à l’œil artistique pour s’affranchir des seules connaissances et privilégier la perception.

Julie Chauvigné : Nous travaillons aussi avec les collectivités, et là nous sommes confrontés à plusieurs niveaux de sensibilisation. Il y a bien sûr les débutants, à qui nous faisons découvrir les techniques de gestion différenciée. Et puis il y a les organisations déjà bien avancées sur la question, qui souhaitent poursuivre leur cycle de formation pour suivre l’évolution de la biodiversité. Avec eux, nous partageons les protocoles Viginature papillons et fleurs des prairies urbaines par exemple. C’est un vrai travail de fond. La vraie satisfaction, c’est de voir beaucoup de ces agents territoriaux « accrocher » et devenir eux-mêmes vecteurs auprès du grand public. Nous leur donnons des clés supplémentaires pour transmettre ce savoir et cette perception de la nature en ville.

Comment approchez-vous le monde de l’entreprise ?

J.C. : Nous avons beaucoup de mal à toucher l’entreprise. Il y a un travail de base, à tous les échelons, pour embarquer tout le monde dans la démarche. Force est de constater que la concertation, la sensibilisation n’est pas assez faite en amont. Lorsque la question de la biodiversité arrive dans un projet, cela se fait très tard dans la phase de conception. On ne pense à la biodiversité qu’après avoir déjà choisi les plantations. Nous militons pour que les écologues et les spécialistes du sujet soient intégrés dès le début du projet. C’est ce qui nous amène à sensibiliser les acteurs de la construction. Avec Vinci Construction, par exemple, nous organisons des ateliers.

Nous constatons cependant une appétance sur ces questions chez certaines entreprises qui demandent à plus travailler avec les habitants. Nacarat, promoteur immobilier, accompagne les habitants à l’achat et les aide à mieux appréhender leur logement dans l’environnement.

Tout ce travail se fait dans un seul but : faire que la biodiversité ne soit plus vue comme une contrainte, mais comme une opportunité.

Qu’est-ce que la loi biodiversité a changé pour vous ?

J.C. : Le zéro phyto (produits phytosanitaires) s’impose désormais aux collectivités. Elles doivent réintégrer la nature en ville. Une contrainte législative n’est jamais facile à adopter sur le terrain, mais les agents locaux commencent à en voir les avantages et nous les aidons dans cette démarche. Mais il y a un énorme travail à faire auprès des particuliers qui utilisent encore des produits de ce type.

Quelles sont les prochains « champs de bataille » de la biodiversité ?

E.D. : Ils sont nombreux. Il faut d’abord continuer le travail sur la perception de la nature en ville. On peut citer l’exemple des prairies urbaines, que beaucoup, grand public comme professionnels, ne perçoivent pas comme une prairie mais comme une friche. De même, peu de gens comprennent qu’on laisse le bois mort dans les parcs, pourtant il a son utilité, il favorise la croissance de la biodiversité animale et végétale.

Les continuités écologiques sont un autre sujet très important pour les îlots urbains. Penser la ville en tenant compte de ces corridors n’est pas une évidence pour tous les acteurs de l’aménagement.

Nous parlons ici de biodiversité urbaine, mais n’oublions pas la biodiversité rurale, extrêmement menacée, souvent plus qu’en ville.

Il y a encore du chemin à faire, nous avançons à petit pas. La pédagogie est une des clés pour restaurer la biodiversité en ville et à la campagne, mais elle manque encore cruellement.

Avez-vous un retour d’expérience à partager ?

J.C. : Le lotissement de Sainghin en Mélantois est une bonne illustration de bonne démarche et des insuffisances, des progrès qui restent à faire. Cette opération s’est faite sur une zone inondable intéressante. Pour compenser l’invasion de cette zone naturelle, le promoteur, Nacarat, a souhaité créer un îlot nature. Avec un paysagiste, ils ont accompli un vrai travail de fond, pour mettre la nature en scène, avec des classes de deux écoles voisines (dont une a par la suite emménagé dans le lotissement). Les élèves ont proposé des plans d’aménagement, la paysagiste a réalisé un patchwork des meilleures idées. Tout cela s’est fait sur une échelle de temps très courte. S’y est ajouté une forme de cérémonie avec la plantation, par les enfants, de 400 arbres.

Cette opération a très bien intégré la sensibilisation des riverains, des futurs habitants, la maîtrise d’ouvrage et les concepteurs. Mais un gros point négatif est à relever : lors du chantier, l’une des mares a été fortement polluée. La sensibilisation ne s’est pas faite à tous les niveaux. Les entreprises du chantier n’ont pas été assez informées et sensibilisées.

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