#18 - La capacité de renaturation des interstices urbains (oasis urbaines) pour des politiques publiques résilientes

Rédigé par

Solène MARRY

Docteur en Urbanisme

8233 Dernière modification le 12/04/2019 - 13:21
#18 - La capacité de renaturation des interstices urbains (oasis urbaines) pour des politiques publiques résilientes


Un article signé Sophie DEBERGUE, Ingénieur expert Urbanisme Service Organisations Urbaines ADEME; et Solène MARRY, Docteur en Urbanisme Service Organisations Urbaines ADEME

Produit de multiples époques, le tissu urbain est divers et comporte de nombreux espaces laissés libres, par choix ou par absence de choix (cadre réglementaire rendant certaines parcelles cadastrales inconstructibles, friches industrielles et bien d’autres cas). Pour répondre aux politiques publiques en matière d’habitat (offre de logements à développer) comme de biodiversité (arrêt de l’artificialisation des sols, voir une désartificialisation), une densification des espaces déjà urbanisés et notamment dans ces interstices urbains semble être la plus optimale (9.3% du territoire métropolitain, constitués pour 2/3 de sols imperméabilisés[1]).

Mais, dans une logique d’adaptation au changement climatique (trajectoire 2°c) des territoires urbanisés et denses, les potentialités de ces espaces interstitiels méritent d’être envisagées dans une optique de transition écologique et énergétique, non pas uniquement en termes de constructibilité ou non, mais bien comme une ressource, de l’échelle de l’ilot (micro-locale) à l’échelle de la planification urbaine et du grand paysage.

Surchauffe urbaine

La question de la surchauffe urbaine est une problématique multiple qui s’exprime de jour comme de nuit et en fonction du type d’urbanisation. En cas de canicule, le manque de rafraîchissement nocturne en ville est un réel enjeu de confort, voire de santé pour les populations sensibles. Le phénomène climatique des îlots de chaleur urbain (ICU) désigne une différence de température, observée la nuit dans l’air, entre une ville et les zones rurales environnantes[2], l’écart pouvant varier de 2 °C à 12 °C. Il s’agit de concevoir des formes urbaines intégrant l’enjeu climatique local : apports solaires, vents, pluie, matériaux et revêtements, limitation des activités humaines émettrices de chaleur, etc.

La structure du bâti urbain comprend la typo-morphologie du cadre bâti, ainsi que les matériaux utilisés pour la construction des bâtiments et des différentes infrastructures urbaines (voiries, mobilier urbain, etc.) influencent fortement l’ICU ; le choix des matériaux de construction et des infrastructures urbaines, la place de la végétation et de l’eau, sont déterminants, tant l’imperméabilité des revêtements et la capacité d’absorption vis-à-vis du rayonnement solaire des matériaux vont accentuer le réchauffement de la zone urbaine.

L’orientation des rues peut avoir un impact sur le phénomène des ICU ainsi que d’autres éléments tels que la densité surfacique (rapport entre la surface des toitures et celle du terrain) et la compacité de la ville (densité de ses habitations, proximité de ses équipements et services ou encore de ses réseaux de transports et communication).

Les travaux de recherche menés notamment par les équipes françaises et américaines de l'Unité Mixte Internationale MSE (CNRS/MIT) et du Centre interdisciplinaire des nanosciences de Marseille (CNRS/Aix-Marseille Université) sur l’impact du tissu urbain sur le rafraichissement indiquent que plus le tissu urbain est organisé, comme la plupart des villes nord-américaines avec des rues très rectilignes et un plan en damier, plus la chaleur est piégée et qu’à l'inverse, plus le tissu est sinueux, à l'image de nombreux cœurs de villes historiques, plus la chaleur s'évacue facilement. L’article Role of city texture in urban heat islands at night time[3], publié en janvier 2018, présente les résultats de ces travaux.

 

Potentialités des interstices urbains

Le regard doit donc nécessairement se porter aussi sur les interstices urbains et périurbains, qui ont déjà fait l’objet de recherches, souvent disciplinaires (urbanisme, architecture, sociologie, économie, art) notamment par des analyses qualitatives[4].

Du latin interstitium, de inter (« entre ») et stare (« se tenir »), les interstices urbains sont protéiformes et de taille hétérogène, de quelques m2 jusqu’à de nombreux hectares[5]. De même, leurs localisations sont multiples, malgré des représentations souvent limitées aux centres historiques denses et aux friches industrielles, aujourd’hui enclavées dans l’urbain/périurbain.

L’interstice envisagé comme étant un espace vide entre deux espaces bâtis peut être questionné en modifiant le regard porté sur ces espaces non pas alors en tant que vides, voire délaissés urbains mais, au contraire, en tant que lieux ouverts, aux potentialités et ressources diverses.

Les interstices ont une valeur écologique mais pas uniquement : aménités multiples, espaces propices à l’agriculture urbaine, modularité des usages, espaces de rencontre, de passage, liaisons entre quartiers, pratique des modes actifs etc. Basé sur l’appréhension de l’espace naturel en tant que ressource et non pas comme espace consommable, densifier en hauteur et favoriser la multifonctionnalité du sol (agriculture urbaine, espaces verts, etc.) peut être aussi l’occasion de laisser libres d’appropriation et d’usages des terrains urbains en leur permettant une certaine mutabilité quand on ne sait pas quels seront les besoins et attentes futures. Cette possibilité de mutabilité renforce la résilience de ces espaces et laisse la porte ouverte à différents futurs possibles face aux incertitudes du climat.

 

Afin de faciliter l’aide à la décision il apparaît nécessaire de dépasser la simple préservation, mais bien de se doter d’outils de prescriptions, de préconisations et de simulation des impacts positifs ou négatifs permettant d’orienter les politiques d’aménagement de l’espace.

 

Solutions de rafraîchissement : les actions de l’ADEME pour améliorer la connaissance

L’ADEME a conduit en 2017 un état de l’art des connaissances (français et international) sur le rafraichissement urbain qui a conduit à dresser un panorama exhaustif de solutions, classées selon 3 types :

  • Les solutions vertes (et bleues) ; services écosystémiques, nature en ville (végétal, eau),
  • Les solutions grises : infrastructures urbaines (revêtements, mobilier urbain, bâtiment et matériaux…),
  • Les solutions douces : gestion et usages de la ville (services, mobilités, modes de vie…)

Il n’y a pas de solution unique, la performance en termes de rafraichissement et de confort thermique et d’ambiance dépend fortement du contexte (localisation, climatologie, forme urbaine, activités, usages…) et elle nécessite au préalable de réaliser un diagnostic de la surchauffe urbaine sur la zone concernée et, le plus souvent, une articulation / conjugaison de solutions/dispositifs.

 

Le projet Oasis Urbaines de l’APR MODEVAL-URBA 2015

Dans le cadre de l’appel à projets de recherche « Modeval Urba 2015 » de l’ADEME, le bureau d’études Tribu, le cabinet d’architecture Casa Architecture, Urbanisme et Environnement Sonore et le Caue de Haute-Savoie se sont associés pour définir et approfondir le concept d’oasis urbaine. Entre juillet 2015 et décembre 2017, il s’est agi d’étudier la qualité de quelques-uns de ces univers urbains les plus « efficaces » dans l’agglomération annécienne, afin d’en décrire l’ambiance et l’hospitalité. L’omniprésence du végétal joue un rôle déterminant pour l’ambiance visuelle, sonore et thermique des oasis. La nature y est souvent un peu moins domestiquée, et est évocatrice des saisons et du temps qui passe.

L’oasis urbaine offre des espaces de fraîcheur en période estivale, tout en restant ensoleillée et en proposant des espaces d’usage bien exposés aux autres saisons (bancs, pelouse…). L’été, elle répond à la quête de fraîcheur des habitants : on y mesure en moyenne 2°C et 10°UTCI de moins que dans l’espace urbain plus minéral environnant [6].

 

Source : Tribu, CASA Architecture, CAUE 74, projet OASIS URBAINES

 

ð  Le nouvel APR MODEVAL-URBA 2019

En cohérence avec le Plan Biodiversité annoncé le 4 juillet 2018 et de manière complémentaire à d’autres Appels à Projets de partenaires et de l’ADEME (AAP Friches 2019 notamment), l’Appel à Projets de Recherche MODEVAL-URBA 2019 de l’ADEME[7] initie des projets de recherche sur les trois axes suivants :

  • Pratiques et planification urbaines en appui aux territoires inclusifs pour la transition écologique et énergétique
  • Atténuation de la surchauffe urbaine par les solutions basées sur la nature : vers des villes résilientes
  • Désartificialisation et renaturation des interstices urbains

 

Gouvernance et Réversibilité au service de la ville résiliente

Enfin, faire des villes résilientes, c’est d’abord mettre en place de nouvelles formes de gouvernance pour développer une approche pluridisciplinaire : fédérer en interne l’ensemble des services de la collectivité : urbanisme, énergie, voiries, espaces verts, assainissement... ; mobiliser l’ensemble des acteurs, économiques notamment, opérateurs, entreprises, dès les phases amont de diagnostic ; créer une solidarité territoriale face à cet enjeu ; associer des experts pour partager une culture commune.

Une notion émergente, très liée à celle de résilience, est aussi celle de réversibilité : par exemple, la possibilité pour un bâtiment, un ilot urbain ou un équipement de changer radicalement de fonction le moment venu. Ce qui est possible, comme le montre le Grand Lyon et ses 113 ha de désimperméabilisation et des projets de reconversion de friches polluées, pour lesquels des critères environnementaux sont attendus dans le cadre des AAP portés et soutenus par l’ADEME.

Résilience et réversibilité sont donc aujourd’hui deux notions novatrices en matière de politique et d’ingénierie urbaines permettant d’apporter des réponses concrètes à l’urgence climatique et sociale.

 

Pour aller plus loin : ADEME

ADEME (2017). Aménager avec la nature en ville. Réf 8873.
ADEME (2018). Faire la ville dense, durable et désirable. Réf 010251
ADEME (2017). Surchauffe urbaine : Recueil de méthodes de diagnostic et d’expériences territoriales. Réf. 010307
ADEME (2014). Réussir la planification et l’aménagement durables – Les cahiers techniques de l’AEU2 : Ambiances urbaines. Réf. 7590
ADEME (2016). Actions d’adaptation au changement climatique, fiche Développer une culture du végétal en ville. Réf 8790 Autres fiches ici : https://www.ademe.fr/actions-dadaptation-changement-climatique
ADEME (2014). Biodiversité et reconversion des friches urbaines polluées. Réf. 8078
Marquet, Marry (2018) : Ambiances urbaines, urbanisme et pratiques spatiales, Cahiers de l’Atelier n°553. Réf 010352.
Marry (Dir.) (2018) : Territoires durables, de la recherche à la conception. Editions Parenthèses. Réf. 010506 ISBN 978-2-86364-343-3
 
Projets issus de MODEVAL-URBA (2015 et 2017) sur ces enjeux :
- Le projet DIACLIMAP, piloté par le CEREMA a abouti à un outil de diagnostic climatique urbain pour alimenter les démarches de planification urbaine et de conception des projets d’aménagement à l’échelle des quartiers.
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- OASIS URBAINES, piloté par le bureau d’étude TRIBU avec le CAUE de Haute-Savoie, a abouti à un outil SIG qui qualifie et quantifie des données environnementales, sociales, urbaines et ambiantales à l’échelle d’un îlot, d’un quartier.
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- PAENDORA, piloté par le CNRM (Météo-France/CNRS) vise à généraliser une base de données urbaines libre pour les études énergie-climat, à l’échelle des îlots urbains sur la France.
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[1] Source Gouvernement.fr
[2] Greuillet, C. et Galsomies, L. (2013). L’îlot de chaleur urbain et le lien avec la qualité de l’air [en ligne]. Pollution atmosphérique, Numéro spécial, 163-172. découvrez l'article 
[3] Role of City Texture in Urban Heat Islands at Night Time, découvrez l'article
[4]  (ouvrage de Kevin Lynch Voir et Planifier. L’aménagement qualitatif de l’espace).
[5] L'interstice Urbain, Un lieu Potential de Ville Contemporaine, découvrez l'article 
[6] L’UTCI, ou Universal Thermal Climate Index (Höppe, 2002), est un indicateur de confort qui pourrait se rapprocher de la notion de température ressentie. Il s’agit de l’indicateur de confort qui croise le plus de variables. Il est calculé à partir du renseignement de plusieurs variables mesurables : la température d’air (°C), la vitesse de vent (m/s), l’humidité relative (%), la température opérative (°C) ou le rayonnement global (W/m2) et la pression atmosphérique (hPa).
[7] MODEVAL-URBA, découvrez l'appel
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