#8 L’utilisation du typha au Sénégal, interview d’Ernest Dione

Rédigé par

Ernest DIONE

18915 Dernière modification le 02/09/2019 - 13:53
#8 L’utilisation du typha au Sénégal, interview d’Ernest Dione

Au Sénégal, 75% de la consommation énergétique et des émissions de gaz à effet de serre est issue d’activités liées au bâtiment. Avec une croissance urbaine forte, la construction est particulièrement dynamique en Afrique de l’Ouest. Cependant les techniques constructives, souvent calquées sur celles des pays occidentaux, apparaissent peu adaptées aux climats tropicaux et sahéliens : une transformation de la conception architecturale et des choix de matériaux devient donc nécessaire, afin de renforcer tant le confort que l’efficacité énergétique du bâtiment. Le typha, une plante sauvage, s’avère intéressante sur le plan énergétique et pourrait contribuer à répondre à l’enjeu de la construction durable. Entretien avec Ernest Dione coordinateur du projet TyCCAO.

 

Pourquoi le choix du Typha ?

Le Typha, c’est la plaie des cours d’eau en Afrique de l’Ouest. Ce roseau néfaste et envahissant, se multiplie à une folle vitesse au Sénégal et en Mauritanie (surtout après la construction de barrages en masse à la fin des années 80). Elle est considérée comme véritable fardeau par les locaux. En effet, ces derniers déplorent des problèmes d’approvisionnements en eau, de prolifération de maladies et de maintien de la biodiversité dans le delta du fleuve Sénégal. Les agriculteurs - furieux de voir leurs champs recouverts par le typha - l’ont coupé, brulé, voire ont même construits des murs, mais leurs tentatives n’ont jamais permis d’endiguer son accroissement.

Puisqu’il s’est avéré quasiment impossible d’arrêter cette plante, l’ADEME s’est engagée dans des recherches intensives de stratégies d’exploitation durable du typha. Deux axes de transformation ont été relevés :

  • d’une part l’utilisation comme matériau de construction  aux propriétés isolantes,
  • d’autre part en tant que matière première combustible pour la production d’énergie.

Le programme Typha Combustible Construction Afrique de l’Ouest (TyCCAO) a donc pour objet de « contribuer à la transition énergétique et la lutte contre le changement climatique en développant l’utilisation de combustibles d’origine renouvelable et l’efficacité énergétique dans le bâtiment grâce à la massification et la dissémination de produits élaborés à partir du typha. »

 

 

A quels besoins le typha répond-il dans le secteur de la construction ?

Aujourd'hui, sur le continent africain, les constructions sont souvent mal adaptées au climat chaud, thermiquement inconfortables et énergivores. Mais la bonne nouvelle, c'est qu'il est encore temps de faire mieux : d'après UN-Habitat, 80 % des bâtiments qui seront habités en 2050 ne sont pas encore construits. Un des « ingrédients » du secteur, qu’il faudra absolument revoir est le matériau de construction du bâti.

On sait désormais que le béton (présent dans l'écrasante majorité des constructions urbaines), le verre et la tôle métallique – très utilisés en Afrique pour l'enveloppe et la toiture des bâtiments – sont des accumulateurs de chaleur. Cette dernière caractéristique est à l'origine de l'inconfort thermique qui peut être ressenti aussi bien dans de majestueuses tours de verre que dans de modestes maisons. Et on comprend pourquoi la climatisation est autant utilisée dans un pays comme le Sénégal (température annuelle de 27 °C), avec de sévères conséquences sur l'environnement.

Dans un premier temps, le projet TyCCAO permettra de contribuer au développement de bâtiments à faible impact environnemental par leur efficacité énergétique et le recours à des matériaux de construction locaux et biosourcés. Le typha s'avère être un excellent matériau pour l'isolation thermique : il se trouve que sa structure alvéolaire lui accorde d'excellentes propriétés d'isolation et de perméabilité à l'air.

Outre les propriétés d’isolation et de perméabilité à l’air, on peut mentionner les bonnes performances acoustiques, la régulation hygrothermique et le bon comportement par rapport au feu de ce matériau biosourcé.

 

Comment est-il ou pourrait-il y être utilisé ?

Aujourd’hui il est utilisé comme isolant et comme adjuvant au ciment et à la terre pour la construction de l'enveloppe des bâtiments. Le plus souvent, le typha est associé à la terre pour la fabrication de blocs de terre allégée. C’est l’association CRAterre qui est chargée de mettre au point les matériaux de construction utilisant la terre et la fibre végétale issue de la plante Typha Australis.

Pour les toitures, il s’agirait de panneaux de Typha seul s’inspirant des nattes traditionnelles ou des panneaux de Terre-Typha. Plusieurs déclinaisons sont alors possibles : soit un traitement en sous-face (type panneaux sous tôle ondulée ; hourdis sous toiture-terrasse), soit un traitement directement en couverture (tuiles et/ou panneaux de typha seul, ou encore chaumes de typha). Les toits construits au Sénégal sont généralement faits à partir de tôle recouverte d’herbe tressée. La tôle, acheté à bas prix de Chine est souvent de mauvaise qualité et est à changer tous les 5 ans environ. Ainsi équipée, les habitations possèdent un toit de chaume en typha, d’une épaisseur de 35 cm, d’une longévité d’au moins 40 ans, quiassure une isolation thermique exceptionnelle !

Ce roseau séché, peut également être utilisé en blocs, ou en panneaux pour les cloisons ou le doublage de murs. Il existe deux dispositions pour les blocs de typha : dans l’enveloppe interne et l’enveloppe externe. La première est plus avantageuse pour obtenir un maximum de déphasage thermique, cela est utile dans les bureaux, qui sont occupés uniquement pendant la journée. La deuxième disposition concerne plutôt les habitations. Il faut cependant faire attention à bien protéger cette enveloppe extérieure de la pluie puisque ces fibres végétales ne sont pas compatibles avec l’humidité. Dans le cas échéant, ce sont les débords de toitures qui protègent les blocs de typha isolant.

 

Quelle est l’utilisation du typha sur le plan énergétique ?

En plus des problèmes de construction, la majorité des pays d’Afrique sub-saharienne, sont confrontés à deux enjeux cruciaux : le besoin en énergie pour le développement et le changement climatique, envers lequel ces pays sont particulièrement vulnérables.

Dans cette région, le manque d’accès à l’énergie touche directement 70% de la population (85% en zone rurale). De plus, environ 730 millions de personnes ont recours aux combustibles solides pour la cuisine (bois de chauffe et charbon de bois), aux fumées nocives et dont l’exploitation exerce de fortes pressions sur la ressource forestière. L’utilisation du charbon de bois comme source principale d’énergie est une des causes majeures de la déforestation en Afrique.

La production et la consommation du charbon de typha a un bilan bien meilleur que celui du charbon de bois. TyCCAO a également pour finalité la mise en place d’une filière locale de ce charbon vert, « propre » et renouvelable.

 

La création d’une filière est-elle en bonne voie au Sénégal ?

Ce projet a permis de mettre en lumière le potentiel inestimable de cette plante. Cueillis par milliers de tonnes annuellement, le typha représente une reconquête environnementale et un appui aux politiques publiques. Néanmoins, il y a énormément d’efforts à faire pour contribuer au développement de cette filière. Il faut améliorer les techniques de récolte, le rendement de combustion du charbon, la protection contre les termites lors de l’utilisation en tant qu’isolant, etc.

Cela requiert un effort gouvernemental avec un financement approprié des programmes de recherche. C’est à ce prix que le typha deviendra peut-être un jour l’or vert du Sénégal.

 

Note biographique : Coordinateur national du projet TyCCAO, M.Dione est un pionnier du développement durable au Sénégal. Il travaille également sous la direction du Ministère de l’Environnement sur le Programme National de réduction des émissions de gaz à effet de serre à travers l’Efficacité Energétique dans le secteur du Bâtiment au Sénégal (PNEEB).

Propos recueillis par Hassan Abouzid

Dossier soutenu par

Construire durable sous climats chauds
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