L’off-grid, une solution d’avenir pour l’Afrique ?

Rédigé par

Philippe Dumont

5998 Dernière modification le 24/09/2019 - 09:21
L’off-grid, une solution d’avenir pour l’Afrique ?

Télécommunication, électrification, gestion de l’eau et traitement des eaux usées : les technologies décentralisées, dites off-grid ou « hors réseau », suscitent en Afrique subsaharienne l’engouement croissant de nombreux acteurs privés. Première étape d’un décollage économique annoncé ?

Comment exploiter le potentiel de l’innovation pour transformer les secteurs de l’agriculture et de l’énergie en Afrique ? En avril 2018, lors d’un colloque sur l’état de l’Afrique réunissant la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, Makhtar Diop, vice-président de la Banque mondiale pour l’Afrique, déclarait : « L’Afrique doit créer un environnement propice aux nouvelles technologies. Et elle doit s’appuyer sur le secteur privé local pour accélérer son développement » (1).

 

Des solutions décentralisées pour l’énergie

En Afrique, plus de 600 millions de personnes vivent encore sans électricité. L’accès à l’électricité est donc une priorité, principalement en zones rurales éloignées des réseaux électriques. Pour ces populations, les solutions off-grid ou « hors réseau » représentent de véritables options pour pallier l’absence de réseaux de distribution électriques centralisés (2). Sur un continent où n’existent que peu de réseaux comparables à ce qui se trouve en Occident, l’Afrique pourrait bien faire directement le saut technologique vers des solutions entièrement décentralisées, dans tous les domaines imaginables. La révolution de l’off-grid pourrait bien naître en en Afrique.

Les entreprises de l’énergie se focalisent en effet sur l’installation et la maintenance de solutions décentralisées. Isabelle Kocher, directrice générale d’Engie, porte cette vision d’un accès généralisé à l’énergie en Afrique : « le développement des technologies hors réseau (off-grid) et mini-réseaux (mini-grid) pourrait bouleverser la situation et être un facteur d’accélération de l’électrification des zones rurales » (3).

EDF, de son côté, explore avec la start-up kenyane SunCulture un nouveau segment du marché off-grid, à savoir une solution de pompage solaire pour les petits agriculteurs, qui se veut à la fois connectée, innovante, mobile, facile d’utilisation et économe en eau et en engrais. Conçue pour des exploitations agricoles de petite taille dépourvues d’accès au réseau électrique, cette initiative constitue une alternative « bas carbone » au pompage essence ou manuel et offre aux utilisateurs des gains de productivité ainsi que des revenus supplémentaires.

En parallèle, EDF signe aussi un partenariat avec l’organisation panafricaine Energy Generation pour contribuer à l’électrification des zones rurales en misant sur la formation de femmes aux techniques d’installation et de maintenance de systèmes solaires off-grid. Une manière d’encourager l’entrepreneuriat dans ce domaine. Marianne Laigneau, Directeur exécutif Groupe en charge de la Direction internationale, déclare à ce sujet : « Ces actions illustrent l’esprit dans lequel EDF développe ses activités en Afrique : en collaboration avec des acteurs locaux et en cherchant systématiquement à ce que les projets bénéficient au tissu économique des pays dans lesquels le groupe s’implante » (4).

Pour Alexandre Coster, le créateur de Baobab+, une petite entreprise innovante qui propose notamment un kit d’accès à l’énergie solaire selon un modèle Pay As You Go, ce type de projets va dans le bon sens : « Une fois que les personnes en zone rurale ont accès à l’énergie et au digital, il y a tout un univers qui se crée tel que le développement de leurs activités économiques et celles relatives au numérique, en l’occurrence, l’e-education, l’e-santé, l’e-agriculture, etc » (5). Energie et digital : couple gagnant ? Sans oublier l’eau, enjeu majeur de développement économique et de santé publique.

 

Une histoire d’eau hors réseau

L’édition 2017 du Rapport mondial des Nations Unies sur la mise en valeur des ressources en eau (WWDR), intitulé : « Les eaux usées : une ressource inexploitée », démontre qu’une gestion améliorée des eaux usées génère des avantages sociaux, environnementaux et économiques essentiels pour le développement durable (6). En matière de distribution d’eau, ce qui est le plus difficile, c’est la mise en place des réseaux. Il est donc essentiel de s’appuyer sur un modèle de production d’eau potable ou de traitement d’eaux usées à caractère décentralisé, le but étant de réussir à réduire grâce au recyclage le coût de l’eau pour les industries fortement consommatrices d’eau et d’impacter positivement les communautés qui vivent autour. Telle est la première étape d’un cercle vertueux, aussi bien sur le plan économique que social et environnemental.

Les grands groupes internationaux sont sur les rangs pour investir dans ce domaine en Afrique, à l’instar de Veolia, le leader de la gestion et du traitement de l’eau, qui met en œuvre des solutions off-grid de nature à enclencher des initiatives de développement durable avec des partenaires locaux. Patrick Couzinet, président directeur général Afrique de Veolia Water Technologies (VWT), confirme : « Les solutions développées spécifiquement doivent nécessairement inclure des capacités off-grid, de façon à pouvoir se passer des réseaux d’eau mais aussi d’électricité, via le recours à des sources d’énergies renouvelables locales par exemple. Mais au-delà des technologies, l’idée est aussi de produire ces solutions à proximité des lieux de déploiement, avec le recours à des partenaires locaux, pour contribuer au développement régional ».

 

Mais aussi un défi de gouvernance pour le secteur public

Les technologies off-grid et mini-grid, plus rentables et moins contraignantes pour les opérateurs, ont manifestement le vent en poupe. Et elles autorisent en effet des investissements directs, au plus près des besoins des populations, en particulier dans les zones enclavées. Est-ce pour autant la panacée ? Pour beaucoup d’observateurs spécialisés l’off-grid ne constituerait « qu’une étape répondant aux aspirations des ménages et des entreprises rurales qui, à terme, ont vocation à se raccorder à leur réseau national » (7).

Les États africains concernés sauront ils s’emparer de cette question pour aborder l’étape suivante ?

 

(1) https://afrique.latribune.fr/entreprises/la-tribune-afrique-de-l-energie-by-enedis/2018-07-04/afrique-l-innovation-pour-sauter-les-etapes-du-developpement-783606.html

(2) https://www.pwc.fr/fr/publications/afrique/solutions-off-grid.html

(3) https://afrique.latribune.fr/think-tank/tribunes/2018-04-17/l-off-grid-ou-la-ruee-vers-l-or-vert-des-majors-de-la-mondialisation-tribune-775648.html

(4) https://www.edf.fr/groupe-edf/espaces-dedies/journalistes/tous-les-communiques-de-presse/edf-accelere-sur-le-marche-off-grid-en-afrique-en-misant-sur-une-nouvelle-offre-et-les-competences-locales
(5) https://l-frii.com/alexandre-coster-lafricain/

(6) http://www.unesco.org/new/fr/natural-sciences/environment/water/wwap/wwdr/2017-wastewater-the-untapped-resource/
(7) https://afrique.latribune.fr/think-tank/tribunes/2018-04-17/l-off-grid-ou-la-ruee-vers-l-or-vert-des-majors-de-la-mondialisation-tribune-775648.html

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