L'habitat durable au Québec: l'exemple du projet éco-résidentiel Au pied du Mont Ham

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guide a21l

3463 Dernière modification le 15/04/2019 - 11:27
L'habitat durable au Québec: l'exemple du projet éco-résidentiel Au pied du Mont Ham

L’arrivée d’un projet écorésidentiel, qui surpasse les normes actuelles en termes d’habitation et d’écologie, s’inscrit dans le développement socioéconomique de la municipalité de Ham-Sud, qui tente de faire de son territoire, aux vocations rurales et récréotouristique, un créneau d’excellence et d’innovation.

Le projet de nouvelles constructions écologiques résidentielles est en cours et, pourphoto 1.1.1 2022, le but est de créer une plateforme d’innovation qui regroupe les dimensions d’un milieu de vie viable et durable: le transport, la maison et ses systèmes, l’environnement, le travail à domicile, l’implication sociale des habitants et l’alimentation biologique. Pour ce, un terrain de 355 acres permettra, pour la première phase du projet, la construction d’une trentaine d’habitations écologiques, mais avec un potentiel de plus d’une centaine d’habitations.

Ce projet pensé d’abord pour la construction de résidences écologiques a débouché sur une série d’actions interpellant le concept du développement territorial durable et ses multiples dimensions.

 LOCALISATION ET CONTEXTE SOCIO-ÉCONOMIQUE DE LA MUNICIPALITÉ DE HAM-SUD

Localisation

Localisation du projet éco-résidentiel Au pied du Mont HamLocalisation du projet éco-résidentiel Au pied du Mont Ham

Ham-Sud est une Municipalité principalement à vocation agricole et forestière qui tend à se développer au niveau touristique grâce au Parc régional du Mont Ham. Sise aux confins de l’Estrie, dans la MRC des Sources à la frontière des Bois-Francs. Le territoire de Ham-Sud est façonné par un paysage grandiose et unique. En effet, il se révèle un petit paradis pour les amants de la nature, notamment pour les excursionnistes et les marcheurs, car le mont Ham, avec ses 710 mètres offre une vue imprenable sur les environs. Le Lac à la Truite offre un environnement parfait pour les amateurs de pêche et un site rustique pour le camping. Le territoire environnant est un lieu privilégié pour la chasse et les activités de plein air

 

Un territoire ayant un développement fragilisé

Selon les données de Statistique Canada, en 2016, seulement 235 personnes habitaient le territoire de Ham-Sud. La Municipalité régionale de Comté (MRC), duquel il fait partie, soit la MRC des Sources, est une des MRC  les moins bien nanties au Québec. Le manque de renouvellement démographique et l’absence de services de proximité (école, station d’essence, bureau de poste, etc.) n’aident pas cette Municipalité à devenir attractive.

Du côté des revenus, près de 19% des personnes habitant la MRC des Sources, âgées de 18 à 64 ans, est considéré à faible revenu. Il s’agit d’une plus forte proportion comparativement à celle de l’Estrie (17,6%) et du Québec (16%). Ce sont les personnes âgées de plus de 65 ans qui détiennent un niveau de précarité financière plus élevé par rapport aux autres catégories d’âges. En effet, 23,3% des 65 ans et plus disposent d’un faible revenu, contrairement à 20,1% au Québec et à 20,5% en Estrie (Plan de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale de la MRC des sources 2015-2020).

Le projet écorésidentiel, un véritable vent de renouveau pour le développement local viable

Étant donné qu’il s’agit d’un ancien chef-lieu du Comté de Wolf, la Municipalité de Ham-Sud possède un fort potentiel patrimonial qui est intéressant à faire revivre. D’ailleurs, elle est fortement mobilisée socialement et accorde beaucoup d’importance à la protection du paysage, dont la création du parc régional est un témoin. Nous n’avons qu’à penser à l’adoption récente par les Hamsudois du programme Habitation durable devenant ainsi la 7e municipalité au Québec à y adhérer, après Victoriaville, Petite-Rivière- Saint-François, Dixville, Val-David, Saint-Valérien et Varennes. La Coopérative de solidarité Au pied du Mont-Ham a été un partenaire important pour la concrétisation du programme d’aide financière.

Le Parc régional du Mont-ham: un potentiel de développement exceptionnel

La Municipalité de Ham-Sud possède un très grand potentiel de développement grâce à la reconnaissance, en 2014, du Mont Ham et ses alentours à titre de parc régional. Attirant plus de 40 000 personnes par année selon le journal L’Etincelle (2017), avec un taux de croissance de la fréquentation de plus de 25% par année, le site est devenu un symbole identitaire et une source de fierté pour les habitants la région. Ce dernier dynamise fortement le secteur récréotouristique et résidentiel, car les activités économiques et de plein-air qui en découlent donnent un regain d’enthousiasme aux partenaires du développement régional à savoir les organisations publiques, investisseurs, entrepreneurs et citoyens. Le paysage offert par le Mont-Ham et ses alentours est un facteur d’attraction tant pour des touristes que les futurs résidents.

 

 LES ORIGINES DE LA DÉMARCHE

Il y a quelques années, le fondateur et la fondatrice du projet ont pris conscience du défi des changements climatiques. Eux-mêmes vivant dans un milieu rural, il leur a été possible de remettre en question l’ensemble de leurs habitudes au quotidien. Cela a permis de réfléchir sur une façon d’intégrer toutes les dimensions de la vie quotidienne, dont l’habitation durable dans un milieu rural. Dans une optique de minimisation de l’impact de l’habitat sur le mode de vie rural, ils ont réévalué et critiqué leurs besoins. Par la suite, les initiateurs ont testé plusieurs solutions. À partir de leur expérience personnelle, ils ont développé  leurs capacités d’accompagnement à la fois des citoyens et des décideurs qui veulent contribuer à l’aménagement durable du territoire et de ses collectivités.

En 1976, le co-fondateur du projet d’habitat durable, qui est le promoteur principal actuel, a acquis le terrain. Toutefois, ce n’est qu’à partir de 2012 que ce dernier a décidé de créer un projet résidentiel écologique sur celui-ci. En 2014, avec la création du Parc régional du Mont-Ham, le projet a pris de l’ampleur. Depuis, une équipe a été formée. Elle travaille à la réalisation du projet; elle est composée de cinq membres permanents, âgés de 27 à 74 ans, provenant de milieux diversifiés et possédant de vastes expériences et connaissances dans divers domaines. La structure de travail de l’équipe est soutenue par  la Coopérative de solidarité Au pied du Mont-Ham, fondée en mars 2018.

 

 LES OBJECTIFS DU PROJET

Les objectifs se déclinent en trois temps :

  • offrir un mode de vie sain et communautaire tout en respectant les valeurs écologiques;
  • encourager les initiatives écologiques locales;
  • miser sur les atouts socio-économiques de la région, notamment le récréotourisme axé sur le plein-air, la nature, la villégiature et les arts.

Concrètement, les objectifs  se traduisent par une douzaine d’actions :

  • de l’aide financière pour les projets écologiques pour plus d’autonomie énergétique et alimentaire (Programme Habitation durable de Ham-Sud et Programme transition énergétique (APDMH 2018-2022);
  • l’intégration des normes de constructions écologiques;
  • l’aménagement des lots selon les principes d’un design-conservation;
  • la conservation des milieux humides et sensibles sur le territoire municipal;
  • l’encouragement des transports écologiques tant individuel que collectif par la mise en place d’un système d’autopartage, de covoiturage et l’installation de bornes de recharge pour véhicules électriques à l’entrée du projet résidentiel;
  • la création d’un pivot logistique central  englobant plusieurs aspects : concentration des activités récréotouristiques, cases de stationnement pour le partage automobile, stationnement additionnel pour les visiteurs, gestion écologique des matières résiduelles; mise en commun de bornes de recharge pour véhicules électriques; bâtiments pour tous les équipements et accessoires mis en commun, etc.;
  • l’installation d’un réseau internet performant pour favoriser le travail à domicile ou le télétravail;
  • la promotion de l’implication sociale, coopérative, intergénérationnelle et multi-professionnelle à l’intérieur du projet par la mise sur pied d’une coopérative de solidarité;
  • l’établissement de résidences à vocations multiples: résidences touristiques, gîtes touristiques, activités professionnelles à domicile et activités complémentaires d’usages de service, artisanaux, de transformation ou commerciaux spécialisés et de faible intensité;
  • l’accompagnement  de la part de l’équipe de projet pour la conception de projets résidentiels écologiques : autorisation, conception, construction, vie de communauté, etc.;
  • le développement d’un projet d’agriculture de proximité avec des partenaires du milieu de la recherche;
  • création d’un concept d’habitation communautaire de type “micro-condo à aires communes” et de petites habitations écologiques à vocation complémentaire touristique.

Toutes les initiatives qui seront soulevées dans le projet et leur gestion seront soutenues par la Coop de solidarité, formée par les membres fondateurs du projet et les futurs résidents. Le but premier de la coopérative est de les appuyer dans les processus d’achat, d’aménagement du terrain, de construction, et également, dans la mise en forme d’une communauté partageant des valeurs communes et favorisant des échanges de services et de compétences.

Concept d’aménagement du projetConcept d’aménagement du projet

 

 LE DÉROULEMENT DE LA DÉMARCHE - LES DIFFICULTÉS RENCONTRÉES

Plusieurs obstacles sont venus ralentir les démarches pour accomplir le projet. Ces embûches ont cependant aidé à définir le projet et à approfondir les orientations de celui-ci. Par exemple, au niveau réglementaire et législatif, l’équipe a dû passer à travers des procédures très ardues et très longues dans le temps, soit plus de 6 ans. D’une part, les terrains du projet étaient zonés agricoles et situés parmi quelques milieux sensibles tels que des milieux humides intouchables du point de vue écologique. De plus, le souci d’intégrité du Parc régional (protection du paysage et des activités entourant le Mont Ham) a considérablement ralenti le de développement du projet. Les démarches pour obtenir les autorisations du ministère de l’Environnement et de la Lutte  contre les changements climatiques (MELCC), de la Commission de protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ), de la Municipalité de Ham-Sud et de la MRC des Sources se sont déroulées sur 6 années pour aboutir aux résultats suivants:

  • le dézonage d'une partie des terrains pour le développement résidentiel (CPTAQ);
  • la caractérisation environnementale pour repérer les milieux sensibles;
  • la conservation de pr`s de 100 acres de terres;
  • l'autorisation environnementale de la MELCC;
  • la création du Plan d'aménagement révisé de la Municipalité;
  • l'acceptation par la MRC du plan d'aménagement révisé.

Par ailleurs, il a fallu obtenir plusieurs autorisations de la MRC et de la Municipalité étant donné que les terrains du projet se situent dans le périmètre d’influence du parc régional, lequel a nécessité un encadrement réglementaire plus strict par souci de préservation du paysage. En 2015, certaines composantes du projet résidentiel allaient à l’encontre des règlements municipaux qui dataient, pour la plupart, de 1978. En voici quelques-unes:

  • selon la réglementation municipale existante, la superficie minimale des terrains ne permettait pas d’offrir un milieu plus dense et en accord avec des valeurs communautaires. La superficie minimale autorisée était de 8000 mètres carrés (86 111 pieds carrés, alors que la superficie recherchée pour atteindre un niveau de densité acceptable sur le point de vue écologique est, selon nos observations, de 4000 mètres carrés (43 055 pieds carrés);
  • l’apport de technologies énergétiques dont les panneaux solaires et les éoliennes domestiques n’étaient pas permis);
  • l’accès à un service internet de qualité/installation d’une tour de télécommunication. Le territoire n’est pas desservi par la fibre optique, donc il a fallu ériger une petite tour de télécommunication;
  • le nombre de bâtiments complémentaires permis était limité à 2, ce qui était considéré comme trop contraignant pour développer  un milieu de vie coopératif;
  • la seule activité permise était la résidence unifamiliale. Il était donc impossible de profiter de l’attractivité du parc régional en y autorisant des résidences ou gîtes touristiques ou des activités complémentaires, tel le télétravail ou des services de proximité.

En 2018, un nouveau règlement de la Loi sur la qualité de l’environnement (LQE), le Règlement sur la compensation pour l’atteinte aux milieux humides et hydriques,  empêchait de parcourir le ruisseau qui traversait les terrains, à l’Est. Cela a provoqué un changement de cap qui a permis de peaufiner les objectifs de développement territorial durable et de raffermir l’approche écologique.

Le déroulement de ces étapes obligatoires au projet a nécessité la participation de plusieurs acteurs spécialisés. En effet, le promoteur a dû demander ponctuellement les services de plusieurs professionnels: urbaniste, lobbyiste, architecte, biologiste et gestionnaire de projet. Deux étudiants de l’Université la plus proche du projet et la plus renommée au Canada pour ses initiatives en développement durable (l’Université de Sherbrooke) se sont également joints aux efforts des fondateurs pour faire avancer les choses. Sans leur aide, le bon déroulement du projet aurait beaucoup plus ardu.

 

 LES RÉALISATIONS EN COURS

À l’hiver 2018, la construction des maisons témoins écologiques est terminée et les 8 autres lots sont prêts en à accueillir de nouvelles. Avant la grande inauguration du projet, prévue au printemps 2019, plusieurs dossiers se poursuivent pour la réussite du projet global:

  • des pourparlers avec un centre de recherche de la région pour intégrer un projet d’agriculture dans le projet;
  • une demande de dézonage à la CPTAQ pour permettre au projet d’avoir une concentration d’activités à l’entrée des terrains (espaces communs (exemples: serre alimentaire, terrain de jeu, lieu d’entreposage pour objets partagés, etc.), bornes de recharge pour véhicules électriques, activités liées au récréotourisme, etc.) ;
  • la réalisation d’un concept d’habitat innovant (microcondos ou copropriétés à aires communes.

 

Les esquisses 3D - Maisons témoinsLes esquisses 3D - Maisons témoins

 

 LES LEÇONS APPRISES

L’aménagement du territoire en milieu rural est complexe car il implique quatre niveaux et instances gouvernementales : MRC, Municipalité, CPTAQ et MELCC qui ont des pouvoirs d’intervention et de réglementation, mais qui interviennent de manière séquentielle. Passer par ces instances est certes nécessaire pour mettre en œuvre et légaliser l’existence   d’un projet éco-résidentiel en milieu rural. Mais leur encadrement est minimal et les processus d'approbation sont extrêmement longs et exténuants pour les porteurs de projet. Pourtant, initialement, le projet avait été accepté, dans son ensemble par l’instance gouvernementale faisant la gestion des municipalités de la région (la MRC des Sources).

La réglementation en vigueur au tout début du projet ne prenait pas en compte les nouvelles tendances mondiales en termes d’écologie et de technologies vertes. Elle était basée sur des règlements beaucoup trop rigides ne laissant pas place à l’innovation. Plusieurs caractéristiques du projet, considérées comme étant innovantes au Québec, ne cadraient pas nécessairement, à première vue, dans les orientations données à l’ensemble des règlements municipaux. Or, les gestionnaires du projet se butaient plus souvent qu’autrement à des dispositions règlementaires qui ne permettaient pas l’innovation écologique par son côté discrétionnaire ou bien par le manque d’adaptation de celles-ci (certains règlements en jeu n’ont pas été retouchés depuis 1978).

C’est pourquoi il est important de définir le projet en entier avant de se lancer dans le processus décisionnel des multiples entités gouvernementales. La responsabilité du promoteur, dans ce cas-ci, est de fournir le plus de garanties possibles aux instances gouvernementales, qui elles, s’inquiètent des résultats d’un projet qui les pousse à revoir leurs outils réglementaires. Les gestionnaires du projet éco-résidentiel ont remarqué qu’il était très difficile de faire valoir la nécessité de revoir certains règlements, jusqu’à un point où le statu quo était privilégié par les instances municipales. L’immobilisme de celles-ci a causé de grand retards dans l’élaboration du projet. Il est donc recommandé de prôner une grande transparence dans les intentions des acteurs du projet afin qu’il n’y ait aucune ambiguïté, et donc, aucun ralentissement dans les changements demandés aux réglementations en vigueur.

 

 CONCLUSION

Dans le contexte des changements climatiques, il est urgent d’adopter des mesures concrètes favorisant le développement durable territoires. Les nouvelles technologies et initiatives pour mettre en place la transition énergétique devront être encouragées par les règlements en place mais aussi par un accompagnement approprié. Pour ce faire, il faudra que les instances municipales mettent à jour leurs règlements pour permettre la réalisation réussie de ce type d’initiative qui vise à répondre aux problématiques socioenvironnementales aux échelles locale, régionale et nationale.. Les projets innovants se butent à des obstacles administratifs nombreux et rebutants qui affaiblissent, voire annulent les efforts humains et financiers  des porteurs et des acteurs du changement. Il est clair que supporter des années de négociation aux différentes échelles administratives et territoriales risque de faire avorter plus d’un projet, notamment dans le secteur de l’habitation durable.

 

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Auteur: Vincent Séguin

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