ITW Christophe Beslay (Sociologue) – Le confort dans l’habitat en pratique

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Cercle Promodul/INEF4 Communication

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3885 Dernière modification le 06/12/2019 - 10:29
ITW Christophe Beslay (Sociologue) – Le confort dans l’habitat en pratique

La définition simple du « confort » cache en fait une notion dynamique, complexe, multidimensionnelle et évolutive. En effet, le confort évolue avec le temps, les technologies, les normes sociales et induit un équilibre entre des besoins individuels et collectifs. La problématique du confort est donc à la fois fortement corrélée à des aspects purement techniques mais aussi à la sociologie, permettant ainsi de mieux comprendre les individus et leurs comportements.

Pour mieux appréhender ces notions, nous avons posé 3 questions à Christophe Beslay, sociologue sur les transitions environnementale et énergétique du bâtiment.

Comment définir simplement le confort de l’habitat ? A quels critères sont sensibles les usagers ?

Le confort, c’est d’abord se sentir bien chez soi. Je parle parfois de « bien-être habitationnel » ou résidentiel. Au-delà de cette définition simple, c’est une notion complexe, multidimensionnelle et évolutive. La notion de confort s’est constituée et a évolué au cours du temps, de la sécurité (face aux aléas de la nature et aux risques d’intrusion) à l’hygiénisme, aux « commodités », au « confort moderne » (les équipements ménagers)… Elle met en jeu les évolutions techniques et les normes sociales.

Le confort thermique n’est qu’un des aspects du confort : confort acoustique, confort visuel, confort olfactif, l’espace intérieur, l’emplacement, l’environnement, le voisinage, l’accessibilité, les équipements, l’attachement affectif, la sécurité… L’acceptabilité ou l’inacceptabilité d’un de ces éléments de confort est rarement estimé indépendamment des autres. Les nombreux avantages d’un logement peuvent rendre acceptable un inconvénient ou une source d’inconfort. A l’inverse, une insatisfaction sur des points jugés particulièrement importants rendra inacceptable un aspect qui serait très bien vécu dans d’autres conditions.

Il existe de fortes variations inter individuelles et collectives, selon l’âge, le genre, la localisation, la culture d’appartenance… Au-delà des aspects techniques qui renvoient à des paramètres objectifs mesurables (la température de l’air, de l’eau ou encore le taux de  CO2…), les individus font surtout appel à leurs sens et à des critères subjectifs pour caractériser le confort.

Le confort induit un équilibre entre des besoins individuels et collectifs, qui renvoient à la fois à des sensations, à des valeurs et à des solutions technologiques pour les satisfaire. Le confort est donc une notion sociotechnique.

Comment les usagers peuvent s’assurer des meilleures pratiques en matière de confort dans le neuf et l’existant ?

Le confort est une notion dynamique. Il se définit surtout comme la maîtrise de son environnement intérieur, la capacité à en ajuster les paramètres au gré des conditions extérieures, des activités et des formes d’occupation.

L’occupant n’est jamais passif. S’il n’a pas la main sur la gestion de son climat intérieur, il développe des stratégies pour atteindre le niveau de confort souhaité compte tenu de ses habitudes de vie, quitte à contrarier ou contourner les systèmes : occultation des bouches d’aération de la VMC, chauffage d’appoint, ventilateurs, voire climatisation.

Il existe pourtant une tension entre cette volonté de maîtrise et le désir de ne s’occuper de rien, de laisser les équipements gérer le confort intérieur. Gérer les équipements de confort représente un coût cognitif, une « attention énergétique », et des compétences (régler un programmateur, connaître les « bons gestes économes ») inégalement disponibles selon les personnes.

L’utilisation d’un bâtiment basse consommation redéfinit le rapport aux équipements et au confort. L’histoire et les habitudes résidentielles des occupants ont largement structuré leur conception du bien-être matériel.

Une configuration basse consommation implique une phase d’apprentissage, d’appropriation et d’adaptation des règles techniques d’usage et de fonctionnement, mais surtout, une phase d’expérimentation des conditions objectives et subjectives du confort.

Les « meilleures pratiques en matière de confort » ne renvoient pas aux pratiques les plus vertueuses énergétiquement ou environnementales, mais à celles qui correspondent au « style de vie » et aux valeurs d’un ménage. On peut identifier deux pôles idéologiques et identitaires de gestion du confort [1], renvoyant à la fois à la perception des problématiques énergétiques et environnementales, à des imaginaires de la technique et aux formes d’implication sociale et de responsabilité individuelle :

  • Un confort consumériste et technologique qui permet de s’affranchir des aléas de la nature et du climat. Le confort est ici essentiellement physiologique. Il s’agit de pouvoir maîtriser l’air ambiant, la température, l’humidité, le degré de pollution… afin de se sentir bien chez soi. Le « progrès » consiste à toujours augmenter ce niveau de bien-être. La technique apparaît comme une solution pratique, efficace, pour autant que son coût soit jugé acceptable. Elle est d’autant plus légitime que la technique est socialement valorisée et conforme à la conception dominante de la performance et du progrès. Il y a en quelque sorte une délégation à la technique pour assurer un niveau de confort qui correspond aux normes d’une société de consommation. L’individu tend à se défausser de toute responsabilité environnementale sur les techniques qui lui sont fournies par le marché et sur les normes sociales dominantes.

 

  • L’idéal d’un « confort durable » émerge avec la conscience des enjeux énergétiques et des risques environnementaux. Cet idéal, nouvelle éthique de la consommation, renvoie à une autre notion du confort. Il s’agit de ne pas trop souffrir des rythmes ou des débordements de la nature, tout en atteignant un confort psychologique et moral qui repose sur le sentiment de ne pas porter atteinte à l’environnement, par ses choix énergétiques et ses modes de vie. Dans cette optique, la solution ne passe pas par la technique qui tend au contraire à renforcer les problèmes, mais par l’adoption de pratiques sociales, de gestes quotidiens plus naturels et respectueux de l’environnement. Au regard d’une « morale de la frugalité » épicurienne, on admet que «la souffrance est facile à supporter »[2] et que les moments d’inconfort sont aisément supportables à l’aide de quelques gestes simples.

Quelles évolutions incitatives et réglementaires pourraient être considérées ?

Les pratiques d’usage de l’énergie n’ont qu’un impact réduit sur les consommations d’énergie domestique. Le poids des styles de vie, qui relèvent des identités sociales, et les éléments structurels du cadre de vie (les systèmes techniques, les cultures…) sont les plus déterminants des consommations d’énergie.

Les dispositifs incitatifs et réglementaires ne peuvent avoir d’impacts significatifs qu’à la condition d’être en cohérence avec les systèmes de valeur et les intérêts des ménages. Or, ceux-ci sont soumis à des injonctions contradictoires : économiser et consommer, maîtriser ses consommations mais ne s’occuper de rien, gérer ses équipements sans en avoir ni les compétences ni les modes d’emploi…

Pour « changer les comportements », il faut donc agir tout à la fois : sur les valeurs et les images sociales véhiculées par la publicité et les médias, sur les équipements techniques pour en accroître l’efficience et sur les travaux de rénovation énergétique.

Économiser l’énergie chez soi a un coût, celui des équipements performants et des travaux de rénovation. Il convient d’aider les ménages les plus modestes et développer des dispositifs contraignants pour interdire les équipements et la location (voire la vente) des logements les plus énergivores.

L’expérience montre que les dispositifs incitatifs sont peu efficaces, seules les réglementations peuvent faire évoluer durablement les consommations d’énergie domestiques, en lien avec des changements culturels de conception du confort et des modes d’habiter.

La maîtrise des consommations d’énergie domestiques passe aussi par l’accompagnement in situ des nouveaux résidents et/ou après une rénovation énergétique pour favoriser l’appropriation du nouveau système technique de l’habitat.

Enfin, les professionnels (gestionnaires, installateurs, mainteneurs) doivent également évoluer dans leurs pratiques pour optimiser les installations et mieux conseiller les résidents.

Le BESCB (Bureau d’Études Sociologiques Christophe Beslay) travaille essentiellement sur les transitions environnementales et énergétiques, avec une approche sociotechnique centrée sur l’analyse des pratiques sociales, des techniques, de l’innovation et des professions, notamment dans le secteur du Bâtiment. Il développe aussi une approche sociologique de l’évaluation des politiques publiques et des projets industriels et techniques. Il accompagne à la construction et à la gestion de projets.

Depuis plus de vingt ans, le BESCB a réalisé de nombreux travaux sur les pratiques énergétiques, le confort intérieur, la qualité de l’air intérieur, l’innovation technique, la précarité énergétique, les dispositifs d’accompagnement à la maîtrise de l’énergie, les professionnels du bâtiment et les modèles constructifs, aussi bien dans les bâtiments résidentiels que tertiaires.

Sources :

[1] Brisepierre, G., Les conditions sociales et organisationnelles du changement des pratiques de consommation d’énergie dans l’habitat collectif ». Thèse de doctorat de sociologie, Université de Paris Descartes, 2011.

[2] Élément du Tétrapharmakos d’Épicure.

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