[Dossier biosourcés] 5# - Intégration des biosourcés chez un industriel : une solution pour l’émergence des filières

5973 Dernière modification le 26/03/2020 - 11:00
[Dossier biosourcés] 5# - Intégration des biosourcés chez un industriel : une solution pour l’émergence des filières

Soprema, spécialiste de la conception de produits d’étanchéité, d’isolation, solutions de couverture et sous-couches phoniques, intègre depuis des années des technologies constructives biosourcées, tout en s’inscrivant dans une démarche constante d’amélioration de ses performances techniques. Rémi Perrin, directeur R&D chez Soprema, nous enseigne les ressorts de l’intégration de ces matériaux dans les activités de l’entreprise.  

Pourquoi un industriel comme Soprema s’est-il intéressé aux matériaux biosourcés ? 

Rémi Perrin : Dans les années 2008-2010, le cours du baril du pétrole fluctuait à la hausse et les prévisions allaient également dans ce sens. Soprema, utilisant énormément de matières premières issues de la pétrochimie, , était alors dépendante et vulnérable aux aléas du prix du pétrole. Nous avons donc étudié les substitutions progressives envisageables : d’abord dans les matières premières, puis dans les solutions et enfin dans les systèmes. Avec nos partenaires, nous avons mis en place le programme de recherche et développement nommé « Mutatio » visant à substituer 65% de nos matières premières issues du pétrole par des produits éco-sourcés. Il s’agit d’une définition plus large que celles des matériaux biosourcés puisqu’ils incluent des produits issus de la biomasse mais également du recyclage. Le prix du baril de pétrole étant aujourd’hui bien plus faible, moins de 40$, les produits biosourcés sont moins compétitifs qu’espéré surtout, s’ils sont à propriétés équivalentes. 

Comment assurer que les biosourcés restent néanmoins compétitifs ? 

R.P : Pour qu’ils constituent un choix préférable aux produits issus du pétrole, il est essentiel de créer une forte valeur ajoutée aux produits biosourcés. En effet, dans le domaine de la construction comme ailleurs, le seul argument du biosourcé ne suffit souvent pas à convaincre d’acheter des produits plus chers. Pour contrebalancer cela, il convient de s’intéresser à d’autres caractéristiques comme le transport, qui représente un coût important pour des matériaux volumineux ou des qualités absentes ailleurs, comme par exemple,  la performance acoustique associée à de la performance thermique. 

Quelle est la valeur ajoutée des matériaux biosourcés chez Soprema ? 

R.P : L’un de nos atouts est notre capacité R&D. Soprema peut compter sur une communauté d’une centaine de chercheurs qui avancent sur la connaissance des applications du biosourcé à nos produits, qui va des nouvelles molécules jusqu’à l’interaction entre l’enveloppe du bâtiment et le microclimat. 35% à 40% de nos recherches portent sur les produits éco-sourcés, qui comprennent le recyclage et le biosourcé. Nous avons par exemple une gamme complète d’isolants à base de ouate de cellulose issue du recyclage du papier. Mais il s’agit d’un travail de longue haleine, puisque nous récoltons aujourd’hui, en 2020, les fruits de travaux démarrés parfois il y a  plus de dix ans. 

R.P : Plus généralement, les matériaux biosourcés ne doivent pas être considérés comme performants par essence. Comme tout autre produit, ils ont leurs propres caractéristiques. S’ils sont intéressants dans les transferts d’humidité ou le déphasage thermique par exemple, il est essentiel d’étudier comment on doit les mettre en œuvre pour en tirer le meilleur parti. Je pense notamment à la résistance au feu qui est à prendre en compte pour certains d’entre eux. Aujourd’hui, celle-ci est bien étudiée chez les matériaux classiques. De la même manière, les bâtiments sont conçus pour et avec certaines solutions et il ne faut pas seulement les remplacer par des biosourcés. Avec notre volet formation, nous essayons d’éviter que les professionnels qui travaillent avec de l’isolation en laine de verre le matin, travaillent exactement de la même manière avec de la ouate de cellulose l’après-midi.

La R&D est donc un facteur déterminant pour le déploiement des matériaux biosourcés 

R.P : Nous avons encore besoin de connaissances, de savoirs et de développements techniques pour pouvoir accompagner le développement de solutions efficaces, et il ne faut pas confondre vitesse et précipitation. Il est essentiel de ne pas se fixer un objectif de substitution totale et non réfléchie des matériaux classiques par du biosourcé, mais d’avoir une bonne compréhension des applications pertinentes : quel matériau, pour quel produit et quel usage. La R&D permet de connaître au cas par cas les applications possibles du biosourcé et cela passe par des études durant tout le cycle de vie du produit : essais chantiers, essais d’application, suivis dans le temps et à toutes les saisons… A ce jour, nous n’avons pas toutes les connaissances théoriques …Ce sont des étapes cruciales, notamment au regard des organismes certificateurs comme le CSTB avec qui nous travaillons. Celui-ci délivre des avis techniques dont les exigences sont grandes du fait de la nouveauté des produits. 

Comment un industriel peut-il aider les filières émergentes du biosourcé ? 

R.P : Deux éléments, sur lesquels les industriels peuvent apporter leur soutien, sont indispensables pour développer des filières biosourcées. Premièrement, l’apport en expertise sur le développement produit. Les industriels doivent en effet apporter leur méthodologie en développement et mise en marché. Deuxièmement, le réseau commercial. La chaîne de valeur des matériaux de construction en France est aujourd’hui fortement structurée et, le négoce en matériaux est un partenaire important. Il est donc nécessaire pour les nouveaux entrants de se doter d’un réseau commercial, en plus d’avoir de bons outils et de bons matériaux. Nos produits sont par ailleurs volumineux, il faut prendre en compte cette spécificité car elle impose une logistique et une organisation huilées. 

Comment envisagez-vous l’avenir des matériaux biosourcés ?

R.P : Le biosourcé va connaître des évolutions positives puisqu’il répond à une vraie attente sociale et sociétale et s’inscrit dans des politiques de RSE de plus en plus ambitieuses. Il est une des modalités de réponse pour que le secteur du bâtiment cesse d’être le premier émetteur de gaz à effet de serre. L’avenir des biosourcés est prometteur chez Soprema, nous visons une part de 25 à 30% de produits à base de matériaux biosourcés dans notre offre d’ici 2 à 3 ans. La vitesse de mise en œuvre de cet objectif dépendra néanmoins de la RE2020. 

Il faut cependant garder à l’esprit que le déploiement des matériaux biosourcés est un travail sur le temps long, les cycles de renouvellement du bâti se comptant en dizaines d’années. Il passe en outre par de nécessaires évolutions réglementaires, particulièrement dans le vrai calcul des émissions de gaz à effet de serre que permettent les analyses de cycle de vie. Cela implique de changer de paradigme et de passer d’une obligation de moyens à une obligation de résultats. La structuration des filières locales est également un facteur déterminant au développement des biosourcés.

Il existe donc des enjeux très spécifiques pour les biosourcés

R.P :  A commencer par les potentiels impacts de l’utilisation des biosourcés sur l’environnement : les enjeux de monoculture, notamment l’huile de palme utilisée dans la fabrication de matériaux biosourcés, la raréfaction des ressources, qui peut rentrer en contradiction avec le marché de masse qu’est le secteur de la construction ou encore la non-rivalité avec les produits alimentaires. Pour pallier cela, il faut considérer les matériaux biosourcés comme faisant partie d’une panoplie plus large de solutions renouvelables à mobiliser simultanément. Cela comprend notamment les produits recyclés, qui proposent des performances très intéressantes et compétitives. 

Ces enjeux ont donc un impact sur votre offre ?

R.P :  Oui, nous choisissons avec soin nos matières premières et nous travaillons beaucoup avec la fibre de bois qui est issue du massif des Vosges, proche de notre usine. Nous proposons ainsi une offre isolation pour les parois et avons développé le système Pavaroof d’isolation thermique pour toiture terrasse 100% biosourcé. C’est le résultat de 3 ans et demi de R&D dans les domaines du transfert d’humidité, la validation d’essais au vent et de résistance au feu des systèmes.

 

Le système Pavaroof est complémentaire à notre gamme de membranes d’étanchéité conçues en partie avec des matériaux biosourcés : de l’huile de colza européenne. Ce produit s’illustre par des garanties supplémentaires en termes de durabilité par rapport aux matériaux classiques. Les coûts futurs de maintenance et de rénovation sont donc moindres. Il s’agit d’un produit que nous avons breveté sous le nom de Mammouth Neo et que nous commercialisons depuis 2013. La prochaine étape, qui existe déjà dans nos laboratoires, est un produit d’étanchéité 100% biosourcé.

 

Propos reccueillis par Mathilde Driot, Construction21

 

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