#4 - Innovation financière : les nouvelles régulations économiques du climat

Rédigé par

Christian Brodhag

Vice-Président Construction21 France / Président Construction21 AISBL

2383 Dernière modification le 05/06/2019 - 14:24
#4 - Innovation financière : les nouvelles régulations économiques du climat

L’enjeu climatique et son impact sur la finance a conduit les institutions financières à des innovations à différents niveaux. La régulation économique de la question climatique a porté dans un premier temps sur le prix du carbone. Sa traduction dans la fiscalité du carburant en est devenue le symbole. De nombreuses critiques se sont élevées contre cette doxa économique. Certaines portaient sur les limites du champ d’application, comme par exemple le fait que le petit consommateur paie mais que les « gros », comme le transport maritime ou aérien y échappent. Les questions soulevées sont d’ordre de l’équité et de l’efficacité.

D’autres critiques portent sur la méthode de fixation du prix, par la fiscalité ou le marché, et sur l’affectation de la rente liée à ce prix. Le processus issu de la conférence de Kyoto, et repris par l’Europe, confiait au marché le soin d’ajuster ce prix à partir de quotas alloués. L’instabilité du prix et sa non prédictibilité ont rendu difficiles l’anticipation et l’intégration de ce prix dans les stratégies économiques des investissements dans les solutions bas carbone. Le marché des permis affectait les rentes aux entreprises, la fiscalité l’affecte aux Etats. Son usage soit pour le développement des solutions climatiques soit pour contribuer au budget général de l’Etat fait aussi l’objet de polémiques.

Intégrer un prix du carbone dans le mécanisme de marché vise à peser sur des transactions immédiates et locales. La rationalité économique de l’incitation par le prix du carbone implique en effet que la cible ait connaissance et accès à des solutions alternatives. Quand ces solutions sont collectives ou touchent l’investissement échappant à l’acteur économique concerné, la fiscalité devient confiscatoire. Le prix du carbone peut être un élément des politiques climatiques mais ce n’est pas le bon levier pour toucher des échelles collectives, territoires ou pays, ou les choix ne sont pas uniquement économiques. Il ne permet pas de gérer le long terme.

La prise en compte du long terme pose la question de l’investissement et son financement

L’orientation de la finance a commencé par la mise en place de fonds spécialisés qui visent des investissements dans les infrastructures dites "vertes", sans toujours être en mesure de définir de façon claire et exigeante ce que l’on entend par cette expression. Mais c’est quand même globalement un versant positif de la finance de la gestion des opportunités qui s’oriente vers les énergies renouvelables, la gestion des déchets, les économies d’énergie, les substituts aux matériaux et process carbo-intensifs... Cette finance verte qui vise l’abattement des émissions de gaz a effet de serre a élaboré des processus de redevabilité et des mécanismes d’évaluation (MRV) pour justifier de son efficacité en termes d’émissions de carbone. Un des engagements internationaux sur le climat vise à allouer 100 milliards de $ pour aider les pays en développement. Il vise d’une part à financer l’atténuation c’est-à-dire les mesures d’abattement des émissions mais aussi, pour une part équivalente, à l’adaptation aux changements qui s’annoncent en renforçant la résilience des sociétés en développement.

Depuis le rapport Stern, qui a montré en 2006 le coût économique de la non action et donc le risque pour les économies de ne pas prendre en compte la question climatique, les acteurs économiques se sont intéressés à la question, à travers différents initiatives internationales. La Commission Mondiale sur l’Économie et le Climat (https://newclimateeconomy.report/) recommande dans son rapport 2018 d’accélérer les efforts sur la tarification du carbone et de rendre obligatoire la publication des risques financiers liés au climat. Cette recommandation a eu une réponse opérationnelle. Le G20 a mis en place la Task Force on Climate-related Financial Disclosures (TCFD) présidée par Michael R. Bloomberg l’ancien maire de New York (https://www.fsb-tcfd.org/). Le rapport publié en juillet 2017 établit une série de recommandations précises pour évaluer risques et opportunités, considérant que le changement climatique mondial et les mesures prises pour l'atténuer exposent les institutions financières aussi bien en tant que prêteurs qu’en tant qu’investisseurs dans des projets de développement territorial.

Cette prise en compte des risques vise à changer l’économie grise et à dévaloriser les actifs non alignés sur les objectifs climatiques. Dans cette logique, la finance devient anticipatrice et co-gestionnaire des risques et des opportunités de la transition climatique.

  • Les risques de transition : La transition vers une économie à faible émission de carbone peut impliquer d'importants changements politiques, juridiques, technologiques, managériaux et commerciaux pour répondre aux besoins d'atténuation et d'adaptation liés au changement climatique. En fonction de la nature, de la rapidité et de la portée de ces changements, les risques de transition peuvent présenter des niveaux variables de risque financier, de réputation et d’attractivité pour les entreprises et les organisations.
  • Les risques physiques, qui résultent directement des conséquences du changement climatique, peuvent être dus à des événements (aigus) ou à des changements à plus long terme (chroniques) des régimes climatiques. Les risques physiques peuvent avoir des implications financières pour les organisations, telles que des dommages directs aux actifs et des impacts indirects de la perturbation de la chaîne d'approvisionnement, ou dans l’accès à certaines ressources (eau, alimentation…).

 

 

Figure 1 : Risques, opportunités et impact financier liés au climat[1]

 

  • Les opportunités : Les efforts visant à atténuer les effets du changement climatique et à s'y adapter sont riches d’opportunités pour les organisations, par exemple, grâce à l'efficacité des ressources et à la réduction des coûts, à l'adoption de sources d'énergie à faible émission et à prix stable car exonéré des incertitudes liées aux coûts des énergies fossiles, au développement de produits et services bas-carbone, et au renforcement de la résilience tout au long de la chaîne d'approvisionnement. Les opportunités liées au climat varieront en fonction de la région, du marché et du secteur d'activité d'une organisation.

La TCFD considère que les informations financières relatives au climat devraient être communiquées aux clients des gestionnaires d’actifs et aux bénéficiaires des détenteurs d’actifs afin qu’ils puissent mieux comprendre la performance de leurs actifs, prendre en compte les risques de leurs investissements et faire des choix d’investissement plus éclairés. Cette communication porte sur quatre éléments :

  • La gouvernance : Publier la gouvernance de l’organisation concernant les risques et les opportunités liés au climat.
  • La stratégie : Publier les impacts réels et potentiels des risques et opportunités liés au climat sur les activités, la stratégie et la planification financière de l’organisation.
  • La gestion des risques : publier la façon dont l'organisation identifie, évalue et gère les risques liés au climat
  • La métrique et les objectifs : Divulguer les mesures et objectifs utilisés pour évaluer et gérer les risques et opportunités liés au climat

 

Le TCFD a détaillé les orientations pour les organismes financiers (banques, assurances, entreprises, propriétaires d'actifs, gestionnaires d'actifs) et non financiers (énergie, transports, matériaux et bâtiments, agriculture, aliments et produits forestiers).

Fin 2018, 513 organisations soutiennent cette initiative dont 287 organisations financières regroupant 100 000 milliards de dollars d’actifs.

Ces critères vont concerner les fonds et les grandes entreprises dans un premier temps. Mais les PME devraient aussi s’y intéresser. Les innovations de toutes natures qui visent l’enjeu climatique pourraient opportunément être analysées dans ce référentiel. Cela permettrait d’une part une amélioration leur contribution à l’enjeu climatique et d’autre part une diffusion plus facile par le biais des fonds et des entreprises qui auraient adopté ce référentiel.

 Article signé Christian Brodhag, président de Construction21 France et International, professeur émérite à l'Ecole des Mines de Saint-Etienne

 

[1] Recommendations of the Task Force on Climate-related Financial Disclosures (TCFD) December 14, 2016

 Crédit photo : timj on Unsplash

 

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