« Il faut sortir du déconstruire-enfouir pour passer au réutiliser-réemployer »

Rédigé par

SOPHIE SANCHEZ

Responsable communication

1905 Dernière modification le 06/12/2017 - 11:50
« Il faut sortir du déconstruire-enfouir pour passer au réutiliser-réemployer »

François-Michel Lambert préside l’Institut national de l’économie circulaire. Créé en février 2013, il rassemble 200 membres – entreprises, CCI, fédérations, ONG, collectivités territoriales, experts et universités. L’Inec a été désigné le 22 novembre par la Commission européenne comme le référent français dans le cadre de la plateforme européenne de l’économie circulaire, sous l’égide du Conseil économique, social et environnemental (CESE).

Pourquoi le passage à l’économie circulaire devient-il une nécessité ?

François-Michel Lambert: La révolution industrielle a grandement facilité la construction de bâtiments et d’infrastructures. Revers de la médaille, le secteur du BTP mobilise des quantités considérables de matériaux et d’énergie, tant dans les phases de construction que d’exploitation.

Au-delà, le secteur est le principal producteur de déchets en volume à l’échelon hexagonal [quand bien même il s’agit pour une majeure partie de terres et matériaux inertes, ndlr]. Or il y a là un enjeu d’image. Ces volumes importants sont de moins en moins acceptés, d’autant que certains acteurs de la filière procèdent à des dépôts sauvages.

Au-delà, désormais, les entreprises de la construction se heurtent à un risque incontournable pour leur activité, un risque physique : des matières premières vitales viendront à manquer, bien avant les métaux ou matériaux rares. Ainsi l’accès au sable et aux granulats pourrait se tarir très prochainement, ou devenir hors de portée tant il sera onéreux – le sable étant une ressource non renouvelable. Les majors du secteur l’ont bien compris et intègrent désormais le « risque ressources » dans leur business modèle. Mieux réutiliser les matières premières existantes devient donc vital. Il faut sortir du « déconstruire-enfouir » pour passer au « réutiliser-réemployer ».

En quoi l’économie circulaire constitue-t-elle une opportunité pour le secteur ?

François-Michel Lambert: Le modèle économique ne peut plus être celui d’une croissance à outrance. Chaque européen et donc chaque Français mobilise, pour assurer son niveau de vie, 340 tonnes de matières – tous types confondus (du meuble à la route en passant par les canalisations). Si nous continuons ainsi, nous mobiliserons 400 tonnes par habitant dans dix ans et plus de 500 tonnes par habitant dans 20 ans. Un rythme intenable.

Ces 340 tonnes sont la traduction que notre pays est richement doté en bâtiments, autoroutes, ports, aéroports, etc. Pour satisfaire aux besoins de la population française qui connaît une forte croissance démographique (notre pays compte 200 000 habitants de plus chaque année, ce qui représente un million de personnes de plus tous les cinq ans), nous devons développer de nouveaux services, favoriser la rénovation énergétique et le gain en confort en intensifiant l’usage des ressources déjà disponibles.

Les entreprises de BTP sont à la croisée de ces enjeux. Le recours à l’économie circulaire constitue pour elles l’opportunité d’agir différemment. Ce sont d’ailleurs celles qui négocieront au mieux ces ruptures par rapport aux trajectoires précédentes qui l’emporteront. Rappelons que la plupart des bâtiments ne sont utilisés qu’à raison de 30 % de leur temps !

Encore faut-il que les femmes et les hommes politiques, maires ou présidents de communautés de communes acceptent eux-mêmes de se remettre en cause et de ne plus lier leur mandat ou leur popularité au fait de couper des rubans et d’inaugurer des bâtiments ou des routes. Et sachent valoriser des projets différents de réemploi ou visant à promouvoir de nouveaux usages des bâtiments ou infrastructures déjà existants, moins médiatiques mais indispensables pour mieux utiliser les 340 tonnes de matière déjà disponibles pour chaque Français.
 

Propos recueillis par Sophie Sanchez, Direction du développement durable et de l’innovation transverse, Eiffage

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