« Il faut investir plus dans la rénovation des passoires énergétiques »

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CLER La rédaction

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1652 Dernière modification le 19/11/2018 - 09:34
« Il faut investir plus dans la rénovation des passoires énergétiques »

En venant à la rencontre des personnes en situation de précarité énergétique, l'association picarde réseau Eco Habitat accompagne les foyers les plus vulnérables dans la rénovation énergétique de leur logement. Entretien avec Franck Billeau, son directeur.

Comment est né réseau Eco Habitat ?

En 2014, en tant que responsable régional du Secours catholique, j’ai constaté que 25 % des aides distribuées permettaient de financer des impayés d’énergie. Nous côtoyions des personnes très en difficultés avec un besoin important de travaux dans leur logement, mais paradoxalement, les dispositifs financiers prévus par l’Etat étaient sous-employés. Nos bénévoles connaissaient mal les ressources existantes pour accompagner les plus précaires dans l’amélioration thermique de leur logement et les aider à moins consommer d’énergie. Le réseau est donc né de cette volonté de « faire rentrer » les plus modestes, ceux qu’on appelle les invisibles, dans des dispositifs de droit commun, afin qu’ils puissent réaliser ces travaux. Deux personnes sur trois sont en privation de chauffage lors de notre première rencontre. Le revenu fiscal de référence est de 13 000 euros par an, alors que le plafond de revenus des ménages modestes selon les critères de l’Agence nationale de l’habitat (Anah) est de 25 000 euros.

« Quand on ne sait pas comment boucler les fins de mois, isoler son habitat, c’est tout bonnement inimaginable ! »

Quand, comme eux, on ne sait pas comment boucler les fins de mois, payer la cantines des enfants ou mettre de l’essence dans sa bagnole pour aller bosser, dépenser a minima 20 000 euros dans l’isolation et l’amélioration de son habitat, c’est tout bonnement inimaginable ! Pourtant après trois ans d’activité, nous pouvons constater qu’un logement digne et salubre leur a permis d’actionner des leviers d’insertion, par exemple de retrouver du travail, de suivre une formation, ou de recevoir à nouveau leur famille ou leurs proches. Grâce à notre action, les habitants commencent enfin à consommer de l’énergie ! Cela signifie qu’ils n’ont plus froid chez eux et ne sont plus en situation de privation.

Comment fonctionne le réseau ?

L’équipe formée autour de cinq personnes accompagne actuellement une centaine de « situations » sur le territoire picard. Nous sommes un outil technique au service des bénévoles du Secours catholique, ou des municipalités qui repèrent des familles en difficultés. D’abord, nous réalisons une visite de « pré-diagnostic » avec le bénévole qui représente un tiers de confiance, puis nous identifions et prenons contact avec l’opérateur local d’amélioration de l’habitat agréé par l’Anah. Ensuite, nous aidons les familles à trouver les aides financières disponibles en plus (via la CAF, les groupes de protection sociale ou les caisses de retraites, le CCAS, la Communauté de communes, le Département, la Région…) Nous pouvons également mobiliser du soutien familial dans la préparation des chantiers, la réalisation des finitions, mais aussi les partenaires bancaires pour trouver un microcrédit ou une assistante sociale pour rassurer la famille.

L’idée est de maximiser le programme de travaux et les aides pour que la restauration de l’habitat soit propice à un mieux être social. Mais pour cela, il faut que le projet soit réaliste aux yeux du bénéficiaire dès le démarrage : quand nous obtenons un financement à hauteur de 60 % du coût global des travaux, dont le montant moyen est de 35 000 euros, c’est encore insuffisant pour des familles qui ont 900 euros par mois pour vivre. Le reste à charge est trop important. Nous essayons donc de faire plus.

Quels sont vos résultats et quels obstacles observez-vous qui empêchent la réalisation des chantiers ?

Nous voulons démontrer qu’il est nécessaire d’expérimenter plus largement ce dispositif : ce que nous faisons en Picardie, c’est possible de le faire dans les autres départements des Hauts de France. Les problématiques et les bénévoles sont les mêmes partout. Nous avons réalisé 30 chantiers en trois ans : c’est trop peu. Cela ne va pas assez vite car, effectivement, nous faisons face à au moins trois obstacles. Le premier, c’est le nombre d’interlocuteurs financiers et d’acteurs à contacter : nous sommes soumis et contraints par le rythme des administrations et de leur bon vouloir. Le deuxième obstacle, c’est le « reste à charge » : si nous voulons vraiment permettre aux familles de faire des travaux énergétiques performants, il faut planifier un gros chantier et donc un gros financement. Sinon, on encourage les petits travaux qui sont des pansements sur des jambes de bois. Il manque clairement une enveloppe financière pour lutter contre la pauvreté réelle que nous rencontrons et ses effets sur le logement. Pourtant, de l’argent en France il y en a, et nous pensons qu’il faut l’investir dans la rénovation des passoires énergétiques. Cela permettra d’éviter par la suite des frais supplémentaires, de santé ou d’assurance chômage.

Enfin, le dernier obstacle, ce sont les artisans à qui nous demandons d’avoir une conscience sociale, ce qui n’est pas simple à conjuguer avec le besoin d’une entreprise d’être rentable économiquement. Pour cela, il faut parvenir, par exemple, à réduire la durée d’instruction des dossiers, de façon à ce qu’aucun problème de trésorerie ne soit porté par l’artisan et ainsi, le rassurer. Il faut également standardiser les paquets de travaux pour optimiser nos actions, faciliter l’écriture des devis et l’usage systématique des mêmes matériaux biosourcés quand cela est possible. Pour cela, nous cherchons à faire dialoguer tous ces acteurs qui sont parfois méfiants les uns des autres, et qui ne parlent pas les mêmes langues. Cette intermédiation que nous proposons permet de démontrer que tout le monde a quelque chose à y gagner. C’est difficile mais les enjeux sociaux, environnementaux, l’impact sur la création d’emplois au niveau local, sont fondamentaux.

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