Energie grise: un changement de paradigme?

Rédigé par

Stéphane Cochet

architecte indépendant

4175 Dernière modification le 19/12/2016 - 09:54
Energie grise: un changement de paradigme?

Dans le très bon article « Energie grise, la face cachée de la construction ? » publié sur Construction 21 et présentant notamment le label BBCA, dernier né de la « révolution énergétique en marche », basé sur des méthodes scientifiques, on apprend que le bilan GES des constructions serait finalement bien plus important que les GES d'exploitation émis pendant une durée de vie typique (DVT) de bâtiment. https://www.construction21.org/france/articles/fr/lenergie-grise-la-face-cachee-de-la-construction.html

Que s'est-il passé ? La démarche HQE, les réglementations thermiques successives étaient basées sur le fait que la consommation énergétique d'exploitation et donc les GES émis par ces consommations, constituait la part la plus importante de la consommation et des émissions des bâtiments sur leur durée de vie, et qu'il fallait en conséquence concentrer les actions sur la réduction des postes de consommation énergétique.

Une étude célèbre réalisée par un bureau d'étude non moins réputé et connu pour ses prises de position en faveur de l'industrie cimentière (contributeur important des GES à l'échelle mondiale), concluait que les GES des constructions type BBC qu'elles soient en béton, en bois, en paille, n'impactaient finalement que très peu sur le bilan GES global d'une DVT de bâtiment (5 à 10%). http://www.unibeton.fr/NR/rdonlyres/B17FE724-2DAC-4694-B86E-A003A19605CE/0/EtudeQEBSynthese.pdf

Les progrès réalisés par la performance énergétique des bâtiments construits depuis la RT2012 seraient tels qu'il faudrait maintenant se concentrer en premier lieu sur l'optimisation des modes constructifs de nos bâtiments ?

Performance énergétique de la RT2012 et coûts P1/P2/P3.

Les différentes réglementations qui se sont succédées depuis 1974 ont-elles fondamentalement changé les modes constructifs des bâtiments de logement français ? On continue globalement en 2016 à construire en façade béton porteuse et à isoler par l'intérieur ITI (spécificité française à l'échelle européenne), on a introduit le double vitrage, la VMC hygro A et B (1982), les rupteurs pour les balcons, et développé les systèmes type ballons ECS thermo-dynamique, PAC, panneaux solaires thermiques etc etc... et on va maintenant vers les bâtiments connectés de la smart grid.

Qu'en est-il de l'évaluation de ces bâtiments de la RT ? Sur quelles campagnes de mesure s'appuie-t-on pour affirmer que ces bâtiments nouvelle génération vont émettre 5kgeqCO²/m².a ?

Les publications type REX, font surtout état des dysfonctionnements rencontrés pour expliquer pourquoi ces bâtiments ne fonctionnent pas : les habitants qui ne se chauffent pas à 19°C, les mises en œuvre qui sont mal réalisées par les entreprises, les gestionnaires d'immeuble et les entreprises de maintenance qui sont défaillants, etc... Le modèle lui n'est pas remis en cause : faire entrer de l'air froid dans les logements, rejeter de l'air chaud dehors, et compenser une enveloppe somme toute peu performante par des systèmes énergétiques plus ou moins complexes à mettre en œuvre et à entretenir ne semble pas poser de problème... https://www.construction21.org/france/articles/fr/pollution-atmospherique-et-qualite-de-lair-interieur-ventilation-simple-flux-vs-double-flux.html

Les quelques campagnes de mesure accessibles font état d'une consommation réelle minimum de x1,5 à x2 par rapport aux études thermiques de conception. Les coûts en entretien maintenance en P1/P2/P3, eux, explosent (suivant retours bailleurs) et peu d'études sont aujourd'hui menées sur ces postes alors qu'ils constituent pour les bailleurs des postes déterminant pour l'exploitation des bâtiments et la maîtrise des charges locatives.
http://www.cstb.fr/actualites/detail/performance-energetique-reelle-090315/

Sur le bâtiment de Montreuil réalisé par Grand Paris Habitat pour OSICA, bâtiment certifié passiv haus, le Bbio est 3,5 fois plus performant qu'un bâtiment RT et les consommations réelles sont estimées suivant scénario optimiste et scénario pessimiste de 2 à 3 fois moins consommateurs sur les 5 postes RT qu'un bâtiment RT2012.

Ce bâtiment, entièrement réalisé en ossature bois et filière sèche intégrale sur 6 niveaux, labellisé bâtiment biosourcé niveau 3 par Cerqual-Qualitel, présente un bilan GES construction de 12kgeqCO²/m²shonrt pour une DVT de 50 ans. Le bilan GES exploitation lui est estimé à 895kgeqCO²/m²shonrt pour une DVT équivalente. Les coûts P1/P2/P3 sont eux estimés à 0,80€HT/m²shab.mois sur une DVT de 30ans.
https://www.construction21.org/france/case-studies/fr/bois-debout.html

Nous sommes loin des 5kgeqCO²/m².a d'émission GES exploitation annoncés, liés à la consommation énergétique des BTBC, bâtiments très basse consommation....

 

Energie grise, métabolisme urbain et empreintes environnementales.

« Métabolisme urbain et empreintes environnementales sont encore mal connus : les études de cas sont rares, les méthodes […] en cours d’élaboration […]. Les enjeux, […] fondamentaux, dépassent la simple comptabilisation de tonnes, d’hectares, de mètres cubes [consommés] pour réfléchir […] sur lamatérialité des sociétés à l’anthropocène». S.Barles, 2008. http://annales.org/re/2008/re52/Barles.pdf

 

Le secteur du bâtiment résidentiel et tertiaire, constitue le 1er poste de consommation d'énergie avec 44% de la consommation devant les transports 32%, l'industrie 21% et l'agriculture 3% et le 2e poste des GES avec 20% derrière le transport (28%), devant l'industrie manufacturière et de construction (13%), l'industrie de l'énergie (11%), autres dont agriculture (3%). http://www.developpement-durable.gouv.fr/Emissions-europeennes,10852.html

 

Ces données n'intègrent pas la part de l'industrie liée au secteur du bâtiment ni celle des transports.

 

La démarche « Energie Grise » devrait permettre de faire avancer les connaissances et la quantification des GES émis liés à l'activité du bâtiment. On estime par exemple à 16% la part du trafic poids lourd circulant en Ile de France et ne transportant que du déblai et du déchet de chantier.

https://atelier-acturba.fr/wp-content/uploads/2014/09/Pages-from-BAT_GP_MOOK_article-act-urba.pdf

 

Cette démarche est nécessaire pour accompagner les villes et les états qui se sont engagés récemment pour maintenir le niveau des hausses de température en dessous de 1,5°C. http://www.lemonde.fr/pollution/article/2016/12/02/les-grandes-villes-veulent-bousculer-les-etats-dans-la-lutte-contre-le-rechauffement-climatique_5042395_1652666.html

 

Epuisement des ressources non-renouvelables.

Un élément peu évoqué en ce début de 21e siècle est la question de l'épuisement des ressources non renouvelables. On continue à avancer comme au 20e siècle avec l'idée d'une ressource inépuisable et infinie, d'une « Mère nature » bienfaitrice, où l'exploitation et l'épuisement des ressources naturelles sont encore considérés dans nos PLU comme une « mise en valeur de la ressource naturelle».

Pourtant de nombreux indicateurs relayés dans la presse quotidienne, nous indiquent que ce n'est plus le cas : le sable par exemple, deuxième matériau le plus consommé au monde après l'eau, est en voie d'épuisement. http://www.lemonde.fr/culture/article/2013/05/28/le-sable-enquete-sur-une-disparition_3416964_3246.html

Le rapport sur la question de l'approvisionnement en matériaux pour la construction du Grand Paris fait état de l'épuisement des ressources en sable et granulats pour construire en béton. Il y est question de s'approvisionner en granulats marins extraits de la Manche et de construire une nouvelle centrale à ciment en IdF.... La question des impacts environnementaux sur la faune, l'érosion des cotes, la qualité de l'eau, le transport, les émissions C0² ne sont a priori pas abordés dans ces rapports...

Illustration: Rapport DRIEE - Taux de dépendance de l'IDF(%) selon sa capacité de production

http://www.driee.ile-de-france.developpement-durable.gouv.fr/l-approvisionnement-en-materiaux-du-grand-paris-18-a1282.html

 

Le label BBCA, la réglementation Energie-carbone vont-t-ils aider à inscrire l'activité du bâtiment dans une approche systémique ? 

 

Transition énergétique et systèmes résilients.

Avril 2016 - Hors Série de la revue des Centraliens: Quels choix technologiques pour la construction d'une société durable?

http://association.centraliens.net/medias/editor/files/HS_AECP_20160419_Web.pdf

Epuisement des ressources non renouvelables, taxe carbone, augmentation des prix de l'énergie à court terme constituent autant d'indicateurs économiques qui montrent la nécessité de diversifier les moyens de production de la construction si l'on veut à moyen terme continuer à construire à coûts maîtrisés.

Nicolas Ferrand, Directeur de l'EPA Marne et de l'EPA France, premier établissement public à adhérer à ADIVBois décrit ainsi les enjeux de la Ville du 21e siècle :

«Comment décririez-vous la ville de demain ?
La ville durable du XXIe siècle devra répondre à sept défis majeurs. Le premier est celui de la performance et de la transition énergétique. Il nous faut inventer une ville « post carbone », une ville des courtes distances composée de quartiers mêlant ancien et nouveau et plus autonomes énergétiquement.

Le second défi consiste à réduire les prélèvements sur les ressources naturelles en recyclant le plus possible les matériaux et en s’investissant résolument en faveur des matériaux biosourcés comme le bois.

Les dérèglements climatiques, avec leurs pics de chaleur et les phénomènes extrêmes, auront eux aussi un impact fort sur la capacité de résilience des formes urbaines. A cela s’ajoute la tension sur les finances publiques et privées qui réinterrogeront notre rapport aux équipements publics et pousseront probablement à leur mutualisation, à leur polyvalence et à des modes de gestion alternatifs.

Par ailleurs, la vie urbaine connaît déjà un grand bouleversement grâce au numérique et aux nouvelles technologies. Smart grid, bâtiments connectés, domotique : la ville de demain devra évidemment les intégrer pour permettre un suivi en temps réel des usages et une meilleure optimisation de la gestion des bâtiments et des équipements.
Le sixième défi, face à une demande d’appartenance et de sécurité croissante, au vieillissement de la population et à la montée de l’individualisme, consistera à créer une forme urbaine qui renforce le sentiment d’appartenance, qui inspire chacun dans le temps long de l’histoire urbaine et dans le temps court de la vie sociale.

La ville doit faire société, société à l’échelle du quartier mais aussi société à l’échelle de la ville entière, diverse et vibrante.

Enfin, le dernier défi sera de repenser la relation entre la nature et la ville pour obtenir une nature autre que domestiquée et aseptisée et réintégrer la biodiversité dans l’espace urbain.

Autant de défis que nous, aménageurs, en lien constant avec les collectivités du territoire, nous tentons de relever à Marne-la-Vallée afin de bien adapter nos projets aux nouvelles attentes des citoyens. »

Interview de N.Ferrand Directeur d'EPA MARNE EPA FRANCE dans la revue mensuelle des anciens élèves et diplomés de l'Ecole Polytechnique - Magazine N°706 Juin/Juillet 2015 - Dossier FFE
http://www.lajauneetlarouge.com/article/marne-la-vallee-ville-durable-et-desirable-du-xxie-siecle#.WEQiA304LYU

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