#9 - Economie circulaire et construction : plaidoyer pour l’ACV

Rédigé par

Charlotte Roux

Enseignant-Chercheur

4789 Dernière modification le 18/11/2019 - 11:32
#9 - Economie circulaire et construction : plaidoyer pour l’ACV

L’économie circulaire est aujourd’hui à l’agenda de nombreuses institutions. Collectivités, entreprises, Etats, etc. s’organisent en réseaux, préparent des plans d’action, feuilles de route et autres référentiels de bonnes pratiques afin de sortir d’un modèle économique linéaire à bout de souffle. Le secteur de la construction est particulièrement moteur dans ce domaine comme en témoigne les nombreuses initiatives sur le réemploi des matériaux, les projets démonstrateurs[1], les guides de bonnes pratiques[2], etc. Derrière cet engouement général se cache pourtant une importante hétérogénéité d’appropriation du concept.

Le projet PULSE-PARIS

Ce constat marque le point de départ du projet PULSE-PARIS, élaboré en 2017 par l’EIVP et ARMINES, en étroite collaboration avec les services de la Ville de Paris et financé par l’ADEME. Le projet est axé sur l’évaluation des pratiques d’économie circulaire dans le secteur de la construction. Il vise à rendre les outils d’écoconception à l’échelle du quartier plus complets et plus opérationnels, en intégrant les leviers d'action liés à l'économie circulaire.

Nous vous présentons ici un condensé des premiers enseignements de ce projet en partant des origines du concept d’économie circulaire, ses définitions actuelles, ses pratiques et l’importance de leur évaluation pour à la fois valider leur pertinence au regard des enjeux environnementaux et les prioriser dans un contexte urbain donné.

Origine du concept d’économie circulaire

L’origine même du terme reste floue. Certains le font remonter aux travaux de Boulding qui soulignent les dangers d’une économie « ouverte », considérant des ressources illimitées, alors que la planète est un système fermé. D’autres l’associent aux travaux de Pearce et Turner qui introduisent les premiers le concept de façon explicite[3]. D’autres encore remontent jusqu’en 1798 et à Thomas Malthus… Le point commun de l’ensemble de ces racines historiques reste la prise de conscience des enjeux écologiques engendrés par le système économique dominant et donc de la nécessité de trouver un mode de fonctionnement qui soit compatible avec les disponibilités et les dynamiques des ressources naturelles à l’échelle de la planète.

Définition actuelle, enjeux et pratiques

L’acceptation actuelle du terme est à dimension variable, parfois limitée à la gestion des déchets, parfois étendue aux enjeux sociaux de l’économie sociale et solidaire. Les travaux de Kirchherr (2017) ont dénombré près de 117 définitions de l’économie circulaire. Chacun y trouve alors son compte mais l’impératif de performance environnementale peut parfois en pâtir.

Pourtant nous avons aujourd’hui une crise écologique majeure à résoudre. Et le secteur de la construction et de l’aménagement est à la fois une partie du problème et une source de solution. Une partie du problème d’abord, par l’intensité et la diversité des enjeux énergétiques, climatiques et globalement environnementaux qui lui sont associés, en France, mais également dans le reste du monde. Le secteur du BTP était responsable de 45% de la consommation d’énergie finale en France en 2015[4], de 23% des émissions métropolitaines de gaz à effet de serre en 2015[5], de la production de trois quart des déchets produits en 2012[6], du quart de la consommation en eau en 2010[7], etc. Il constitue une partie de la solution également, car nous savons aujourd’hui construire des bâtiments produisant plus d’énergie qu’ils n’en consomment (Bâtiment à énergie positive, ou BEPOS[8]), nous pouvons renforcer la flexibilité des nouvelles structures pour mieux adapter leur usage futur et renforcer ainsi leur durabilité[9]. De nouveaux matériaux, biosourcés ou recyclés, sont employés dans le BTP[10] et de nouvelles formes d’organisation émergent pour mutualiser les équipements, gérer les eaux et certains déchets sur site… 

Indispensable, l’amélioration des performances environnementales du secteur de la construction est donc possible. Elle repose sur une diversité de matériaux, techniques constructives et modes de gestion constituant autant d’options dont les bénéfices sont à évaluer en regard d’autres impératifs techniques ou économiques. Il convient alors d’interroger dans quelle mesure les pratiques d’économie circulaire participent à cette amélioration.

Comparaison de « quartiers circulaires »

Dans le cadre de PULSE-Paris, un échantillon de cas de « quartiers circulaires » a été sélectionné, afin de vérifier la traduction concrète des principes de l’économie circulaire à cette échelle et d’en recenser les pratiques. Les cas Buiksloterham (Amsterdam), de Kera (Espoo), des Groues (Nanterre) et du projet de réhabilitation de l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul - cas d’étude privilégié du projet PULSE-PARIS - ont été analysés[11].

 

Tous les cas insistent sur la flexibilité et l’occupation temporaire des bâtiments, le réemploi des matériaux de construction, ainsi que des bâtiments existants, et l’éco-construction. Une attention particulière est portée aux aspects énergétiques des nouvelles constructions, avec des standards précis à atteindre. C’est un des seuls domaines où des objectifs de performance chiffrés sont définis.

Des différences concernant les outils employés sont par contre marquées. L’intérêt d’une « perspective en cycle de vie » est mis en avant mais il n’est pas associée à des exigences précises. Le métabolisme urbain est mobilisé comme outil de diagnostic mais celui-ci ne permet pas de prioriser ou discriminer des leviers d’actions à l’échelle du projet.

On constate ainsi sur le terrain une grande variété de pratiques, centrées sur les aspects environnementaux et sans évaluation quantitative permettant d’asseoir leur pertinence et/ou de les prioriser. Or « boucler la boucle » n’est pas toujours positif pour l’environnement[12]. Si les pratiques de valorisation matière permettent de réduire les consommations en ressources naturelles, elles ne sont pas forcément intéressantes sur le plan climatique ou écosystémique. Dans le cas d’un site de recyclage éloigné du chantier, le transport de matériaux pondéreux risque d’annuler les bénéfices environnementaux du recyclage. De même, la flexibilité et la modularité des espaces doivent être étudiées conjointement avec le confort d’été : l’utilisation systématique de cloisons légères à faible inertie peut engendrer une surconsommation de climatisation (notamment dans le cas des bureaux) par rapport à une conception avec des cloisons lourdes.

L’apport des outils d’écoconception basé sur l’analyse du cycle de vie

Des outils d’écoconception des bâtiments et des quartiers basés sur l’analyse du cycle de vie (ACV) sont développés depuis plus de 10 ans en France[13]. L’ACV est aujourd’hui plébiscitée dans nombre de secteurs comme la méthode la plus aboutie pour l’écoconception. Elle est quantitative, multi-étape et multi-critère. Elle permet donc de valider la performance environnementale de propositions techniques, technologiques ou comportementale et également de prioriser les pratiques sur un projet spécifique. Les potentiels conflits ou compromis pris en exemple plus haut (transport et recyclage, modularité vs inertie) peuvent être traités par ses outils.

L’ACV est d’ailleurs mise en avant dans la littérature scientifique comme étant la plus performante pour l’évaluation des pratiques d’économie circulaire[14]. Cependant, des freins comme l’importante quantité de données nécessaires, la complexité d’application de la méthode et l’importance d’avoir accès à des données spécifiques (enjeux de contextualisation et de régionalisation des inventaires) ralentissent la diffusion de cette méthode dans le secteur de la construction et de l’aménagement et elle apparait encore peu dans les documents guides sur l’économie circulaire.

Les travaux du projet PULSE-PARIS se concentrent donc sur ces enjeux afin d’améliorer l’opérationnalité des outils d’analyse du cycle de vie existants à l’échelle du quartier et de pouvoir rendre compte de façon objective et précise des nouvelles pratiques de construction et d’aménagement venues de l’économie circulaire.

Tableau 1: Les "quartiers circulaires" analysés, source : projet PULSE-PARIS

 

[1] Voir par exemple le pavillon circulaire du collectif d’architectes « encore heureux » : http://encoreheureux.org/projets/pavillon-circulaire/

[2] Voir : Livre blanc de l’ADEME : Economie Circulaire : un atout pour relever le défi de l'aménagement durable des territoires

[3] Voir : Rémy Le Moigne, L’économie circulaire – Stratégie pour un monde durable, Edition Dunod

[4] Bilan de l’énergie 2015, Ministère de l’environnement

[7] Rapport annuel 2010 du Conseil d’État 

[8] Voir de nombreux exemple sur l’observatoire dédié : https://www.observatoirebbc.org/bepos

[11] Pour plus de détail sur cette analyse comparative, voir Federica Appendino, Charlotte Roux, Myriam Saadé, Bruno Peuportier, Circular economy in urban projects: a case studies analysis of current practices and tools in Track 10/ Urban metabolism and circular economy  (Paper ID 77574)

[12] Haupt, M. & Zschokke, M. How can LCA support the circular economy?—63rd discussion forum on life cycle assessment, Zurich, Switzerland, November 30, 2016; Int J Life Cycle Assess (2017) 22: 832. https://doi.org/10.1007/s11367-017-1267-1

[13] Voir : Ecoconception des bâtiments et des quartiers, Edition Transvalor - Presse des Mines, 2008

[14] Voir : Elia, Valerio, Maria Grazia Gnoni, and Fabiana Tornese. 2017. “Measuring Circular Economy Strategies through Index Methods: A Critical Analysis.” Journal of Cleaner Production 142 (January): 2741–51. https://doi.org/10.1016/j.jclepro.2016.10.196. Et Giorgi, Serena, Monica Lavagna, and Andrea Campioli. 2017. “Circular Economy, Waste Management and Life Cycle Thinking.” Ingegneria Dell’ambiente 4 (3). http://dx.doi.org/10.14672/ida.v4i3.1141.

 

 Un article signé Charlotte Roux et Myriam Saadé, EIVP

 

Consulter l'article précédent : #8 - Économie circulaire et réemploi des matériaux : Enjeux et pratiques pour les organismes Hlm


           

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