[Dossier RE2020] #30 Adaptation : Un bâtiment peut-il être « futur ou climate-proof » ?

Rédigé par

Idriss KATHRADA

Directeur

6216 Dernière modification le 06/07/2020 - 12:00
[Dossier RE2020] #30 Adaptation : Un bâtiment peut-il être « futur ou climate-proof » ?

Le bâtiment est-il « futur ou climate-proof » ? C’est l’une des questions qui a émergé au cours de la décennie précédente, lors de l’élaboration de référentiels de bâtiments durables et d’autres initiatives sur l’impact du changement climatique pour le secteur immobilier. La réponse n’est pas aisée, non seulement parce que les bâtiments, aux usages et performances différenciés, sont érigés sur un territoire dans un environnement spécifique, mais aussi parce que l’ampleur du changement climatique reste soumise à des scénarii d’évolution différents. La variation entre 1,5° et 2° de réchauffement, telle qu’analysée et présentée dans le Rapport du GIEC en octobre 2018, s’accompagne d’impacts significativement différents, alors que la soutenabilité de ces objectifs est elle-même interrogée. 

Dans le cadre de l’expérimentation E+C-, l’attention a été particulièrement apportée à l’atteinte de niveaux de performances énergétique et carbone, à une construction plus compatible avec les objectifs déclarés dans la politique pluri-annuelle de l’énergie (PPE) et la stratégie nationale bas carbone (SNBC), et autant que possible au confort d’été. Les autres approches qui concourent à ces objectifs ont été développées parallèlement, notamment en relation avec plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC 2) qu’il s’agisse de la prise en compte des sols, du végétal, de l’eau dans l’aménagement de la parcelle et la construction de l’ouvrage (cf article sur l’aménagement et l’empreinte environnementale dans ce dossier) ou encore de la vulnérabilité et d’adaptation au changement climatique des constructions.

C’est ce dernier aspect qu’aborde cet article. Dès lors, comment caractériser l’adaptation au changement climatique pour un bâtiment ? Comment intégrer cette préoccupation dans les projets de construction ? Quelles sont les perspectives d’une double prise en compte des enjeux carbone et d’adaptation ?

Adaptation au changement climatique, de quoi parle-t-on ?

Si la définition des émissions de gaz à effet de serre tend à être connue aujourd’hui, celle de l’adaptation au changement climatique et des termes connexes d’exposition et de vulnérabilité aux aléas, sans doute moins rencontrés, méritent d’être explicités.

L’adaptation au changement climatique, selon le GIEC, est « une démarche d’ajustement au climat actuel ou attendu, ainsi qu’à ses conséquences ».

GIEC, 2014, Rapport II pour les décideurs, Impacts, Adaptation et vulnérabilité (p.4)

Les conséquences, impacts potentiels et donc risques de changement climatique découlent de la vulnérabilité et de l’exposition aux aléas. Par vulnérabilité, on entend la « propension ou prédisposition à subir des dommages ». L’exposition est quant à elle définie par « la présence de personnes, de moyens de subsistance, d’espèces ou d’écosystèmes, de fonctions, ressources ou services environnementaux, d’éléments d’infrastructure ou de biens économiques, sociaux ou culturels dans un lieu ou dans un contexte susceptibles de subir des dommages ». Les aléas concernent « l’apparition potentielle d’évènements physiques naturels ou  induits par l’homme, ou une tendance qui peut causer des pertes humaines, des blessures ou d’autres impacts sur la santé, tout comme des dégâts et pertes immobilières et d’infrastructures, … ».

Des risques communément définis, mais spécifiques à chaque projet de construction et/ou rénovation !

Comme défini ci-dessus, il est convenu de désigner les risques d’adaptation au changement climatique comme la combinaison de l’exposition à une évolution tendancielle du climat, de ses aléas et d’une vulnérabilité, conduisant à des conséquences possibles, négatives ou positives.

Chaque territoire et chaque bâtiment est exposé à des risques différents. Une illustration de ces risques est apportée par l’infographie ci-dessous, qui présente pour un aléa donné, le risque pour les composants d’un bâtiment.

ADEME, 2015, Impacts du changement climatique pour le bâtiment à l’horizon 2030-2050 (extrait p.23)

Un dialogue est à conduire sur les risques liés au changement climatique avec les parties concernées par le projet de construction et/ou de rénovation, notamment avec les organismes chargés des infrastructures et les futurs utilisateurs et gestionnaires de bâtiments.

Dès la phase initiale, selon la durée de vie d’un projet de construction et/ou rénovation, un scenario de référence de l’exposition au changement climatique, à son évolution tendancielle et à ses aléas peut être élaboré.

  • Exposition : La situation initiale et un scenario de référence peuvent-être examinés selon les informations régionalisées proposées par le GIEC et Méteo-France : 2°, 1.5° ou RCP 2.5, 4.5, 6, 8.5 à l’horizon 2030, 2050, 2070 ou encore plus lointaine 2120, peuvent être examinées selon le projet et l’importance du bâtiment.

  • Exposition en situation tendancielle : Le scénario climatique retenu fournit une hypothèse pour établir les besoins de fonctionnement du bâtiment (énergie, confort, …) lié à l’évolution tendancielle du climat. La conception des bâtiments est appelée à tenir compte de ces besoins. Lors de l’exploitation, le comportement des utilisateurs et/ou gestionnaires de bâtiment est également important car il affecte positivement ou négativement les besoins de fonctionnement du bâtiment. Par exemple, le chauffage peut-être insuffisant en hiver et le rafraîchissement également insuffisant en été selon les besoins et comportement des utilisateurs.
  • Exposition en situation anormale lors d’aléas climatiques : Le scénario climatique apporte également des indications sur les aléas auxquels le bâtiment est exposé : vent, pluie, inondation…L’expérience récente montre que de nombreux aléas exposent à des risques peu ou insuffisamment  caractérisés : inondation, tempête, neige, grêle, sols argileux, …

Inondation 2020 à St-Georges de Beauce ; Source : www.coolfm.biz

  • Vulnérabilité : La situation, la conception et l’usage des bâtiments sont confrontés à des évolutions tendancielles (température, précipitations, …) et des évènements extrêmes susceptibles d’affecter les services apportés par les bâtiments. Par exemple, dans le cas d’une canicule, un bâtiment disposant d’un très faible confort d’été peut exposer ses utilisateurs à de longues périodes de chaleur à une température plus élevée que celle ambiante, même si elle peut baisser la nuit, en raison de la chaleur absorbée la journée et restituer par les matériaux la nuit. Dans le cas d’un vent d’une extrême intensité, si une conception de bâtiment est en capacité de supporter des vents à 250 km/h, alors un évènement extrême avec des vents à 200 km/h est exposé à un risque de dégâts faible. A l’inverse, une conception établie pour des vents à 180 km/h est exposée à un risque de dégâts élevé. 

Figure : Ouragan Irma, Vents > 280 km/h, Source AFP, 2017

  • Impacts du changement climatique pour les bâtiments

Les services qu’apportent un bâtiment peuvent être partiellement ou totalement affectés, de manière ponctuelle ou permanente, par les risques auxquels il est exposé. L’impact de l’évolution tendancielle et des aléas climatiques, compte tenu de la vulnérabilité du bâtiment peut-être décrite par l’exemple suivant pour quelques aléas.   

Table : Exemple de matrice d’analyse des risques et impacts climatiques sur les usages

Comme l’illustrent les exemples dans la colonne de droite, l’adaptation et la résilience des bâtiments dépendent non seulement de leur conception, mais aussi du comportement des utilisateurs.

Mieux intégrer l’adaptation au changement climatique dans la planification de la conception et de la mise en œuvre des bâtiments, dans une perspective de cycle de vie

Le sujet de l’adaptation au changement climatique est récent pour le secteur de la construction. Comme pour d’autres enjeux, il est utile de le prendre en compte explicitement dès la phase initiale du projet de construction et/ou de rénovation, dans une perspective de cycle de vie. La période couverte peut-être de quelques années, par exemple pour un bâtiment d’activité, ou de plusieurs siècles pour un bâtiment culturel.

Sa prise en compte peut s’appuyer sur des dispositions réglementaires ou volontaires, référentiels, méthodes, outils, et capacités des acteurs de la construction.

  • Pour les projets de construction soumis à une étude d’impact environnementale règlementaire, depuis 2018, en relation avec les documents de planification territoriale et urbaine, le code de l’environnement impose en son article 122-5 l’évaluation « Des incidences du projet sur le climat et de la vulnérabilité du projet au changement climatique ». Bien que récente, cette disposition installe les nouveaux projets de construction concernés dans le contexte de l’adaptation au changement climatique.
  • La préfiguration de la RE2020 avec le référentiel E+C-, applicable à tous les bâtiments de plus de 50 m2 pour l’ensemble des typologies concernées, prévoit d’intégrer une exigence de confort d’été, en s’appuyant sur données météorologiques récentes, tenant mieux compte des épisodes caniculaires. Cette disposition permet de mieux répondre au constat d’une évolution tendancielle de la température moyenne annuelle avec une fréquence, une intensité et une durée de période caniculaire plus longue.
  • S’il existe depuis 2019 une norme d’adaptation au changement pour les organisations « Adaptation au changement climatique — Principes, exigences et lignes directrices - ISO 14090 : 2019 », une déclinaison pour les ouvrages de construction n’est pas encore disponible.
  • Les méthodes actuelles sont donc généralement développées par des organisations publiques ou privées, laissant aux applicateurs la responsabilité d’intégrer de manière proportionnée le niveau d’exigence à prendre en compte pour répondre aux attentes des maîtres d’ouvrages et des parties concernées. De ce point de vue, les référentiels de bâtiments durables prévoient dorénavant une rubrique d’exigences pour l’adaptation au changement climatique (HQE ®, LEED ®, BD, …).
  • Des outils ont été développés depuis quelques années en France, combinant des moyens d’évaluation numériques, des bases de données et des fiches pratiques reposant sur des retours d’expériences, tels que :

- Le Diagnostic de Performance Résilience (DPR), proposé par la Mission des Risques Naturels

- Le Diagnostic de site BAT-ADAPT, proposé par l’Observatoire de l’immobilier durable

- Les fiches outils Vulnérabilité, mises à disposition par l’Association Qualité Construction

  • De par ses dimensions transversale et spécifiques à chacun des risques climatiques, la capacité des acteurs sur ces sujets est appelée à se développer, notamment pour :

- la planification, l’assistance, l’évaluation, la conception, l’ingénierie, la vérification, l‘assurance

- l’aménagement de la parcelle, les sols, sous-sol, l’eau et le végétal

- la construction de l’ouvrage

- les composants de l’ouvrage

- la gestion, l’entretien, la rénovation

- les usages

Le champ de l’adaptation au changement climatique pour le cadre bâti émerge progressivement, tant au niveau de la programmation, du diagnostic, des préconisations, que de la conception et de l’ingénierie de projet de construction.

Perspectives pour les choix de programmation, de conception, d’exécution et de mise en œuvre

Pour répondre aux enjeux d’un bâtiment « futur ou climate-proof », ses usages devraient générer une faible empreinte écologique, voire apporter des services à son environnement (stockage carbone, production et export d’énergie, services éco-systémiques,…). A l’avenir, il doit aussi pleinement intégrer les enjeux d’adaptation au changement climatique, tant du point de vue du confort d’été, que des aléas.

L’acceptabilité des surcoûts liés à un niveau d’exigence élevé pour réduire la vulnérabilité de l’ouvrage aux aléas constitue un véritable sujet de dialogue, de concertation et de programmation. Au-delà, lors des choix pour les critères de performances carbone et d’adaptation climatique d’autres arbitrages pourraient être nécessaires : Lors de la conception des bâtiments, l’ensemble des produits et équipements pour les construire et les faire fonctionner peuvent être caractérisés et quantifiés sur la base du référentiel E+C-, afin d’atteindre un niveau de performance pour les différentes cibles visées ; Un renforcement structurel pour faire face à un sol argileux ou à des vents de forte intensité pourraient être acceptés ; Cependant, le recours à la végétalisation en toiture peut nécessiter un renforcement structurel et des produits supplémentaires, qui accroissent l’impact environnemental, conduisant à vouloir le supprimer ; En milieu urbain, cette végétalisation peut-être à l’origine d’un meilleur confort thermique dans le bâtiment et d’un service en matière d’îlot de chaleur urbain (moindre albédo et rafraichissement par évapo-transpiration) et de qualité de l’air (absorption de polluants locaux).

La prise en compte des impacts environnementaux des usages du bâtiment dès leur conception avec le référentiel E+C-, en tenant compte de l’offre locale de services tels que la mobilité, offre des perspectives pour identifier les choix adaptés pour répondre aux enjeux, notamment de neutralité carbone des bâtiments. Il s’agit d’intégrer en synergie l’enjeu de l’adaptation et de la résilience à l’évolution du climat.

Un article signé Idriss Kathrada, Fondateur-dirigeant de Novasirhe 

 

Pour aller plus loin

Consulter l'article précédent :  #29 L’innovation sociale dans la gestion des ambiances et de la biodiversité pour la qualité de vie, consubstantiels de la RE2020


           

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Ce dossier est composé de contributions des membres de la Fédération CINOV, des adhérents Construction21 et de leurs partenaires. En animant ce dossier, la Fédération CINOV concoure ainsi aux échanges et à la réflexion sur la future réglementation environnementale. Le contenu des articles sont néanmoins publiés sous la seule responsabilité de leurs auteurs.

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