[Dossier Biosourcés #35] Caractéristiques multi-physiques des granulats végétaux utilisés pour la confection des bétons et mortiers biosourcés

Rédigé par

Sofiane AMZIANE

7750 Dernière modification le 09/04/2020 - 12:23
[Dossier Biosourcés #35] Caractéristiques multi-physiques des granulats végétaux utilisés pour la confection des bétons et mortiers biosourcés

Ce dédié aux caractéristiques multi-physiques met en avant les matériaux de construction contenant comme matière première principale des granulats végétales renouvelables, recyclables et facilement disponibles. Les données sont néanmoins centrées sur le chanvre car les granulats de chanvre représente le bio-agrégat le plus utilisé dans les matériaux de construction en France et le plus étudié dans la littérature. Ce rapide panorama technique, sur les matériaux d'origine biologique permet de montrer à la fois les avantages et les limites que l'on peut attendre des matériaux de construction d'origine végétale.

Typologies de matériaux, caractéristiques, spécificités et performances techniques

Le réchauffement climatique, les économies d'énergie et les questions d'analyse du cycle de vie sont des facteurs qui ont contribué à l'expansion rapide des matériaux végétaux dans le secteur BTP. Ces matériaux peuvent être qualifiés de matériaux multifonctionnels respectueux de l'environnement, durables et efficaces. Ces matériaux sont obtenus à partir de la transformation du chanvre, du lin, du miscanthus, du pin, du maïs, du tournesol, du bambou ...sous formes de cendres, granulats, fibres ou bois de structure (Figure1).

 

Figure 1. Les différentes formes de produits issues de la matière brute

Ce rapide panorama technique, sur les matériaux d'origine biologique permet de montrer à la fois les avantages et les limites que l'on peut attendre des matériaux de construction d'origine végétale.

Les recherches en cours fourniront certainement d'autres informations qui ne figurent pas dans ce papier. Mais en termes de performances déjà démontrées, nous avons déjà l'esprit tranquille quant au potentiel de bénéfice des biomatériaux par rapport aux solutions conventionnelles qui ont un fort impact sur notre environnement [1].

1. Composition chimique des bioagrégats et leurs interactions avec les liants minéraux

La composition chimique des bioagrégats peut fortement influencer leurs propriétés (compressibilité, durabilité, interactions chimiques et/ou physiques avec les espèces minérales, etc.) et par conséquent celles du composite qui les contient (temps de prise, mécanismes d'hydratation, propriétés mécaniques, durabilité, etc.).

Du centre à l'extérieur de sa section transversale (figure 2), la tige de chanvre par exemple est composée de  :

  • un noyau creux,
  • la couche de moelle, composée de cellules molles et spongieuses avec des espaces intercellulaires,
  • la couche de xylème, composée de tissus ligneux épais
  • la couche de cambium. Cette couche constitue également la zone où les fibres et les anas se séparent lors du processus de défibrage,
  • la couche de phloème, qui contient des fibres libériennes primaires (fibres longues à faible teneur en lignine) et des fibres secondaires (générées à partir du cambium, elles sont plus courtes et ont une forte teneur en lignine).
  • la couche épidermique, qui assure la protection des cellules végétales et constitue une zone d'échanges avec le milieu environnant.

 

Figure 2. Micrographie optique d'une fine section transversale d'une tige de chanvre

La composition chimique [2] des particules lignocellulosiques peut fortement influencer leurs propriétés en tant que bioagrégats inclus dans une matrice minérale. Ces bioressources sont principalement composées de trois biopolymères structurels : la cellulose (C), l'hémicellulose (H) et la lignine (L). D'autres composants secondaires tels que la pectine, diverses matières extractives et les cendres complètent leur composition chimique.

On constate une grande dispersion entre les résultats de différentes études pour une même bioressource, reflétant non seulement la variabilité effective de la composition chimique due aux paramètres agronomiques, environnementaux et de transformation, mais aussi les fortes disparités dans les résultats des méthodes de caractérisation. Des variations similaires sont observées dans les contenus extractifs, qui sont, en fait, largement responsables des interactions chimiques négatives entre les composés lignocellulosiques et les liants minéraux. L'une des principales raisons pour lesquelles la caractérisation chimique des bioparticules est si importante concerne les interactions délétères qui peuvent avoir lieu avec les liants minéraux. À un âge précoce, ils peuvent perturber les mécanismes de prise et de durcissement des liants minéraux ; à l'état durci, ils peuvent modifier les propriétés du composite ; et enfin, à long terme, ils peuvent influer sur la durabilité.

2 . Porosité, distribution de la taille des pores, microstructure

La taille des pores dans le bio-agrégat est comprise entre quelques nanomètres et plusieurs millimètres. Il en résulte que les agrégats végétaux possèdent une faible densité apparente et une architecture complexe marquée par une porosité à plusieurs échelles. Ces caractéristiques géométriques se traduisent par des performances hygro-thermiques remarquables. La porosité (figure 3) peut être exprimée en pourcentage du volume de la matière en vrac. Dans les bio-agrégats, les pores sont formés pendant la phase de croissance de la plante et dans la plante vivante, ils ont pour fonction de stocker les nutriments et de transmettre l'eau et les nutriments des racines au reste de la plante. Les tiges des plantes ont une faible densité comprise entre 50 et 150 kg.m-3 et une porosité élevée de l'ordre de 70-80%.

Figure 3. Vue transversale et longitudinale au MEB d’un granulat de chanvre

Figure 4. Vue transversale au MEB d’une fibre de coco par Mike Lawrence et al. 

D’un point de vue quantitatif les fibres sont moins poreuses que les granulats par exemple la porosité de la fibre de coco est comprise entre 22 et 30 % (figure 4).

3. Distribution de la taille des particules

Les particules végétales provenant de la tige de plantes cultivées soit pour leurs fibres (chanvre, lin, etc.) soit pour leurs graines (lin oléagineux, tournesol, etc.) sont très différentes des agrégats minéraux généralement utilisés dans les bétons [3]. En raison de la structure de la tige de la plante dont ils sont issus, ces agrégats sont généralement malléables, allongés et très poreux avec une faible densité apparente. Des formes irrégulières sont généralement observées, en particulier dans le cas de copeaux provenant de plantes à fibres en raison de l'action de broyage du processus de décortication. Une telle biomasse broyée conduit généralement à une distribution de taille unimodale qui peut être efficacement caractérisée en utilisant des modèles de distribution de base avec deux techniques (tamisage et analyse d’image).

  • Méthodes de tamisage

Les particules végétales doivent être séchées, généralement dans un four ventilé, à 60°C ou 50°C selon les procédures en vigueur dans les laboratoires. Des tamis à mailles carrées normalisées sont utilisés, ainsi qu'un tamis mécanique pour l'étude des sols et des agrégats minéraux (NF ISO 3310.1 - ASTM E-11-95), voire figure 5a. Les dispositifs utilisés induisent un mouvement vertical qui est créé par une impulsion dynamique. Afin de répartir la quantité d'échantillon sur toute la surface de tamisage, le mouvement de projection vertical est superposé à un léger mouvement circulaire horizontal. Cette procédure a été choisie car la plupart des laboratoires concernés utilisent déjà de tels dispositifs pour caractériser les agrégats minéraux.

  • Méthodes par analyse d'image

Cette méthode (Figure 5) exige un échantillonnage de bonne qualité, dans la mesure où seule une quantité limitée de matériau peut raisonnablement être analysée. Une méthode classique de quartage peut être appliquée et répétée autant de fois que nécessaire. L'analyse d'images est basée sur l'observation en deux dimensions de particules réparties sur une surface plane. Les images peuvent être obtenues avec un scanner conventionnel généralement utilisé pour numériser des documents. Cette technique présente l'avantage d'éviter toute déformation de l'image qui pourrait se produire si un appareil photo était utilisé. Le scanner peut acquérir une image couleur ou une image convertie en niveaux de gris 8 bits qui peut être traitée par un programme d'analyse d'images tel que "ImageJ", qui est un programme open source librement accessible en ligne.

Cette méthode fait référence à la "méthode d'analyse d'image statique" selon la norme internationale ISO 13322-1:2014(E). D'autres méthodes d'"analyse d'image dynamique" existent selon la norme ISO 133222:2006(E), et utilisent la capture d'image de particules en mouvement dispersées sur un convoyeur ou de particules en chute dispersées dans l'air.

Figure 5. Distribution granulaire par tamisage(a) vs. Analyse d’image (b et c) par Vincent Picandet 

4.  Propriétés thermiques des matériaux de construction à base de bio-agrégats

Les propriétés spécifiques des bio-agrégats, telles que la faible densité, la porosité élevée et la complexité de la taille et de la structure des pores, confère au matériau une faible conductivité thermique, et un haut pouvoir d’absorption. Il est capable d'absorber jusqu'à quatre fois son propre poids en eau. Une fois séchés, les bio-granulats ont une valeur tampon d'humidité élevée, ce qui leur confère la capacité de gérer passivement les niveaux d'humidité interne lorsqu'ils sont utilisés comme matériau de construction.

Il a été démontré par exemple que les murs en béton de chanvre ont de meilleures performances que les murs traditionnels du point de vue du déphasage. Par exemple, le déphasage était de 15 heures dans le mur en béton de chanvre alors qu'il n’est que de 5 heures dans un mur isolé avec de la laine minérale.

Le niveau de la conductivité thermique λ des bétons de végétaux varie en fonction du dosage en liant entre 50 et 120 mW/(m.K). Ces matériaux, poreux et léger, sont de bons isolants thermiques sans être d’un niveau « exceptionnel ». La capacité de rétention en eau est par contre exceptionnel avec un MBV (Moisture Buffering Value) compris entre 2 et 3 voire plus permettant de gérer le transfert d’humidité et produire aussi un gain énergétique l’hiver par phénomène de condensation et l’été par vaporisation. Ces phénomènes thermodynamiques font l’objet actuellement de développement pour mieux quantifier le gain énergétique à l’échelle d’un bâtiment.

5. Durabilité des bétons d'origine biologique

En raison de leur développement relativement récent, peu d'études ont été consacrées jusqu'à présent à la durabilité du béton végétal. Les protocoles de vieillissement appliqués en laboratoire et les propriétés analysées sont divers, ce qui rend la comparaison des résultats obtenus très complexe. En outre, les temps de vieillissement utilisés sont plutôt courts, et des variations importantes des propriétés du matériau ne sont peut-être pas visibles pour ces durées de vieillissement. Les protocoles mis en œuvre jusqu'à présent sont axés sur des facteurs similaires qui pourraient influencer les propriétés du matériau : la température, l'humidité relative et le potentiel de croissance microbiologique. Ces facteurs peuvent entraîner des modifications physico-chimiques et microstructurales des matériaux et donc avoir un impact sur les performances des matériaux dans un bâtiment.

Figure 6 :  Présence de champignons après conservation du béton de chanvre à 30°C et 98% HR par Sandrine Marceau et al. 

La compréhension des mécanismes de vieillissement des bétons végétaux et la prévision de leur durée de vie nécessitent des études complètes, y compris des analyses multidisciplinaires et à plusieurs échelles, qui tiennent compte de la variabilité des formulations et des propriétés finales des matériaux. Des données sur l'évolution de leurs performances en conditions réelles sont également nécessaires. Enfin, les systèmes de construction dans lesquels les bétons végétaux sont intégrés dans un bâtiment, tels que la structure portante et les enduits intérieurs et extérieurs, doivent également être pris en compte.

Les données disponibles sur les composites contenant des fibres végétales dans une matrice minérale, utilisés pour leurs propriétés structurelles, permettent de comprendre les interactions chimiques entre les composants des plantes et une matrice de ciment. Elles peuvent être transposées aux agrégats végétaux utilisés dans l'isolation biologique.

Un article signé Sofiane AMZIANE, Professeur d’Université, Directeur du GDR-MBS CNRS, Institut Pascal, UNR 6602, Université Clermont Auvergne.

 Crédit photo : Rowan Heuvel

Références

[1]Amziane, S. ; Arnaud, L. ; Matériaux de construction à base de bio-agrégats : Applications aux bétons de chanvre. Ed. Wiley-ISTE, 2013.

[2] Amziane, S., Sonebi, M., "Overview on Biobased Building Material made with plant aggregate", Rilem Technical Letters, Vol. 1, 2016, pp. 31-38.

[3] Amziane, S., Collet, F., State of The Art Report of 236 TC Bio Based Building Materials, Edited by Amziane, S., Springer Edition, 2016

 

Consulter l'article précédent :  #34 - Matériaux de construction biosourcés : panorama des documentations proposées par les centres de ressources en région - Ekopolis


           

Dossier soutenu par

Dossier biosourcés

 

Matériaux et constructions biosourcés

Retrouvez tous les articles du dossier

 Matériaux et constructions biosourcés

Partager :