[Dossier Biosourcés #31] Grandeur et misère de la normalisation des matériaux de construction biosourcés

Rédigé par

Bernard BOYEUX

Directeur

4126 Dernière modification le 07/04/2020 - 12:06
[Dossier Biosourcés #31] Grandeur et misère de la normalisation des matériaux de construction biosourcés

Aptitude à l’usage, contrôle technique, normes, avis technique, assurance, certification... : les matériaux biosourcés doivent répondre aux mêmes exigences que tous les matériaux de construction et s’inscrivent dans la même jungle de processus. Mais ils bénéficient également des possibilités et des avantages que ces processus sont censés procurer. Reste à savoir si ceux-ci sont adaptés aux spécificités des matériaux biosourcés ou si ces derniers subissent une discrimination négative. Dans le microcosme des biosourcés, le sujet fait toujours débat … entre réalités, paranoïa et complotisme.

C’est la faute à Spinetta

S’ils doivent répondre à quelques exigences réglementaires, les matériaux de construction n’ont pas à produire des « autorisations de mise sur le marché ». Toutefois, cette liberté se heurte très rapidement aux exigences de la loi Spinetta et de son inoxydable garantie décennale. L’objectif, selon Adrien Spinetta lui-même[1], est en premier lieu d’assurer la protection de l’usager. Cette loi du 4 janvier 1978, qui a révolutionné l’assurance dans le domaine de la construction, fait de la France l’un des quelques pays à conjuguer la présomption de responsabilité du constructeur et l’obligation d’assurer cette responsabilité. Certains argueront que le remède fut pire que le mal mais « la Spinetta » tient bon et l’heure de la remettre en cause ne semble pas venue.

En raccourci, le constructeur doit contracter une assurance qui permettra à son client de faire réparer les désordres qui pourraient apparaitre, dans des délais acceptables et quelle que soit la situation du constructeur, y compris en cas de disparition de l’entreprise. Il va sans dire que l’assureur prend quelques précautions, notamment en ce qui concerne les produits et systèmes utilisés. N’ayant pas, en principe, de compétence technique, l’assureur s’appuie sur la classification de la C2P (Commission Prévention Produits) de l'AQC qui réunit les professions du bâtiment et l'assurance construction. Celle-ci classe les produits et systèmes en « techniques courantes » et « techniques non courantes ».

Et là, les choses se compliquent.

Accéder au club des « techniques courantes » : une condition nécessaire

Relever de la classe des « Techniques non courantes » est un handicap certain pour le développement commercial d’un produit de construction. La grande question est donc de savoir comment accéder à la qualification de « Techniques courantes ». Schématiquement, il existe deux grandes voies. La première est de rentrer dans le cadre de la normalisation (normes produits et normes d’application) ; cette voie est réputée s’adresser aux « produits traditionnels ». La deuxième voie est celle réservée aux « produits innovants » ; il s’agit des Avis techniques (Atec) délivrés par la CCFAT (Commission chargée de formuler les avis techniques).

La réalité est bien plus complexe. D’une part, il existe d’autres voies comme par exemple celle des Règles professionnelles ; c’est la voie qu’ont empruntée dès 2002 les bétons de chanvre dont les premières règles ont été acceptées par la C2P en 2009 ainsi que la construction en bottes de paille (règles acceptées par la C2P en 2012). D’autre part, certaines solutions traditionnelles - au sens commun du terme, comme la construction en terre crue ou les toitures en chaume - ne sont pas normalisées ; a contrario des produits qui ont dépassé le stade de l’innovation depuis des décennies comme les laines minérales se satisfont du cadre des Avis techniques.

Par ailleurs, si la normalisation est une démarche collective, l’Avis technique est une démarche individuelle qui appartient à un fabricant, ce qui change profondément les démarches. Il faut également prendre en compte que la normalisation ne s’organise plus au niveau national mais au niveau européen.

Avis technique ou normalisation ?

Les différentes typologies de matériaux biosourcés ont naturellement l’obligation de se positionner dans ce paysage en prenant en compte leurs spécificités.

Les isolants biosourcés, dans leur logique de produits de substitution aux isolants minéraux, se sont globalement engagés dans la voie de l’Avis technique. Malgré certaines difficultés[2], le CSTB – qui instruit les Avis techniques – a pu annoncer à certaines périodes que la moitié des demandes dans le domaine des isolants concernait des matériaux biosourcés et, aujourd’hui, une large gamme de produits bénéficie de cette appréciation technique.

La construction en ballots de paille a, comme nous l’avons évoqué plus haut, fait le choix de suivre la voie ouverte par les bétons de chanvre et de s’engager dans la rédaction de règles professionnelles, solution qui se situe entre guide de bonne pratique et normalisation. Acceptées en 2012 par le C2P, celles de la construction en ballots de paille sont issues d’un remarquable travail de concertation et semblent bien répondre à cette filière particulière qui a su convaincre et impliquer un large public de professionnels qui se sont engagés dans cette filière.

Pour les bétons et mortiers biosourcés, la démarche est plus complexe. En effet les sources de granulats sont de natures très diverses tant par le type de la matière première (bois, chanvre, miscanthus, colza, balles de riz, …) que par la variabilité liée à de très nombreux paramètres (zone de production, récolte, maturité, conservation, transformation ...). Cette diversité conjuguée avec celle des liants et de la formulation des mortiers et des bétons, fait que le nombre de compositions tend vers l’infini …

Bétons de chanvre : les pionniers dans l’impasse

La filière chanvre s’est organisée très tôt pour développer des matériaux de construction[3] et s’est appuyée sur cette organisation pour faire entrer les mortiers et bétons de chanvre dans la classe des « Techniques courantes ». Après beaucoup d’échanges, la C2P a accepté en 2009 les premières règles professionnelles d’exécution d’ouvrage en bétons de chanvre malgré les faiblesses du texte de référence notamment en ce qui concernait la caractérisation des matériaux. Une révision validée en 2012 par la C2P a apporté un embryon de réponse s’appuyant sur un « Label granulat chanvre ». Ce label n’établit pas une classification mais garantit la stabilité des caractéristiques d’un granulat, les producteurs devant définir les critères de leurs produits et en contrôler la stabilité. Il faut ensuite passer à l’échelle du béton et, pour chaque produit labellisé, faire vérifier le bon fonctionnement par un laboratoire extérieur pour tous les mélanges qui revendiqueront la classification de « techniques courantes ». Etant donné le nombre de producteurs de chanvre, de liants et de formulations potentiels, on comprend aisément les lourdeurs et les limites d’un système dont l’enjeu initial était de parer provisoirement à l’absence de norme, l’ambition étant de combler cette lacune dans les meilleurs délais. Mais comme souvent, le provisoire dure et ses limites deviennent de plus en plus criantes.

Mortiers et bétons végétaux : sortir de la confidentialité par la norme

Les bétons végétaux, grâce à leur maturité technologique, à leur capacité de répondre aux attentes du marché et à leur pertinence environnementale, détiennent un potentiel de développement important. Pourtant, il semble que le marché reste confidentiel. La difficulté de répondre aux exigences de la loi Spinetta est sans doute l’un des principaux freins à un réel passage à la massification. On a vu plus haut les mérites et les limites du système mis en place par la filière chanvre. Ces limites se conjuguent avec la dimension modeste de cette filière qui entame la confiance des industriels par une crainte de rupture d’approvisionnement alors que la diversité des différentes matières premières et les possibilités d’approvisionnement sur des filières locales sont des atouts importants des mortiers et bétons végétaux.

La massification de ces matériaux passe donc par un système qui facilite l’accès à la qualification de « techniques courantes » pour des produits confectionnés avec des ressources différentes. La base de ce système est de pouvoir qualifier les granulats végétaux selon un référentiel commun, établissant les critères pertinents et les procédures permettant de les mesurer. En d’autres termes, une norme dans laquelle pourra s’inscrire cette diversité et sur laquelle il sera possible d’appuyer les démarches pour faire rentrer les systèmes et produits dans la classe des « techniques courantes », qu’il s’agisse d’Avis technique, de règles professionnelles ou encore de normes d’application.

On voit donc que les professionnels de la construction biosourcée ont en général conscience de la nécessité de s’inscrire dans le cadre réglementaire et normatif et qu’ils s’y emploient depuis de nombreuses années avec plus ou moins de bonheur. Ces cadres ne sont, en effet, pas toujours adaptés pour accompagner l’innovation issue de filières composées majoritairement de TPE et de PME. Les Avis techniques trouvent toute leur efficacité avec des produits à « l’innovation cadrée » et ayant des perspectives de marché importantes – comme ce peut être le cas pour les laines isolantes. C’est beaucoup plus difficile lorsque l’innovation sort des cadres établis ou que les perspectives de marché restent locales et réparties entre de nombreux producteurs de petites tailles comme pour les bétons végétaux. De leur côté, les règles professionnelles peinent à obtenir une vraie reconnaissance ; elles sont le parent pauvre du système, une voie de passage vers la norme. Et celle-ci est un parcours long et difficile, exigeant des implications aux niveaux national et européen. Dans tous les cas, des organisations de filières dynamiques représentatives et structurées pour chaque typologie de matériaux sont indispensables.

 

Un article signé Bernard Boyeux, Directeur de BioBuild Concept, membre de Sable Vert,

Sujet réalisé en collaboration avec

Laurent Arnaud, Chef du département Bâtiments durables du Cerema, membre de Sable Vert

Michel Rizza, Guilde des métiers de la chaux, membre de Sable Vert

 

SABLE VERT : les bétons végétaux ont la parole

Les mortiers et bétons végétaux sont des matériaux très spécifiques autant par leurs caractéristiques physiques que par la variété de leurs usages, la diversité des ressources, leur potentiel d’innovation ou encore la structure de la filière. Si les bétons de bois sont connus depuis longtemps et si les bétons de chanvre sont les pionniers de l’innovation dans le domaine, beaucoup d’autres matières premières sont susceptibles d’approvisionner un marché qui suscite de plus en plus d’intérêt. L’association Construire en Chanvre qui, malgré son nom, avait initialement inscrit dans ses statuts la volonté de faciliter le développement de l’ensemble des bétons végétaux a apparemment choisi la voie du protectionnisme et du « chanvre d’abord ». Les acteurs des bétons végétaux étaient donc privés d’un outil qui leur permette de concilier concertation, représentation, promotion et défense de leurs intérêts.

Cette carence est aujourd’hui comblée. Conscients des enjeux et des besoins à un moment stratégique dans le développement des matériaux biosourcés, des professionnels de tous les niveaux de la filière se sont regroupés dans SABLE VERT avec la volonté de regrouper les acteurs des bétons végétaux et de desserrer les freins qui entravent la massification de ces matériaux particulièrement innovants.

Sans surprise, la première des actions à laquelle s’attache SABLE VERT est celle de l’élaboration d’un référentiel pour la qualification des granulats végétaux avec l’ambition avouée de transformer ce référentiel en norme dans les meilleurs délais possibles.

SABLE VERT >

[2] Au-delà des péripéties quasi-rocambolesques qu’ont connues les producteurs de ouate de cellulose, les exigences qui entourent l’Avis technique, restent, malgré les efforts de la CCFAT et du CSTB, des démarches lourdes pour les TPE ou des PME en termes de personnel et de coût (essais et contrôle des caractéristiques).

[3] L’association Construire en Chanvre a été créé en 1998 avec notamment comme membres fondateurs les rédacteurs de cet article.

 

Consulter l'article précédent :  #30 - L'internat biosourcé à énergie positive : retour d'expérience dans la Vienne - Gauthier Claramunt, Dauphins Architecture et Julien Coeurdevey, 180° Ingénierie


           

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