[Dossier Afrique - Ville(s) Durable(s)] #6 - Pression démographique et besoin d’infrastructure des villes africaines : quels financements pour l’adaptation au changement climatique ?

Rédigé par

Karim Selouane

10847 Dernière modification le 22/07/2020 - 12:00
[Dossier Afrique - Ville(s) Durable(s)] #6 - Pression démographique et besoin d’infrastructure des villes africaines : quels financements pour l’adaptation au changement climatique ?

Durant le dernier siècle, la population de l'Afrique s'est accrue considérablement à un rythme très rapide. Les diverses estimations effectuées montrent qu'avant 1900, le taux annuel de croissance de la population était inférieur à 0.1% ; de 1900-1950 il était passé à 1.2% et de 1980 à 2000 il atteignait près de 4%. Les tendances démographiques récentes en Afrique se caractérisent non seulement par des taux de croissance sans précèdent et aussi par une forte proportion de jeunes. 

A titre d’exemple le rapport démographique entre l'Europe et l'Afrique sera dans trente ans d’un à cinq, soit 450 millions d'Européens pour 2,5 milliards d'Africains (Fig.1).

Figure 1 : Croissance démographique en Afrique 

 

Source : AFP, rapport de l'INED 2020.

Dans le même temps, alors que le phénomène urbain est d’ampleur mondiale, l’Afrique peut être considérée comme le continent le moins urbanisé : elle ne compte que 7 % de la population urbaine mondiale. Bien que l’Afrique soit essentiellement rurale, elle dispose de villes de plusieurs millions d’habitants et pourrait héberger d’ici 2050 jusqu'à 15 mégapoles de plus de 10 millions d'habitants. Les villes africaines croissent en population d’au moins 5% à 7% par an (Fig. 2). Or, lorsqu’une ville croît au taux de 7% par an, elle double sa population tous les dix ans. Cela signifie qu’il faudrait doubler la capacité des infrastructures et des équipements.

 Figure 2 : Croissance urbaine en Afrique

Source IEIF : https://www.ieif.fr/revue_de_presse/les-megalopoles-sont-elles-lavenir-de-lafrique

Dans ces agglomérations surpeuplées, une majorité des habitants (60 %) vit dans des bidonvilles. Leur proportion se réduit parfois comme à Dakar, mais le plus souvent augmente, comme à Kinshasa elle est passée de 60 % en 1969 à 75 % aujourd’hui (Rapport UN habitat : fig. 3).

Figure 3 : Population des bidonvilles dans les pays en développement

Source : ONU Habitat, Banque Mondiale - © Julien Damon et Observatoire des inégalités.

Une étude de la Banque mondiale publiée en février 2016 souligne ainsi que 70 % des urbains ne disposent pas d’eau courante, de toilettes ou d’électricité. Ce manque d’électricité, complet ou partiel, qui touche 66 % de la population africaine dans son ensemble et 21% de sa population urbaine, est sans doute le sujet le plus délicat (Agence Internationale de l’Energie, 2019, « SDG7: Data and Projections. Access to Electricty »). A titre d’exemple au Sénégal, les « délestages » (coupures de courant) ont largement occupé la campagne présidentielle de 2012 et demeurent encore un thème politique majeur. Le manque de services publics, tant dans le domaine de la santé que de l’éducation ou des transports, est également criant. Or, les investissements colossaux nécessaires à une rénovation des divers réseaux sont hors de portée des gouvernements et des villes (Fig. 4).

Figure 4 : Indicateurs de croissance économique et démographique

Source Cabinet Infhotep, 2019.

D’un point de vue général, l’urbanisation accompagne la transformation des économies, avec le passage de sociétés rurales peu productives à des systèmes plus complexes. Les équipements publics indispensables à l’industrie et aux activités de service (santé, eau, énergie, télécom, transport, etc.) prennent progressivement une place prépondérante. C’est du moins ce qui s’est produit jusqu’à présent. Mais les villes du continent africain suivront-elles le même schéma ? Une telle accélération constitue-t-elle pour autant une source d’espoir pour le développement de l’Afrique notamment face aux défis du changement climatique ? (Fig. 4). 

A première vue, le scénario africain déroge aux modèles des autres continents : l’activité économique n’a pas été le moteur du développement urbain. C’est en partie pour cette raison que la grande majorité des villes du continent n’ont pas de capacité financière suffisante pour répondre au besoin croissant d’infrastructure. Les liens entre urbanisation et développement sont complexes et présentent d’importants contrastes sociaux, géographiques et climatiques. D’où, entre autres problèmes, ceux de la dégradation des équipements, des infrastructures, de l’environnement et des quartiers précaires ainsi que l’importance du secteur informel.

Figure 5 : Niveau d’exposition des villes africaines face au changement climatique 

Source rapport publié en novembre 2018 par le cabinet Verisk Maplecroft et l'ONU  « Index de vulnérabilité au changement climatique 2018 in » worlds fastest growing cities face extreme climate-change risks » 

A cela s’ajoute la problématique toujours plus pressante du réchauffement climatique et de ses impacts. Huit villes africaines figurent parmi les dix premières les plus à risque, dont Kinshasa, où les 13,2 millions d'habitants sont notamment déjà régulièrement victimes d'inondations répétées (Fig. 5). Et avec la hausse de la population estimée à 26,7 millions d'ici à 2035, les perturbations liées aux événements météo risquent d'augmenter. Ainsi, la capitale centrafricaine Bangui, la capitale du Liberia Monrovia et Mbuji-Mayi en République démocratique du Congo sont les trois villes les plus à risque. Kinshasa est exposée aux chocs météorologiques, notamment aux inondations, ainsi qu'à des pressions climatiques plus lentes, telles que la sécheresse dans les zones environnantes, qui pousseraient les agriculteurs à l’exode rural, tout en perturbant les approvisionnements en eau et en nourriture. La capitale de la République Démocratique du Congo et d'autres villes africaines sont extrêmement exposées puisqu'elles cumulent aussi des taux de pauvreté élevés, un secteur informel prédominant, des bidonvilles en expansion, une gouvernance faible et une capacité limitée à s'adapter aux changements climatiques. La hausse de la population urbaine à cette allure va sans aucun doute intensifier le profil de risque climatique déjà alarmant de la ville, tel qu’étudié par le cabinet Verisk Maplecroft (Fig. 5). A cela s’ajoute les problèmes auxquels font déjà face les mégalopoles africaines, comme le manque d'accès à l'eau potable, à l’énergie ou l'habitat. De Dakar au Cap et d’Alexandrie à Durban, la plupart des grandes villes sont déjà touchées par la montée du niveau des mers. Sans oublier les tempêtes, les inondations et l’érosion côtière. Si les cités du Maghreb sont, elles, relativement épargnées, les villes de l’intérieur du continent sont également exposées par le biais de pertes de récoltes et de hausse des coûts de l’énergie.

La concentration des populations dans des agglomérations dynamiques peut être source de croissance économique et de prospérité sociale générant des externalités positives non négligeables (Fig 6). Cependant, la brutalité du changement pose d’immenses défis, tant en termes d’institutions politiques locales de qualité, d’infrastructures que de développement de services. 

Figure 6 : Le classement des villes africaines

Source Ecole Polytechnique fédérale de Lausanne (2018)

Dans ce contexte, de nombreuses villes africaines luttent pour gérer efficacement les services publics, maintenir des infrastructures vitales pour les territoires, tout en essayant de valider des projets d'investissement pour l’adaptation au changement climatique. En effet, les besoins financiers pour assurer l’efficience des systèmes urbains africains de demain et réussir la transition sont considérables.Les investissements urbains nécessaires sont estimés à 25 milliards de dollars par an pour l’Afrique subsaharienne. Or les villes africaines sont confrontées à un nombre d'obstacles qui entravent l'accès au financement de politiques urbaines. Celles-ci sont elles-mêmes entravées par l’insuffisance de politique fiscale entrainant de faibles recettes qui limitent la construction et l'entretien des infrastructures. D’autre part les dotations publiques des villes peuvent être imprévisibles ou soumises à des conditions politiques provinciales et nationales parfois antagonistes. Le secteur bancaire, quant à lui, pourrait jouer un rôle important dans le financement pour la résilience climatique, mais de nombreuses villes d'Afrique sont perçues comme n’étant pas capable de présenter des projets « bancables ». Enfin, les institutions internationales sont une source importante de financement. Si les fonds internationaux ont été mis en place pour soutenir les stratégies d’adaptation au changement climatique, les villes n'ont souvent pas la capacité, les systèmes ou les réglementations permettant de faciliter l'accès à ces fonds. 

Il existe pourtant un éventail d'outils financiers dédié la résilience climatique. Pour obtenir ces financements les villes doivent commencer par définir leurs stratégies de résilience, sélectionner des interventions prioritaires, et assurer un suivi en lien avec l’Accord de Paris. L’utilisation des mécanismes de financement innovants liés à la « finance climat » est essentielle pour accompagner l’adaptation des villes africaines au changement climatique. Elle s’appuie sur les institutions financières, les capitaux privés, les fonds d’infrastructures, les fonds climat, le fonds vert pour l’environnement mondial, le potentiel d’épargne de la diaspora africaine… Ces mécanismes permettent de canaliser les financements et les expertises, notamment  vers les différentes filières de la « nouvelle économie » : économie du savoir, économie numérique, économie verte, économie bleue, et économie de la résilience climatique. 

Pour conclure, les villes africaines ne doivent pas être désavantagées dans le financement de la lutte contre le changement climatique, alors qu’elles contribuent peu au dérèglement climatique. Le financement de l’adaptation au changement climatique est souvent considéré comme une dépense supplémentaire dans le cadre d'un budget déjà insuffisant. Les enjeux sont tout autant socioéconomiques, technologiques et environnementaux que politiques. Les états centraux et les gouvernements locaux d’Afrique gagneront à se mobiliser en mettant l’agenda de l’atténuation et de l’adaptation au changement climatique au cœur des politiques publiques de développement urbain, notamment dans les secteurs cruciaux de l’eau, les déchets, de la santé, des transports, de l’agriculture ou encore de l’énergie. Pour ce faire l'amélioration de la résilience urbaine nécessite que les gouvernements intègrent les considérations relatives aux risques climatiques et se concentrent sur un certain nombre de domaines (cadres juridiques et réglementaires). 

Les initiatives de résilience exigeront des villes africaines de rechercher des financements nationaux, internationaux ou privés - en particulier lorsqu’il s’agira d’investissement pour les infrastructures. Dans d'autres cas, les villes peuvent trouver des possibilités d'autofinancer des programmes de résilience climatique en améliorant la gouvernance des services et la gestion du budget, ou par le biais de partenariats public-privé innovants. 

Un article signé Karim Selouane, CEO et fondateur de RESALLIENCE

 

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