Densification des zones urbaines : objectif réversibilité

Rédigé par

Philippe Dumont

5805 Dernière modification le 27/07/2017 - 11:23
Densification des zones urbaines : objectif réversibilité
Acteurs institutionnels et promoteurs privés sont en train de redessiner la silhouette des villes françaises. Un travail complexe entre héritage urbain, réalités d’aujourd’hui et tendances de demain.

Repenser la cité, retisser des liens distendus. Après des décennies où les villes se sont étalées parfois au-delà du raisonnable, les pouvoirs publics ont décidé de graver dans le marbre une nouvelle orientation. En 2014, le parlement vote la loi Duflot II, dite la loi Alur (Alur comme Accès au logement et un urbanisme rénové). Ce nouveau texte change alors la donne, à la fois pour les agglomérations et pour les promoteurs immobiliers. Il supprime deux éléments majeurs des précédentes dispositions : le coefficient d’occupation des sols et la surface minimale des terrains à construire. Objectif affiché : faciliter la densification du tissu urbain des communes de France, et relancer l’industrie de la construction. Comme le dit l’adage, quand le bâtiment va, tout va. Sauf que la réalité n’est pas si simple.

Ce qui coince

Concrètement, la nouvelle loi a permis d’augmenter la surface habitable de nombreuses unités foncières en autorisant la surélévation des bâtiments déjà construits, suite à l’abandon du coefficient d’occupation des sols. Le meilleur moyen pour gagner de la surface au sol restant évidemment de construire plus haut. Deuxième nouveauté : les mairies ne peuvent plus fixer, à travers leur PLU (Plan local d’urbanisme), la surface minimale des terrains à construire. Les enjeux sont de taille car ils engagent les villes pour les décennies à venir. La loi Alur, si elle flexibilise un peu le marché de la construction, ne semble pas offrir de solution à long terme. Tout au mieux un cadre dans lequel les acteurs de la construction et de l’urbanisme vont devoir réinventer leurs pratiques.

Sur le terrain, l’application de la loi n’a pas fait que des heureux. Ses principaux opposants – grands promoteurs immobiliers en tête – ont en réalité dénoncé sa tiédeur, réclamant plus de flexibilité. De nombreuses mairies ont quant à elles contourné les nouvelles dispositions législatives, afin de limiter la densification de leur territoire. Dans ce domaine, le bras de fer entre le gouvernement et les collectivités locales ne semble pas prêt de se terminer. De nombreuses communes préfèrent le statu quo, refusant d’envisager une autre façon d’aborder l’urbanisme de demain. Par exemple, des maires ont décidé d’augmenter la surface inconstructible en créant des retraits plus importants sur la voie publique, de limiter la hauteur des immeubles, d’augmenter le pourcentage d’espaces verts dans l’occupation des sols de leur commune… Les astuces sont nombreuses, et parfois très byzantines quand il s’agit de refuser purement et simplement des permis de construire sans raison réelle.

Il faut donc tisser de nouveaux liens entre acteurs locaux et promoteurs. « Les mairies sont particulièrement vigilants sur la levée des réserves des immeubles en livraison, note Gilles Imbert, directeur général du Groupe Interconstruction. Ils doivent donc être des partenaires avec lesquels il faut être en contact permanent. Par ailleurs, à partir du moment où l’on repère un terrain, on peut imaginer des projets, mais la ville a ses règles. Chaque ville a son propre PLU (Plan local d’urbanisme), qui indique ce qu’il est possible de réaliser par rapport à des zones, à des quartiers, à des affectations très précises en termes de gabarit, de hauteur, de retrait par rapport à la rue, etc. »

Car un statu quo ne profiterait en réalité à personne. Ces trente dernières années, les fortes hausses du prix de l’immobilier par rapport aux revenus des habitants ont beaucoup nui à la compétitivité de l’économie française dans son ensemble. Les villes se sont d’abord étalées, les familles n’ayant souvent plus les moyens de rester dans les centres-villes et donc à proximité des bassins d’emplois. Si la densification des zones urbaines s’est ensuite imposée, cette dernière doit maintenant se faire de manière intelligente, à la fois pour les habitants et pour l’environnement. Dans les villes à forte densité, le foncier est aujourd’hui rare et coûte donc très cher. Impossible dans ce contexte de proposer des logements privés à un prix abordable. Il devient donc impératif de repenser l’urbanisme.

 Un concept nouveau : la réversibilité

Face à l’envolée des prix, élus locaux et promoteurs immobiliers s’engagent aujourd’hui sur une nouvelle voie, celle de la réversibilité. Les communes, en particulier autour de grandes villes comme Paris et Lyon, travaillent sur la construction de nouveaux logements sur ce qu’elles appellent les « dents creuses », ces parcelles de terrain non construites, et sur la transformation des bureaux inutilisés en logements (sociaux ou privés). « C'est assez terrifiant de voir à quelle vitesse le parc de bureaux devient obsolète, constate Eric Mazoyer, directeur général délégué de Bouygues Immobilier. Des immeubles livrés il y a cinq ou six ans sont déjà trop vieux ! » A Paris par exemple, la mairie a identifié 250000 mètres carrés de bureaux à convertir en logements dans les trois prochaines années. L’idée est pertinente, même si elle reste coûteuse car l’opération demande des travaux très lourds. C’est donc surtout dans les nouveaux projets que la réversibilité offre les meilleures perspectives. « Il faut créer de la flexibilité dans l'occupation des bureaux. Les entreprises sont davantage dans une logique de projets. Elles fonctionnent de moins en moins avec des bureaux cloisonnés », constate pour sa part Christophe Kullmann, directeur général de Foncière des Régions. L’idée est donc de s’adapter aux besoins, presque en temps réel.

Pour de nombreux acteurs du secteur immobilier, une urbanisation responsable passe d’abord par un cadre législatif beaucoup plus souple, et surtout repensé en cohérence avec les nouvelles habitudes de vie et de travail des citadins. « La réglementation doit permettre plus de réversibilité, plus de mixité, explique Marc Villand, président de la Fédération des promoteurs immobiliers d’Ile-de-France et PDG du Groupe Interconstruction. A partir du moment où l’on peut aujourd’hui travailler sous un arrêt de bus ou dans sa salle de bain, quel est le sens des catégories d’affectation des locaux telles qu’elles sont définies par le code de l’urbanisme ? Le règlement doit accompagner voire anticiper les changements ; or il a aujourd’hui deux trains de retard sur les mutations de la société. Partout dans le monde, on peut construire des immeubles de bureaux avec des logements superposés ou l’inverse. En France, vous êtes IGH (immeuble de grande hauteur) à 50 mètres pour les logements et à 28 mètres pour les bureaux. Pourquoi ? Cette règle est aujourd’hui dépassée, elle ne garantit pas la réversibilité ni la mixité des usages. Donc, pour moi, la première urbanisation responsable, c’est d’abandonner le tout-réglementaire… Et quand des règlements sont indispensables, il faut qu’ils soient prévoyants, qu’ils anticipent un peu. »

L’anticipation passe aussi par l’innovation et la haute technologie. Cela peut aujourd’hui se concrétiser par la généralisation de la modélisation en 3D des données du bâtiment, afin de s’adapter à l’évolution du cycle de vie des bâtiments construits. Cette modélisation a deux grands avantages : elle limite les erreurs au moment de l’installation des structures de base et elle permet de détecter avec fiabilité les dégradations et de planifier les réparations. « Notre métier de promoteur immobilier n’est pas de vendre des mètres carrés, mais de fabriquer des espaces de vie, souligne Emmanuel Launiau, PDG d’Ogic, une société de promotion immobilière. Nous nous livrons à l’art délicat de la couture urbaine dans lequel le paysage et la nature en ville prennent toute leur place. » La ville de demain est donc entre les mains des gouvernements, des élus locaux et des promoteurs immobiliers. A eux de tisser les liens les plus solides possibles. 

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