#4 Construire bioclimatique en climat tropical et à la Réunion : le regard de l’architecte Antoine Perrau

Rédigé par

antoine perrau

manager

27021 Dernière modification le 15/06/2022 - 18:17
#4 Construire bioclimatique en climat tropical et à la Réunion : le regard de l’architecte Antoine Perrau

Construire bioclimatique à la Réunion et, plus généralement, dans les DROM et COM (anciennement DOM-TOM) demande une certaine persévérance. Entre normes et règlementations souvent inadaptées, Antoine Perrau nous dresse un état des lieux, tout en mettant en avant les solutions qui fonctionnent. Entretien.

Historiquement parlant, le bioclimatisme est né dans la première moitié du 20ème siècle et a commencé réellement à se développer suite aux chocs pétroliers des années 1970 aux Etats-Unis. Il s'inspire de la conception des constructions vernaculaires, ainsi que la recherche du confort en utilisant le climat et les ressources locales. En deux mots, il s’agit de concevoir en harmonie avec le climat : c’est-à-dire savoir se protéger du climat (chaud, froid, vent, pluie, etc.), mais également savoir en profiter (lumière, chaleur ou fraîcheur naturelle selon la saison, brise douce, etc.). Outre la ventilation naturelle, l’enveloppe poreuse du bâtiment et les protections solaires, on ne peut pas parler de bioclimatisme en milieu tropical humide sans évoquer le rôle du végétal vivant pour optimiser la fraîcheur des bâtiments.

La végétalisation : incontournable pour la ville tropicale durable

Les végétaux sont indispensables à l'homme, fournissant l'oxygène et en absorbant le CO2. Ce qui explique l'importance des grandes forêts, notamment tropicales. Ainsi, pour améliorer le confort estival dans les villes, une des solutions les plus simples est l’accroissement de la place de la végétation.

Pour aider à maîtriser la dépense énergétique induite par la climatisation et le réchauffement des bâtiments, les solutions végétales appliquées aux abords des enveloppes sont très efficaces. Cela permet de réduire l’impact des îlots de chaleur, voire de les faire disparaître et ainsi de réduire l’émission de gaz à effet de serre et des charges thermiques participant à l’îlot de chaleur urbain.

Ce constat va au-delà de la récente démarche bioclimatique,  en effet, intégrer le végétal aux abords du bâti fait partie des traditions réunionnaises.

Les projets de végétalisation des abords du bâtiment ont de nombreux intérêts:

  • Tout d’abord, environnementaux : rafraîchissement de l’air par l’évapotranspiration , amélioration de la qualité de l’air par la résorption de la pollution atmosphérique, réduction des nuisances sonores absorbées par les plantes et le substrat, sauvegarde de la biodiversité et gestion des eaux pluviales par la réduction des eaux de ruissellement et l’infiltration sur site .
  • Thermiques : Par exemple, une étude du LEU a montré, qu’en 2011, les locaux d’un bâtiment de bureaux bioclimatiques (pour lequel la végétation n’avait pas encore pris son ampleur) avait une différence de 7 degrés avec la température extérieure sous abri du milieu minéral de l’autre côté de la rue . En 2018, les mêmes mesures ont indiqué que cette différence était montée à 10 degrés grâce au développement du végétal environnant !
  • Puis économiques : augmentation de la durée de vie de l’étanchéité protégée par le substrat et réduction des coûts énergétiques par l’effet de protection thermique.
  • Enfin, esthétiques et pratiques : paysage agréable au regard et mieux intégré en milieu naturel, surface disponible pour une production vivrière locale, espaces verts protégés pour des activités de divertissement comme le sport ou autres .

La végétalisation à la Réunion : des expériences à systématiser

Aujourd’hui à la Réunion, seuls quelques établissements publics ont tenté l’expérience. Chez les particuliers, la technique est encore moins utilisée. D’ailleurs, il s’agit d’un aspect important dans notre projet de conception du Siège du Parc National de la Réunion en 2014. L’objectif était de construire un bâtiment exemplaire (même s’il n’y avait pas de recherche de label particulier) dans un contexte particulier : localisation en zone tropical humide mais à plus de 1000 mètres d’altitude. La stratégie devait donc prendre en compte les problématiques de confort d’été, mais aussi de confort pendant la saison fraiche. Outre le confort visuel offert, la végétalisation en pied des façades a contribué au confort d’été en favorisant une bulle de fraicheur, mais a également contribué à la restauration écologique du site et à la gestion des eaux pluviales.

Généralement, la démarche que l’on suit pour intégrer le végétal vivant est :

  1. Tout d’abord une visite du site pour relever tous les végétaux en vue d’en préserver le maximum
  2. Une conception visant à maximaliser le végétal en périphérie immédiate des bâtiments afin de créer une bulle de fraicheur.
  3. La protection et l’ombrage des espaces extérieurs (stationnements, cheminements piétons…) afin de limiter l’albédo des surfaces horizontales.
  4. Le choix d’essences adaptées au site et à son contexte climatique de manière à limiter les besoins en eau et en entretien
  5. La mise en place de contrat d’entretien sur 3 ans afin de s’assurer au mieux de la reprise des sujets.

Bioclimatisme et urbanisme à la Réunion

Afin de concevoir une architecture bioclimatique à la Réunion, la première étape est l’analyse du climat propre du site. Il y a en effet énormément de microclimats dus au relief montagneux  sur le territoire (entre 0 et 1800 mètres d’altitude pour les zones habitées) et 3000m pour le point culminant. On peut mesurer ainsi une différence jusqu’à 15 degrés entre certaines zones au même moment de la journée.

Pour rappel la seule stratégie bioclimatique de ventilation utilisable en milieu tropical humide est l’usage de la ventilation naturelle dans les locaux, dans la zone de vie. Elle permet d’obtenir, sous certaines conditions, une température ressentie de 4°C inférieure à la température mesurée grâce à la vitesse de l’air. La connaissance et la prise en compte de la donnée vent sur le site est donc essentielle.

 

L’exposition au soleil, le climat et enfin le contexte urbain ont aussi un rôle important.  

Les architectes sont soumis à des contraintes d’urbanisme. Ce sont toutes les règles, limitations, ou prescriptions contenues dans les documents locaux d'urbanisme (le plan local d'urbanisme, les cartes communales, etc.). Elles concernent principalement l'utilisation du sol, la hauteur de construction, les marges derecul, la densité de construction autorisée et l'interdiction de construire dans certaines zones. Bien que je sois, bien sûr, d’accord avec le fait que l’on ne peut pas construire n’importe comment en ville, il faut reconnaître que ces contraintes règlementaires sont souvent inadaptées à la conception de bâtiments optimisés pour l’usage de la ventilation naturelle. On ne peut pas reproduire les villes en « U » dans les villes tropicales, avec, par exemple, une architecture haussmannienne comme en métropole avec des façades verticales et une minéralisation horizontale.

Les limites des normes édictées en métropole

L’alignement à la rue est, par exemple, une norme fréquemment imposée par les PLU, alors que sous notre climat, il s’avère bénéfique que la façade soit en retrait afin que l’on puisse mettre en place un tampon climatique entre la rue et le bâtiment (recul planté, double peau, varangue urbaine…). Un autre exemple est la pente des toitures fixée couramment à deux pans entre 30 et 45 degrés pour reprendre la typologie des maisons traditionnelles : ce n’est pas la configuration la plus favorable pour optimiser la ventilation naturelle, ni pour installer des panneaux photovoltaïques ou des capteurs d’eau chaude solaire, sans parler des aspects esthétiques. Pour continuer sur les toits, on nous interdit souvent que ces derniers dépassent de plus de 20 cm du nu de la façade au-dessus de l’espace public, or il nous faut absolument des grands toits climatiques qui protègent à la fois de la pluie et du soleil. D’ailleurs, à Mayotte, les PLU autorisent les toits de dépasser jusqu’à 3,5 mètres.                                   

Un manque d’infrastructures de transport public et de vision de la ville durable

D’autre part, du fait du développement toujours insuffisant aujourd’hui des transports en commun à la Réunion, le ratio voiture/habitant est élevé. Malheureusement, la majorité des parkings sont dans les espaces extérieurs et non pas sous les bâtiments. Ils participent donc à la minéralisation des sols et au réchauffement urbain par radiation. Si on nous imposait d’implanter principalement les parcs de stationnement sous les bâtiments, on pourrait par exemple augmenter la surface des terrains végétalisés en ville !                                                                                                                                                       

Enfin, un dernier exemple de norme à revoir serait l’autorisation de « bâtir plus haut » : la ville tropicale ne peut pas être une ville horizontale. En effet le potentiel de ventilation augmentant avec la hauteur, il faudrait, pour un territoire comme la Réunion, penser des villes plus verticales, mais pas avec des hauteurs homogènes afin d’optimiser le potentiel de ventilation des bâtiments.

Mon constat peut paraitre sans appel, mais il fait suite à notre expérience sur le terrain. Afin de promouvoir le bioclimatisme et, donc, des bâtiments plus durables, il est nécessaire de revoir les règlementations urbaines. C’est une vision partagée par l’ensemble des DROM et des COM où l’on déplore que les normes et réglementations soient trop souvent directement inspirées de ce qui se fait en métropole.

 

Note biographique : architecte spécialisé en bioclimatisme et urbanisme environnemental en milieu tropical, Antoine Perrau est co-gérant du Laboratoire d’Ecologie Urbaine  (LEU) à la Réunion. Ce bureau d’étude,  fondé en 2003, est affilié à son agence d’architecture le Laboratoire d 'Architecture Bioclimatisque Réunion (LAB Réunion) et se spécialise dans la restauration écologique, le bioclimatisme en milieu tropical et le développement des projets d’aménagement durables ou le rôle du végétal est essentiel.

 

Propos recueillis par Hassan Abouzid

 

crédit photo: Xzeke Tucker

 


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Construire durable sous climats chauds
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