[Dossier Biosourcés #17] Les bétons végétaux, potentiels techniques et performances environnementales

Rédigé par

Bernard BOYEUX

Directeur

14629 Dernière modification le 26/03/2020 - 12:00
[Dossier Biosourcés #17] Les bétons végétaux, potentiels techniques et performances environnementales

Au-delà de leur intérêt environnemental, les bétons végétaux offrent une grande diversité de composition et de caractéristiques techniques qui leur permettent de s’adapter à des exigences et à des utilisations variées. Si leur potentiel d’innovation reste très large, le marché propose aujourd’hui des solutions matures, que ce soit en construction neuve ou en rénovation.

De quoi parle-t-on ?

Les bétons végétaux sont des bétons dans lesquels on remplace, totalement ou partiellement, les granulats minéraux par des granulats d’origine végétale. Cette substitution modifie très sensiblement les performances de ces bétons.

Les liants peuvent être de natures diverses (chaux, ciments, argiles, ...) mais exigent de prendre des précautions pour que la prise soit assurée.

Pour les granulats, la variété des ressources est très large. Les granulats de bois sont utilisés depuis plusieurs dizaines d’années pour la confection de bétons légers et pour la réalisation de murs anti-bruit. Un développement plus récent concerne la fabrication de blocs à maçonner avec des granulats issus de palettes en fin de vie.

Les bétons de chanvre sont, quant à eux, apparus il y a une trentaine d’années et ont fait l’objet de nombreux travaux de recherche mettant en valeur leurs spécificités physiques, notamment leur porosité. Ces travaux, qui se poursuivent, ont permis de fiabiliser les utilisations.

Les performances des bétons végétaux sont en grande partie dépendantes de la nature, de la morphologie et des caractéristiques physico-chimiques des granulats

[Photo Libre de droit CC0]

 

En dehors de ces deux « majors » - bois et chanvre – qui occupent l’essentiel du marché, de nombreuses autres ressources sont mobilisables. Le miscanthus - « roseaux de chine » ou « herbe à éléphant » - et le lin qui, malgré des filières organisées, n’ont pas encore fait réellement aboutir les travaux de développement mis en place dans le domaine de la construction. Parmi les grandes cultures pratiquées en France métropolitaine, le colza, le tournesol et le maïs suscitent des intérêts croissants. Ces cultures sont susceptibles de produire des volumes très importants à partir des tiges qui ne sont pas valorisées, sans concurrence avec les usages alimentaires et à des coûts potentiellement très bas. Plus exotiques, mais avec des potentiels importants dans des zones géographiques à fort développement démographique, les cosses de riz et les résidus de canne à sucre (bagasse) permettent de confectionner des bétons végétaux performants. Enfin, dans de nombreuses zones géographiques les écosystèmes naturels possèdent des potentiels importants à l’instar du typha, un roseau qui envahit, entre autres, le fleuve Sénégal et qui fait l’objet de programmes de développement ambitieux.

Dans pratiquement tous les pays du monde, les bioressources susceptibles de fournir des granulats végétaux sont abondantes. La France, pays agricole, dispose de gisements importants.

[©Bernard Boyeux]


Globalement, de nombreuses ressources végétales sont en mesure d’être transformées en granulats pour confectionner des bétons végétaux, avec l’ambition, dans la logique de la filière béton, de favoriser des ressources locales.

La formulation des bétons végétaux : les vertus du compromis

La principale difficulté dans la confection des bétons végétaux provient de l’émission de lixiviats chargés en polysaccharides lors du mélange des granulats avec l’eau de gâchage. Ces sucres contrarient la prise des liants hydrauliques en réduisant la résistance mécanique du béton. Plusieurs solutions existent pour réduire ce phénomène : l’adjuvantation des liants qui peut bloquer la diffusion des sucres, l’utilisation de liant à prise très rapide afin que la prise se fasse avant l’émission des sucres, ou encore l’enrobage des granulats avec une barbotine de ciment ou de chaux pour former une coque protectrice.

Il faut cependant préciser que la porosité interne des granulats (≈80%) confère au béton souplesse et faible résistance mécanique (Rc ≈ 1MPa). Elle peut être améliorée par l’augmentation du dosage en liant et/ou par la compression du béton à la mise en place ce qui permet de dépasser 4 MPa. Mais c’est au détriment des performances thermiques. Il s’agit donc de trouver un compromis qui réponde aux exigences des utilisations prévues.

Les murs de la Maison Diocésaine Odette Prévot de Chalon en Champagne ont été isolés avec un enduit de béton de chanvre lors de sa rénovation en 2004. La consommation énergétique constatée pour le chauffage est de 61Kwh/m2/an (relevés 2013 et 2014)

[Courtesy M'cub © Luc Boegly]

 

Performances environnementales, spécificités techniques

Sur le plan environnemental, les bétons végétaux répondent à deux attentes fortes : la capacité de fournir des quantités importantes de granulats renouvelables pour faire face à des besoins qui croissent mondialement de façon exponentielle et la diminution des impacts carbone des matériaux de construction qui participent, en construction neuve, en France, à plus de 60% des émissions globales des bâtiments.

Les bétons végétaux représentent une des solutions matures pour diminuer le bilan carbone des bétons. Ils ont en plus la capacité de stocker durablement du carbone, caractéristique qui, selon la loi ELAN, devra être prise en compte dans les futures réglementations.

Du point de vue des caractéristiques physiques, du fait de la porosité des granulats, les bétons végétaux bénéficient d’une faible masse volumique, d’une grande plasticité, d’une résistance thermique élevée et de capacités d’absorption phonique. Leur porosité permet d’expliquer leur comportement hygrothermique : les échanges de vapeur d’eau sont possibles avec l’air ambiant et les effets des vaporisations/condensations de la vapeur d’eau au sein du réseau poreux améliorent sensiblement la performance énergétique des bâtiments.

Comparaison des variations de température au centre d’une paroi pour différents matériaux de conductivité thermique et masse volumique très proches : briques monomur en rouge, béton cellulaire en noir et béton de chanvre en vert. La paroi est soumise sur l’une de ses faces à un créneau de température (mesures A variations de 10 à 40°C) l’autre restant à température ambiante (≈ 25°C mesures en E).

L’augmentation de la température est plus modérée pour le béton végétal en raison des changements de phase de la vapeur d’eau au sein de son réseau multi poreux [Thèse de doctorat de Driss SAMRI, 2008].

Mode d’emploi

En dehors des utilisations exigeant de forte résistance en compression, les champs d’application des bétons végétaux sont larges.

On voit se dessiner deux axes de mise en œuvre : d’une part, la confection de béton sur chantier avec une mise en œuvre par projection permettant la réalisation d’enduits isolants et le remplissage de parois (murs, planchers, toitures) - généralement à structure bois. D’autre part, la préfabrication, depuis les blocs à maçonner – dont des systèmes innovants de montage à sec par emboitement - jusqu’à de la construction modulaire dont une proposition a été lauréate du Prix de l’Innovation du Salon des Maires 2014 - en passant par des panneaux incluant une structure bois ou combinant un voile structurant et une isolation en béton végétal.

Sans que la frontière soit étanche, la préfabrication répond principalement aux exigences de la construction neuve alors que la projection est une solution pertinente en rénovation, en particulier dans le cas du bâti antérieur à 1948 dont les bétons végétaux, grâce à leur porosité et à leur plasticité, respectent tant le fonctionnement hygrothermique que l’architecture en épousant toutes les formes du bâti existant et en adaptant les épaisseurs aux différentes contraintes.

 

Caractéristiques physiques : des bétons pas comme les autres

Origine des propriétés physiques

Les bétons bio-sourcés à base de granulats végétaux offrent des performances extrêmement variées, à la fois du point de vue mécanique, mais aussi thermique, hygrothermique et acoustique. On en trouve l’origine essentiellement dans la porosité des particules végétales mais aussi dans la large gamme possible de composition de ces bétons, défini par le ratio liant/granulat, compris grosso modo entre 100 et 800 kg de liant pour 100 kg de granulat. A dosage croissant en liant, les caractéristiques vont évoluer avec (1) une augmentation de la densité et de la résistance mécanique, (2) une diminution des performances isolantes et acoustiques ainsi que, en fonction de la nature du liant (chaux ou ciment), (3) une possible diminution des performances hygrothermiques. La nature des granulats va également impactée les performances finales de ces bétons : on trouve en effet des gammes très variées allant des particules très compressibles et légères comme les moelles de tournesol aux balles de riz, bien plus rigides et denses. Les densités foisonnées de ces particules (en vrac) vont de 35kg/m3 (tournesol) à 120kg/m3 (balle de riz) en fonction de leur nature et de leur granulométrie, et leur propriété d’absorption en eau varie entre 100% et 350% de leur masse ce qui impacte la quantité d’eau à incorporer dans le mélange en fonction du mode de mise en place. Un dernier point, essentiel concernant les performances mécaniques finales, concerne les interactions chimiques entre le liant et le granulat, avec une influence sur la prise, notamment à de faibles niveaux de dosage en liant. Ce point doit faire l’objet d’attention particulière lors des études de performances et de validation.

 

Des performances très larges

En premier lieu, ces bétons présentent des densités faibles, allant de 150kg/m3 à 1200kg/m3 pour les plus denses, en raison d’une porosité importante, aussi bien inter-granulaire que intra-granulaire. Les performances de ces bétons sont en corrélation directe avec la densité, et les résistances mécaniques, de 0,05 MPa pour une utilisation en isolant sous toiture peuvent atteindre des valeurs de l’ordre de 5MPa pour les plus denses, avec des comportements de très déformables à rigides fragiles pour ces derniers. Ensuite, les propriétés thermiques constituent un atout indéniable de ces bétons, avec des valeurs comprises entre 0,05 et 0,2 W/(M.K) et des temps de déphasage de 4 à 8 h pour une épaisseur de 10 cm. Enfin, ces bétons possèdent des potentiels de régulation d’ambiance hygrométrique et acoustique intéressante, à relativiser cependant en fonction de la présence d’enduit en surface.

 

Des avantages indéniables

Ces performances multiples confèrent des avantages économiques et écologiques à ces bétons, en évitant par exemple les systèmes multi-couches des modes constructifs classiques (paroi-isolant) tout en favorisant le stockage carbone de matières végétales à cycle court (annuel en général). On peut même citer, dans le cas des structures-bois, un apport en contreventement important, constituant un effet stabilisateur sous sollicitation sismique.

Stéphane Hans, Enseignant- Chercheur ENTPE, membre de Sable Vert

 

Un article signé Bernard Boyeux, Directeur de BioBuild Concept, membre de Sable Vert

Sujet réalisé en collaboration avec : 

  • Laurent Arnaud, Chef du département Bâtiments durables du Cerema, membre de Sable Vert
  • Michel Rizza, Guilde des métiers de la chaux, membre de Sable Vert

 

 

 Crédit photo : HA Segalen

 

Consulter l'article précédent :  #16 - BTONLIN et CobBauge, 2 programmes de développement de matériaux biosourcés pour la construction - ESITC Caen


           

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