#8 - Eiffage et la prise en compte financière du risque climat : une première dans le secteur du BTP

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Actierra page

Responsable communication

3192 Dernière modification le 11/06/2019 - 17:33
#8 - Eiffage et la prise en compte financière du risque climat : une première dans le secteur du BTP

A notre époque saturée par les acronymes, « TCFD » pourrait bien devenir l’un de ceux à retenir. Par ses quatre consonnes, il faut comprendre Task Force on Climate-related Financial Disclosures. De quoi s’agit-il ? Le G20, lors de la COP21, a confié à un groupe de travail présidé par Michael Bloomberg l’élaboration d’un référentiel de reporting rassemblant toutes les informations financières liées à la prise en compte du risque climatique dans les activités économiques. Éclairage avec Valérie David, directrice Développement durable et Innovation transverse chez Eiffage.

Interrogée sur la pertinence du TCFD, Valérie David est catégorique : « lorsque l’on travaille sur un objet physique comme le territoire, l’activité est directement impactée par le risque climatique. Il faut donc évaluer ce dernier tant pour nos clients que pour nos financeurs. » Un discours étroitement lié à la stratégie d’Eiffage depuis une dizaine d’années, puisque l’adoption du référentiel TCFD est la suite logique des prises de position de l’entreprise sur le bas carbone ou la biodiversité depuis 2007. Un cas à part dans un secteur où les grands groupes sont traditionnellement « addicts » aux matériaux carbonés et frileux à l’idée de prendre des engagements chiffrés pouvant impacter directement leurs chaines de création de valeur.

 

Une gouvernance de haut niveau

Responsabilité environnementale vs. chaîne de création de valeur, telle est souvent la dichotomie avancée pour justifier l’immobilisme face à la menace du dérèglement climatique. Car, soyons clair, prendre des risques financiers, dépenser de l’argent pour potentiellement en gagner moins à court terme, n’est pas très « glamour » pour des gouvernances soumises au devoir de résultat immédiat. Par ailleurs, quand bien même décision est prise d’étudier le risque climat, apporter les changements nécessaires à la mutation de l’activité reste difficile, notamment managérialement. Aux multiples secteurs d’activités et corps de métiers présents au sein des multinationales, correspondent en effet un cortège de directeurs et de décideurs qu’il faut convaincre d’agir dès maintenant malgré des intéressements sur résultats ne prenant pas encore en compte le risque climat.

 

Conduire le changement requiert donc un niveau de gouvernance à la mesure de l’enjeu, comme le précise Valérie David. « Jusqu’ici nous avions pris des engagements forts. L'avancée majeure avec le référentiel TCFD est d’avoir inscrit dans le marbre et validé par le conseil d’administration le fait de prioriser un écosystème bas carbone, depuis nos partenaires en termes de R&D jusqu’à nos financeurs, sous-traitants et fournisseurs. La TCFD exige que la direction bicéphale du Groupe –PDG et conseil d’administration- soit impliquée. Depuis notre assemblée générale d’avril 2019, la rémunération variable de notre PDG comprend un indicateur d’évitement de carbone dans l’offre commerciale, ce qui est une première dans le secteur du BTP français. »

 

Une mutation nécessaire vers le bas carbone

Les décisions étant prises au plus haut niveau, l’enjeu est aujourd’hui de revoir les méthodes de travail du groupe. Pour ce faire, deux scénarios, tous deux alarmants, sont pris en compte : un scénario dit de la « non action », c’est-à-dire si rien n’est entrepris dès maintenant pour limiter les émissions de l’offre du groupe, et un scénario d’une augmentation moyenne du climat à 2°C. En termes d’entrants, la problématique principale est la dépendance aux matériaux et aux énergies carbo-intensifs. Le champ des possibles est immense. Entre nouveaux investissements en R&D et rapprochements avec des entreprises proposant des solutions complémentaires au portefeuille d’Eiffage, l’arbitrage se fait à haut niveau et rapidement. Une démarche qui apporte de nouvelles inconnues à l’équation en termes de disponibilité des ressources, mais aussi de compétences internes et de défis de formation si de nouvelles solutions sont généralisées. C’est notamment le cas aujourd’hui, avec l’adoption prochaine d’un nouveau type de béton moins carboné ou d’une généralisation du réemploi. Quant aux process, après la phase d’évaluation de leurs performances environnementales, s’offrent des solutions d’optimisation ou, plus radicalement, de substitution au profit de produits finaux moins émetteurs. Cette économie émergente du bas carbone repose sur un écosystème qui mérite ici vraiment son nom : R&D interne. R&D de fournisseurs, appétence des clients, exigence nouvelle des financeurs, demandes d’anticipation du marché, etc. tout se met en marche de façon cohérente pour soutenir la viabilité des offres bas carbone, avant qu’elles ne deviennent obligatoires.

C’est cette anticipation des offres décarbonées de construction, de génie civil et d’énergie que la variable de rémunération de la gouvernance prendra désormais en compte.

 

La constitution d’une communauté responsable

À ce stade, la TCFD peut être vécue comme une contrainte économique, logistique et organisationnelle pesante. Une limite balayée d’un revers de la main par Valérie David : « pour moi, 2019 est un vrai jalon, c’est l’année où Eiffage commence à emprunter moins cher grâce à ses démarches bas carbone. » Comment ? Du fait d’un des avantages du référentiel TCFD : celui de ne pas se limiter à un seul secteur d’activité et de donner des bases communes d’analyse à tous les niveaux de la chaîne. « Legrand, fournisseur important du secteur, qui a adopté la démarche TCFD en 2018, vient nous voir prioritairement pour présenter ses produits bas carbone, car nous parlons un langage bas carbone commun et il sait qu’il aura toute notre attention pour présenter, voire tester, ses nouveaux produits vertueux. Pour une banque qui est face à un acteur du BTP qui évalue son risque climat, la démarche est la même. Elle sera rassurée en termes de gouvernance, soit parce qu'on est considéré comme un client plus responsable, donc avec un meilleur scoring de risque, soit parce qu’elle considère que l'infrastructure qu'elle cofinance aura intégré dès sa conception la nécessaire résistance aux conséquences du dérèglement climatique. »

 

De l’avis du contingent français ayant adopté la TCFD - près de 25% des entreprises faisant partie du CAC40 -, l’un des points forts de la démarche est la constitution d’une communauté. Chaque secteur et chaque entreprise évalue, certes, les risques climat à sa manière, mais peut échanger avec ses confrères sur les apports, les trucs et astuces pour conduire le changement ou préciser la vision à porter en interne. Pour certains hauts responsables conscients d’une nécessaire prise en compte des contraintes environnementales depuis de nombreuses années, la possibilité d’échanger et l’arrivée de résultats concrets sont un véritable soulagement, comme le confirme Valérie David : « auparavant, bien que membre du Comex, le directeur financier n’était pas un interlocuteur quotidien. Quand il commence à venir vous voir spontanément car les résultats sont tangibles, notamment en termes de coûts de l’argent, la conduite du changement est bien plus simple ! »

 

La TCFD, le nouvel eldorado de l’entreprise responsable ?

L’effet d’aubaine généré par cette communauté responsable n’est pas à négliger. Ceci alors que les groupes recherchent la croissance et la rentabilité sur des marchés qui ont depuis longtemps atteint leur taille critique. D’autre part, pour un acteur du bâtiment, les relations avec les financeurs, clients, sous-traitants ou fournisseurs sont multiples. Le financeur d’aujourd’hui peut ainsi être ou devenir un gros client pour sa branche asset management ou un codécideur potentiel sur des contrats importants. Posséder un écosystème bas carbone pérenne est aussi un véritable atout pour des appels d’offres emblématiques tels que ceux des Jeux Olympiques 2024 où l’aspect environnemental est mis en avant.

 

Légende de la photo :  Vue de la future tour de logements à structure bois Hypérion à Bordeaux (Gironde) dont la livraison devrait intervenir en 2021 et qui constituera une étape clé dans la stratégie bas-carbone d'Eiffage

 

Article coécrit avec la rédaction de Construction21

 

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