[Dossier Biosourcés #24] L’herbe naturelle, un matériau d’avenir pour le secteur de la construction

Rédigé par

Agnès Roggeman

Communication / marketing

6186 Dernière modification le 31/03/2020 - 12:20
[Dossier Biosourcés #24] L’herbe naturelle, un matériau d’avenir pour le secteur de la construction

Encore peu connue dans la famille des isolants biosourcés, l’herbe s’avère pourtant être une ressource prolifique pour l’isolation. L’entreprise pionnière Gramitherm en exploite tout son potentiel en proposant des panneaux d’isolation semi-flexibles en fibres d’herbe, aux performances techniques et environnementales notoires. Rencontre avec Christian Roggeman, fondateur et CEO de Gramitherm.

En quoi l’herbe constitue une ressource intéressante pour le domaine de la construction ?

Premièrement, l’herbe est une matière première abondante et a l’avantage d’avoir un cycle de reconstitution très court, de deux à trois mois. Cela représente un atout indéniable pour le stockage du CO2.

Il est important de rappeler que l’ensemble des matériaux biosourcés (herbe, lin, chanvre, bois etc.) présente d’excellentes caractéristiques techniques en comparaison des isolants classiques (laines minérales et mousses chimiques…). En plus d’être doublement efficaces contre le chaud et le froid, les fibres naturelles bénéficient d’un très bon comportement contre l’humidité, ce qui est un atout considérable par rapport aux isolants classiques. Et qui dit bon comportement face à l’humidité dit stabilité dans le temps, gage d’une longue durée de vie des panneaux d’isolation. La fibre naturelle de l’herbe s’avère aussi être un très bon absorbeur phonique, permettant un confort acoustique intérieur, notamment dans les maisons en bois.

Enfin, l’herbe est très performante sur le plan environnemental, grâce à la valorisation de la matière, basée sur la récupération d’une biomasse aujourd’hui considérée comme un déchet et non d’une herbe de culture récoltée à dessein… L’utilisation de l’herbe n’a ainsi aucun impact sur les sols. Pour produire 30kg de fibres d’herbe, il faut seulement 150 kg d’herbe coupée, soit un coefficient de 5. Par ailleurs, aucune perte n’est à déclarer dans le processus de transformation de la matière, puisqu’on peut valoriser l’herbe sous sa forme solide, à savoir les fibres de cellulose pour les panneaux d’isolation, mais aussi sous sa forme liquide, le « jus d’herbe », utilisé et transformé en combustible de méthanisation. L’énergie consommée est alors grandement optimisée sur tout le cycle de vie. Ajoutée à cela la capacité de l’herbe à piéger une quantité importante de CO2 sur un temps très court durant sa phase de croissance, le bilan carbone de l’activité s’avère négatif. On peut donc aujourd’hui proposer des solutions performantes pour le bâtiment tout en ayant un impact positif pour la planète.

Christian Roggeman, fondateur et CEO de Gramitherm

Exploiter l’herbe, c’est aussi créer une filière, pouvez-vous nous en dire plus sur ce type d’enjeux ?

Après sa création en 2007, Gramitherm est rentré en phase d’industrialisation en 2013. Nous sommes aujourd’hui actifs au Benelux, en Suisse, en Allemagne et en France. Qui dit industrialisation, dit lieu de production, et l’un des enjeux des filières biosourcés est celui-ci. Pour aller au bout de la démarche bas carbone, il faut en effet s’insérer dans un territoire qui offre à la fois de bonnes perspectives de vente dans un périmètre peu étendu et de quoi s’approvisionner en matière première. L’herbe que nous utilisons est une ressource qui n’était jusque-là jamais valorisée puisqu’elle était intégralement compostée, mise en décharge ou laissée sur place. Gramitherm transforme donc une biomasse perdue en valeur ajoutée, et ce sans jamais se substituer à l’herbe de culture, utilisée notamment pour l’élevage.

 Aux Pays-Bas et en Belgique, l’herbe non valorisée est taxée, obligeant les entreprises et les collectivités qui collectent de l’herbe à trouver des débouchés à ce déchet vert. La taxation crée des situations dans lesquelles les acteurs se retrouvent avec des tonnes d’herbe coupée dont ils ne savent pas quoi faire. Notre herbe provient d’ailleurs de la coupe et de l’entretien des espaces verts et des domaines publics comme les canaux dans les Flandres et aux Pays-Bas. La nécessaire création d’une filière passe donc par l’identification de territoires où l’approvisionnement est sécurisé.

Les pays du Benelux ont compris la logique vertueuse de la valorisation de la biomasse. Elle s’inscrit de fait dans une logique d’économie circulaire et de circuits courts, ce qui n’est pas encore le cas en France ou en Suisse.

La création d’une filière de valorisation de la matière est-elle la seule condition de réussite ?

S’assurer d’un approvisionnement par la valorisation de l’herbe est une condition sine qua none mais elle n’est pas suffisante. La création de partenariats est essentielle pour assurer le développement de la filière, au-delà des enjeux de financement. Cette dernière doit impérativement s’inscrire dans un écosystème régional, qui conjugue un approvisionnement et des partenaires locaux et ce tout au long de la chaîne de valeur. Les projets européens Interreg apportent en ce sens beaucoup d’opportunités et de valeur à ces filières, puisqu’ils permettent de fédérer un ensemble d’acteurs ancrés sur le territoire. Gramitherm a ainsi pu s’implanter en Belgique au travers du projet Interreg GrasGoed. Ce projet a permis de rassembler des acteurs, tous animés par la valorisation de l’herbe naturelle. Nous nous sommes intégrés dans cet écosystème, permettant aujourd’hui de réunir une usine, des fournisseurs et des marchés. 

Le projet Interreg "GrasGoed - Natuurlijk Groen als Grondstof " (GrassGoed – Vert comme l’herbe) implique 12 partenaires européens sur la période 2014-2020. Il a pour objectif de permettre aux spécialistes de la nature, aux entreprises et aux établissements de recherche et de formation de la région frontalière entre la Flandre et les Pays-Bas de donner une nouvelle vie aux "déchets » de l’entretien des sites naturels.

Le succès de la création d’une filière passe également par la connaissance du marché et l’accès à la distribution, facilités tous deux ces dernières années par l’engouement croissant pour l’isolation thermique du bâtiment au regard des enjeux environnementaux.

Pour autant, monter une plateforme de production en partant de rien relève encore du parcours du combattant. Il faut d’abord trouver les bons partenaires, les financements et après cela il reste encore à monter le site industriel et les équipes. C’est un travail varié et très prenant, entre la recherche d’autorisations, d’aides à l’implantation de l’usine et les multiples rencontres d’acteurs politiques et économiques.

Entre la volonté d’opérer en circuit court et de s’inscrire dans des écosystèmes régionaux, quels sont les potentiels de développement de Gramitherm ?

Gramitherm dispose d’un potentiel de développement mondial, grâce à l’abondance de sa matière première ainsi qu’à l’accroissement de l’intérêt pour les matériaux biosourcés. Pour autant, toute expansion doit se travailler par écosystème régional, les rayons de distribution de chaque unité étant limités. La délimitation d’un bon périmètre d’action est fondamentale, celui-ci doit respecter les critères de circuits courts, d’approvisionnement de la matière première et de présence de partenaires et clients potentiels.

A terme, nous visons également un développement du transport fluvial, qui permettra d’optimiser l’acheminement de nos produits et de réduire encore l’empreinte carbone de notre activité.

Comment s’organise actuellement l’activité de Gramitherm ? 

Concernant nos secteurs de commercialisation, ils sont principalement tournés vers la rénovation et les bâtiments en ossature bois. En accord avec les valeurs de l’entreprise et toujours dans un objectif de réduction de notre impact carbone, nous ne transportons jamais nos produits sur une longue distance, les longs trajets ne sont pas viables économiquement et sont mauvais environnementalement. Nos rayons de distribution sont de toute façon limités puisque nous opérons dans une démarche de circuit court. Cela permet par ailleurs d’optimiser la logistique. Notre périmètre de commercialisation est donc régionalisé, entre le Benelux, l’Ouest allemand, la Suisse et le Nord de la France.

Nos panneaux sont principalement à destination d’une isolation intérieure ; une utilisation en extérieur est néanmoins tout à fait possible. Notre clientèle est de nature diverse, mais nous ne travaillons pas avec des distributeurs généralistes. Nous traitons directement avec des spécialistes de la prescription, le biosourcé s’insérant dans un acte de vente « technique », où la conviction et l’information sont les maîtres mots. Nous travaillons également avec des industriels de la construction bois et des entreprises ou particuliers impliqués dans des opérations de rénovation.

Quelle est l’histoire de Gramitherm ?

La création de Gramitherm s’est faite en deux temps. L’entreprise est née en Suisse il y a douze ans grâce à un procédé inventé par Stefan Grass, ingénieur agronome, dans le cadre d’un partenariat avec l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL). Entre 2007 et 2013, une équipe a entrepris une phase de Recherche & Développement, en commençant par étudier le potentiel d’isolation thermique de l’herbe des prairies. Après obtention du brevet, le produit a été mis sur le marché de façon semi-industrielle. En 2013, la phase d’industrialisation a vraiment débuté. Accompagné de son équipe, Christian Roggeman a repris le flambeau en acquérant les actifs de Gramitherm, à savoir sa propriété intellectuelle.  Son ambition était alors d’accélérer l’industrialisation et la commercialisation du produit et de développer la solution brevetée et labelisée « Solar Impulse efficient solution » à l’international.

 Propos recueillis par Mathilde Driot, Construction21

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