[Entretien] « Il est impossible d’opposer écologie et économie », Jérôme Stubler président de VINCI Construction

Rédigé par

Leonard / Matthieu Lerondeau

Head of Communications & Communities, Leonard

2046 Dernière modification le 24/06/2020 - 12:10
[Entretien] « Il est impossible d’opposer écologie et économie », Jérôme Stubler président de VINCI Construction

Avec une trajectoire de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre affichée à -40% d’ici 2030, VINCI Construction se positionne comme l’une des majors les plus ambitieuses du BTP. Pour son président, Jérôme Stubler, la transition écologique représente une opportunité pour le monde de la construction : pour faire mieux avec moins, redonner plus à la nature et libérer la créativité et l’innovation chez les ingénieurs. A l’occasion de la conférence «Environnement et entreprises : la transition climatique comme stratégie » organisée par Leonard, entretien avec celui qui milite depuis plus d’une décennie pour une prise en compte de la performance globale des entreprises, à la fois économique, sociale et environnementale.

Actualité COVID19 oblige, permettez une question sur l’impact de ce dernier sur la stratégie de VINCI Construction ?

La pandémie de COVID19 a bien sûr affecté notre activité, même si notre présence à l’international nous a permis de continuer à œuvrer sur bon nombre de projets d’infrastructures. Mais une chose est sûre : le cap que VINCI Construction s’est fixé au travers de ses ambitions environnementales ne supportera aucune baisse de régime. La trajectoire que nous nous sommes fixée doit nous mener à une réduction de 40% de nos émissions de gaz à effet de serre en 2030. Le contexte économique ne doit pas conduire à transiger sur cet objectif. On ne peut jouer l’économie contre l’écologie ; les deux vont de pair et c’est précisément parce que nous sommes convaincus de leur effet d’entraînement réciproque que nous réaffirmons nos ambitions en matière environnementale.

Crédit photo : Jérome Stubler, vinci.com

Nous sommes bien sûr réalistes en ce qui concerne l’impact carbone des bâtiments que nous construisons. Nous ne sommes maître d’ouvrage qu’à hauteur de 2% des opérations dans lesquelles nous sommes impliqués. Pour le reste, les choix sont faits par nos clients et nous répondons à des appels d’offres plus ou moins avancés sur le plan écologique. Il est donc essentiel que la RE2020 arrive très rapidement, qu’elle affiche des ambitions et que celles-ci se traduisent sur le plan normatif, pour entraîner les maîtres d’ouvrage dans une transformation absolument nécessaire pour le secteur de la construction. Cela permettra de positionner la réduction de l’empreinte carbone comme une nécessité réglementaire et non plus une option associée à un surcoût non indispensable. La contrainte permet indéniablement d’initier le changement. Les technologies sont là, les matériaux bas carbone sont disponibles, les solutions constructives innovantes ne demandent qu’à être déployées à grande échelle. La transformation écologique de nos métiers est une opportunité, indispensable et techniquement viable. Saisissons-la avec l’aide de tous, y compris sur le plan normatif et réglementaire !

La contrainte écologique est souvent présentée comme un handicap en termes de compétitivité, partagez-vous cette vision ?

Sur le plan économique, il y aura bien entendu des surcoûts. Mais l’expérience montre que ceux-ci sont ensuite amortis pendant la phase d’exploitation. Depuis 15 ans, nous avons ainsi divisé l’impact écologique des bâtiments pendant la phase d’exploitation par un facteur compris entre 5 et 6. Sur le plan économique, il ne faut donc pas chercher l’immédiateté, mais se projeter. Nous avons des débats similaires en interne, lorsque nous demandons à nos équipes de relocaliser la fourniture de certaines solutions. Ce qui est perdu sur un prix brut est souvent gagné sur la réactivité des nouveaux partenaires locaux, le fait de pouvoir réduire le volume de commande et, donc, de stockage, etc.

Pour les constructeurs, une réglementation ambitieuse participe à constituer un avantage concurrentiel pour nos entreprises à l’international. Avec des normes de qualité, de sécurité ou d’acoustique en avance sur l’époque, nous avions acquis il y a 50 ans un savoir-faire que la concurrence internationale nous enviait. Aujourd’hui, une ambition de sobriété énergétique émerge et va générer des innovations que nous saurons exporter. Une RE2020 novatrice permettrait de redonner une longueur d’avance aux entreprises françaises.

Comment VINCI Construction peut contribuer à faire évoluer les réglementations en vigueur ?

En étant associé à la rédaction de la future réglementation. A titre d’exemple, nous savons que nous pouvons diviser l’empreinte carbone des bâtiments par deux dans les dix ans à venir. Notamment grâce au béton bas carbone. Pour celui-ci, nous savons d’ores et déjà baisser l’impact par deux tout en gardant des process industriels. En revanche, pour atteindre une division par trois des émissions liées au béton, il faudra attendre encore un peu. Nous savons produire du béton très bas carbone en petite quantité, mais il nous faut un peu de temps pour l’appliquer à grande échelle. Notre proposition est donc d’être ambitieux, tout en ayant une politique d’amélioration graduelle. Nous pourrions par exemple réduire de 10 à 15% tous les deux ans l’empreinte carbone réglementaire.

Une telle approche, délibérément ambitieuse mais graduelle dans sa mise en œuvre, permet de surmonter deux risques. Le premier est celui de la saturation de certaines filières d’approvisionnement qui ne sont pas en mesure, aujourd’hui, de répondre à une forte demande du secteur de la construction à court terme. Je pense en particulier à la filière bois, qu’il est essentiel de structurer sur le modèle des filières d’Europe du Nord. L’autre risque est de se retrouver avec une réglementation globale trop en avance sur des réglementations plus sectorielles, notamment sur l’enjeu du recyclage et du réemploi. L’exemple qui me vient à l’esprit est encore celui du béton. Technologiquement, nous savons recycler à grande échelle des granulats mais ces filières restent à créer.

En tant que Président de VINCI Construction, comment engagez-vous cette transformation vers une transition bas carbone ? Comment arbitre-t-on entre le temps du business as usual et le temps long de la transformation ?

Ma conviction profonde, et c’est celle de l’ensemble des équipes de VINCI, c’est qu’il ne faut pas opposer écologie et économie. La décroissance ne sauvera pas le monde. Il est bien plus ambitieux -et pragmatique- de travailler à la combinaison vertueuse de la performance économique et de la performance écologique.

Nos ambitions nous obligent.

Nous avons fait à peu près le même chemin sur la prévention sur nos chantiers.  A l’époque des premières mesures, on entendait toutes sortes de discours : sur la perte de productivité que ces mesures occasionnaient, sur leur complexité, etc. Aujourd’hui, sur nos chantiers, la sécurité est dans la culture de l’entreprise. Personne n’en conteste le bien-fondé, ni les modalités d’application. Nous avons fait un énorme travail culturel pour arriver à cette situation. C’est à cela que nous devons aboutir sur le plan environnemental.

Je voudrais évoquer quelques mesure concrètes, sur nos émissions directes. Notre feuille de route a été lancée début 2020 avec des axes concrets :

  • La rénovation de nos bâtiments
  • L’éco-conception de nos bases-vie
  • L’électrification de notre flotte de véhicules et d’engins de chantier
  • Le recyclage, le réemploi et la traçabilité des matériaux au travers d’une startup que nous avons incubée : Waste Market Place
  • La relocalisation de notre activité au plus près de nos fournisseurs. Nous demandons par exemple à nos équipes de faire un effort pour trouver des solutions proches.

Notre stratégie pour arriver à garder le cap malgré un contexte économique très compétitif consiste à investir sur des actions rentables sur le court terme puis progressivement sur du plus long terme.

Il faut néanmoins savoir que nos émissions directes ne représentent qu’environ 15% de notre impact global. La production des solutions que nous utilisons sur nos constructions relève de nos émissions indirectes. Il est donc essentiel d’avoir une réglementation qui permette de réduire rapidement ces 85%.

La transition écologique réclame-t-elle de nouvelles compétences, des innovations managériales ?

Le premier défi est de favoriser une compréhension écologique des enjeux dans chacun de nos métiers. Nous avons donc lancé début 2020 un programme en ce sens qui sera bientôt déployé. Ensuite, le volet formation suit naturellement. Nous avons des outils pour cela et les solutions répondant à une réglementation ambitieuse existent déjà.

Il faut bien entendu accompagner le changement. Cela passe notamment par le fait de lister les problèmes qui vont apparaître en chemin et de les résoudre graduellement. Intégrer telle ou telle solution peut être difficile pour nos équipes, il faut donc les aider à les intégrer dans l’environnement économique existant.

Plus globalement, je suis plutôt de ceux qui voient les défis comme des opportunités. C’est cette vision que nous essayons d’insuffler pour avancer rapidement.

Propos recueillis par Clément Gaillard, Construction21

 

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De septembre 2019 à mai 2020, Leonard vous invite à explorer les transitions engagées et celles qui restent à entreprendre dans les territoires et les métiers de la construction et des concessions pour relever les défis imposés par l'impératif de la transition climatique. 

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