#6 Construire des filières locales de matériaux de construction : un défi autant social qu’économique

Rédigé par

Bernard BOYEUX

Directeur

8100 Dernière modification le 30/08/2019 - 11:22
#6 Construire des filières locales de matériaux de construction : un défi autant social qu’économique

L’impact des matériaux de construction sur le changement climatique est un enjeu majeur pour le secteur de la construction, ceux-ci sont à l’origine de plus de 50% des émissions de gaz à effet de serre d’un bâtiment sur l’ensemble de son cycle de vie. Dans une démarche de développement durable, il est donc préférable aujourd’hui de valoriser les filières locales d'approvisionnement en matériaux biosourcés, qui possèdent de nombreux avantages économiques et écologiques. Cependant, malgré l’abondance de ces matériaux, notamment dans les régions à climats chauds, le développement de ces filières se heurte souvent à la dure réalité des habitudes du secteur de la construction: c’est ce que nous explique Bernard Boyeux, directeur de C&B Constructions et Bioressources.          

 

Quelles sont les principaux avantages des matériaux biosourcés ou des filières locales en climat tropical ou climat chaud ?

Dans les deux-cas, au-delà de l’impact environnemental, on peut citer la création d’emplois non-délocalisables à forte valeur ajoutée, ainsi que l’effet de revitalisation des territoires par la valorisation des ressources et des savoir-faire locaux. Concernant les matériaux biosourcés, ceux-ci sont un moyen de limiter l’empreinte environnementale du bâtiment, du fait de leur capacité à stocker le carbone atmosphérique, de leur caractère renouvelable et de leur faible énergie grise.

De par mon travail à la Réunion, où j’ai participé avec le cabinet Nomadéis à l’identification des ressources locales afin de développer des filières, ou autour du Typha au Sénégal, j’ai pu constater la suffisance, voire l’abondance des matériaux locaux. Néanmoins, leur utilisation est quasi-nulle !

 

Quels sont les types de matériaux que l’on peut trouver ?

Le choix est vaste et je n’ai pas la prétention de dresser une liste exhaustive. Par exemple à la Réunion, l’un des premiers candidats identifiés a été le bois que l’on peut récupérer des palettes importées. Il peut être soit recyclé et utilisé pour d’autres constructions en bois, soit être utilisé pour fabriquer du béton à base végétale.

Un autre matériau que l’on retrouve dans la plupart des pays chauds est la bagasse. Il s’agit du résidu fibreux de la canne à sucre, qui est largement présente sous des climats tropicaux et équatoriaux. Elle permet de produire des bétons végétaux.

Je citerai également le bambou, que beaucoup de personnes considèrent comme le matériau de construction de l’avenir. Il se renouvèle en effet rapidement en consommant peu d’énergie et possède des propriétés mécaniques intéressantes. Simón Velez en Colombie et Vo Trong Nghia en Thaïlande l’ont ainsi adapté avec brio aux nécessités de la construction moderne.

Enfin, le typha qui est une plante aquatique néfaste et envahissante peut potentiellement être un atout écologique pour réduire les émissions de gaz à effet de serre grâce à sa capacité d’isolation thermique. Il est présent surtout en Afrique de l’Ouest. » 

 

Existe-t-il des filières pérennes ?

Cela est très variable. Malgré l’intérêt écologique de l’exploitation de ces richesses, les matériaux de construction restent en grande partie importés dans ces pays. Il en va de même en France dans les DROM et les COM. Ainsi, La Réunion ne possède pas d’entreprises capables de recycler en masse les palettes. Cela est pourtant viable économiquement puisqu’en France métropolitaine, Alkern fabrique des blocs de béton à partir de palettes en fin de vie. Le problème est le même pour l’exploitation de la bagasse et des autres matériaux locaux.

Les filières de matériaux biosourcés ou de recyclage sont en effet très peu développées et cela pour deux raisons :

-Monter une telle filière est compliqué car il s’agit d’une chaîne assez longue : non seulement faut-il avoir le bon matériau, mais également un réseau commercial, des architectes, entreprises pour mettre en œuvre les projets, des clients intéressés par ces matériaux en voie de développement. Les différents secteurs d’activité de la chaîne (industrie, agriculture, bâtiment, etc.) sont aussi parfois peu habitués à interagir et à développer des projets communs, en raison notamment de différences culturelles mais aussi des écarts d’échelle qui existent entre producteurs agricoles, industriels, acteurs de la maîtrise d’œuvre et de la maîtrise d’ouvrage, etc. La mauvaise coordination entre les acteurs de la filière est certainement une raison de son échec.

- Au-delà de ces volontés et de la pertinence de l’approche locale, le développement de ces filières doit faire face aux exigences du secteur de la construction - en particuliers réglementaires et normatifs - qui ne sont pas adaptés à la diversité et à la dimension de ces filières.

 

Quelles sont les solutions selon vous pour pallier ces difficultés ?

Pour y remédier, les producteurs de matériaux biosourcés des circuits locaux doivent multiplier les actions visant à structurer les filières : c’est-à-dire fédérer et doter les filières d’un outil qui porte au niveau national, en d’autres mots une stratégie collective.

Il faut aussi industrialiser les filières, ce qui sous-entend la capacité des professionnels à satisfaire les exigences techniques et économiques du marché. Il s’agit donc pour les filières d’activer les moteurs de l’industrialisation que sont en particulier l’évaluation et la certification (aptitude à l’usage, performances fonctionnelles et environnementales), la rédaction des règles professionnelles et plus généralement une démarche de qualité.

D’un autre côté, il faut intensifier l’innovation. Cela consiste à réunir des conditions favorables, en s’appuyant notamment sur des connaissances scientifiques issues de programmes de R&D.

Ces actions ont certainement besoins de plus de subventions : les filières locales font face à des difficultés récurrentes dans ce genre de situation :

  • Forte restriction d’accès à la ressource, liée aux évolutions réglementaires et à la nécessité de moderniser les équipements,
  • Investissements coûteux difficilement supportables par les petites structures.

Afin d’être compétitif face aux grandes entreprises européennes et internationales, importatrices de matériaux de construction, il faut absolument avoir un prix inférieur ou égal. Par exemple, il est plus économe pour les Réunionnais d’importer du bambou de Chine que d’utiliser le bambou présent sur leur territoire ! Cela vient des caractéristiques des bambous, mais pas seulement. La mauvaise organisation de la filière et le manque d’aménagement du territoire (routes, peu de distributeurs de matériaux donc grandes distances à parcourir pour la livraison, etc.) sont également des facteurs prépondérants.

Cela est d’ailleurs valable également en France métropolitaine où le développement des filières biosourcées est un véritable enjeu. Au-delà de l’aspect économique, on marche aussi sur la tête concernant l’empreinte carbone : les bateaux chinois transportant des containers vers la métropole émettent autant voire moins de gaz à effet de serre que les camions qui parcourent la moitié du territoire.

Pour en revenir au développement des filières, je pense que l’investissement vaut clairement le coup. C’est cependant un choix important à faire :

  • Soit on utilise les matériaux locaux et on contribue à la création d’emplois locaux, mais le coût des constructions peut s’avérer plus cher.
  • Soit on choisit de construire moins cher, quoi qu’il en coûte sur les autres aspects que le plan purement économique.

Propos recueillis par Hassan Abouzid

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Construire durable sous climats chauds
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