Raccorder les maisons individuelles aux réseaux de chaleur urbains

Rédigé par

Dominique PLUMAIL

4076 France - Dernière modification le 27/01/2023 - 20:00
Raccorder les maisons individuelles aux réseaux de chaleur urbains


Créés historiquement à la charnière des années 60/70, les réseaux de chauffage urbain desservent quasi exclusivement de grands ensembles immobiliers. En Scandinavie, au Danemark ou en Autriche, les maisons individuelles y sont pourtant massivement raccordées. Pourquoi cette différence avec la France ? Le blocage est-il institutionnel ou sociologique ? Le bouleversement des modèles économiques établis n’est-il pas l’occasion d’appréhender différemment les enjeux de la transition énergétique ?

Un constat à la faveur des ressources énergétiques locales

Lancinante, la précédente crise énergétique (2005 à 2013) est plutôt passée inaperçue. Celle que l’on vit actuellement est fulgurante. Le prix du gaz naturel a progressé rapidement dès juillet 2021 et il devrait en 2023 être 7 à 8 fois supérieur à la moyenne de la dernière décennie (20 € HT/MWh). Face à cette situation difficilement supportable pour la plupart des consommateurs, un bouclier tarifaire a été mis sur pied par l’État, principalement pour protéger le secteur résidentiel. La compensation sur les achats de gaz et d’électricité, directement défalquée des factures des fournisseurs, devrait s’élever à 30 milliards d’euros en 2022, et sans doute, à 45 milliards en 2023 ! Dans le même temps, les ressources renouvelables ne bénéficient d’aucune aide au titre du bouclier tarifaire, alors qu’elles subissent de plein fouet les conséquences d’un prix élevé des énergies fossiles (carburants routier et non routier pour les combustibles bois, électricité pour la géothermie…). Malgré tout, les combustibles bois résistent bien à cette pression. Il y a 10 ans, l’écart avec le gaz était de 40 € TTC/MWh. Il a aujourd’hui quasiment triplé (130 € TTC/MWh). Par rapport à l’électricité, il est encore plus important : 170 € TTC/MWh. 

 

Des écarts de prix permettant d’absorber les surcoûts !

La construction ou l’extension d’un réseau de chaleur EnR&R est gourmande en capitaux, et suscite des frais plus élevés en personnel, en pièces de rechange, en impôts et taxes… À la condition de raisonner sur 20 à 30 années, l’écart de prix entre les combustibles fossiles et la biomasse permet d’absorber ces surcoûts d’investissement et d’exploitation. 

L’économie des services de distribution de chaleur repose sur ce principe. Malgré un contexte particulièrement favorable, le soutien financier de l’ADEME et les CEE doivent cependant être maintenus pour que le tarif des réseaux demeure compétitif, notamment dans l’hypothèse où le prix des énergies fossiles devait baisser dans les années à venir.

Des maisons individuelles sur des réseaux : un enjeu de la transition énergétique…

Les maisons individuelles restent les principales oubliées au prétexte d’une « densité thermique » trop faible (MWh livrés/mètre de tranchées). Or, la France compte 16 millions de logements pavillonnaires, soit 56 % des résidences.

Parallèlement, la stratégie nationale bas-carbone signale certes les réseaux de chaleur parmi les solutions à conforter, mais elle reste muette sur le rôle des maisons individuelles. Moins de 14 000 logements pavillonnaires sont actuellement desservis par un chauffage urbain alors que les ¾ d’entre eux sont localisés dans des unités urbaines de moins de 100 000 habitants. Or, ces dernières constituent la cible privilégiée de l’expansion du chauffage urbain dans les années à venir.

Il ne s’agit pas d’étendre les services de la chaleur à n’importe quel prix, mais de faciliter le raccordement des maisons lorsqu’elles sont proches d’un réseau ! Les villes de Fourmies (59) ou de Mayenne (53), à la démographie assez proche (~13 000 habitants), pourraient à titre d’exemple ouvrir leur réseau en projet à 400 foyers, soit de 8 à 12 % des maisons individuelles. Cette stratégie permettrait de substituer 6 500 MWh de gaz en plus par an, ce qui constituerait un robuste levier pour se rapprocher de la souveraineté énergétique pour ces communes. 

...et un moyen d’échapper aux prix élevés des énergies fossiles !

En 2018, Métropole Rouen Normandie a fait le choix de développer le réseau de chaleur des Hauts de Rouen en l’étendant sur les communes de Bihorel, de Darnétal et de Bois-Guillaume (au nord-ouest de l’unité urbaine) ! Sur l’impulsion de DALKIA, la livraison d’énergie, à 85 % renouvelables, est ainsi passée de 70 000 à 150 000 MWh/an. À cette occasion, la Métropole a souhaité que le service s’adresse également aux maisons individuelles. 

L’exemple d’un Square comptant 11 maisons met en lumière l’intérêt économique de ce réseau. Le bilan concerne en fait 6 résidences desservies depuis juillet 2021. 

 

Dans ce Square, les atouts perçus par les résidents sont les suivants :

  • Pour certains, le renouvellement d’équipements de chauffage anciens s’avérait nécessaire à très court terme (2 maisons) ou à moyen terme (1 maison). Le raccordement au chauffage urbain a permis d’éviter l’investissement dans un système énergétique sans avenir.
  • Pour les autres, il offre une batterie d’avantages, et notamment la stabilité des charges de chauffage, d’une part, et l’externalisation de la production de la chaleur, d’autre part.
  • Tous les impétrants au raccordement ont enfin été motivés par le caractère vertueux de l’énergie produite et les perspectives d’une réduction des charges de chauffage

La contribution aux frais de raccordement (6 400 € TTC/logement) et l’âge des propriétaires ont à l’opposé représenté les principaux freins : 5 résidents n’ont d’ailleurs pas souhaité investir. 
Les 6 maisons ont consommé sur la saison 121 MWh, soit en moyenne 114 kWh/m². Cette consommation couvre à raison de 85% des besoins de chauffage et de 15%, d’eau chaude sanitaire. Ces besoins énergétiques sont assurés principalement par le réseau de chaleur (92,6 %), mais également par diverses installations EnR conservées : capteur solaire thermique (0,7%) et poêles à bois bûches (6,7%).
La structure des tarifs de la chaleur procure une forte résilience en période de crise pétrolière et gazière. Entre le 1er juillet 2021 et le 30 juin 2022, les résidents raccordés au réseau de chauffage urbain ont en effet bénéficié d’une économie fluctuant de 800 à 2 000 € TTC par foyer, soit un temps de retour évalué selon les cas entre 3,2 et 8,0 années dans l’hypothèse où le prix des énergies demeure au niveau actuel.

 

Un développement contrarié

Alors que les résultats économiques sont notablement probants, DALKIA peine pourtant à développer le service. Trois principaux facteurs freinent les extensions vers les maisons individuelles :

  • Le concessionnaire n’a pas perçu les subventions de l’ADEME en raison d’une densité thermique jugée insuffisante. Il n’est donc pas incité à promouvoir le service auprès des particuliers.
  • Une communication perfectible entre la Métropole, qui exerce la compétence « chaleur », et ses membres. Service public au profit des citoyens, le succès d’un réseau de chaleur repose étroitement sur une appropriation par les élus locaux et leurs services.
  • Le message ambigu à la faveur des pompes à chaleur, particulièrement relayé par les fortes aides accordées au titre de MaPrimeRénov’ à des systèmes pourtant moins performants sur les plans technique, économique et environnemental.

Mais la pire des situations proviendrait d’une nouvelle chute des prix du gaz dans les années à venir !

Ne faut-il pas s’inspirer des modèles existants en Europe ?

Après le contrechoc pétrolier de 1986, certains Pays germanophones et du nord de l’Europe se sont notamment appuyés sur la taxe carbone, qui a permis de maintenir un prix suffisant des énergies fossiles afin de préserver l’intérêt économique des réseaux de chaleur EnR&R. Mais leur stratégie repose aussi sur des Communautés d’acteurs composées de propriétaires de maisons individuelles au Danemark, d’exploitants forestiers en Finlande ou en Suède, d’agriculteurs en Autriche… Quel que soit le montage juridique, les pavillons figurent toujours parmi les cibles, ce qui n’est pas le cas en France !

Avec 8 à 12 % des résidences pavillonnaires, le potentiel énergétique pourrait pourtant doubler les livraisons de chaleur par les réseaux avec 25 TWh/an supplémentaires à l’échelle nationale. L’enjeu apparaît majeur, mais plusieurs conditions doivent être remplies pour atteindre cet objectif : ajuster les aides à la faveur du raccordement des maisons (MaPrimeRénov’, Fonds chaleur et CEE…), accompagner les gestionnaires et élargir leur rôle (relais de communication, relation client…), assouplir le code de la commande publique pour une émergence massive et rapide des EnR&R thermiques via les réseaux !
 

Un article rédigé par Dominique Plumail, Directeur du CEDEN


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Modérateur

Grégoire Brethomé - Construction21

Responsable éditorial