Emprise du stationnement urbain : place à l’optimisation !

Rédigé par

Olivier ASSELIN

Animateur du groupe de travail stationnement de l'AITF

4165 France - Dernière modification le 31/05/2023 - 12:00
Emprise du stationnement urbain : place à l’optimisation !


La voiture, ça prend de la place. Les emprises dédiées au stationnement occupent ainsi environ 10 % des emprises au sol de nos villes. Si cette offre rend service, elle profite in fine à peu d’usagers, surtout lorsqu’elle est gratuite et sans limite, au détriment d’autres utilisations. C’est une ressource pourtant méconnue qui recèle des potentiels d’optimisation importants, au bénéfice des politiques de mobilité, d’urbanisme et d’espace public.


Si la présence de voitures en stationnement dans les rues ne posait globalement plus, en France, de question depuis longtemps, la pandémie a néanmoins ouvert de nouvelles perspectives. Soudain, les rues se sont vidées. Où étaient ces boîtes métalliques sur roues, immobiles 95 % du temps ? Le champ des possibles s’est ouvert. Des coronapistes sont apparues, associant dans leur dénomination la maladie à l’infrastructure cyclable. N’étions-nous pas si honteux de remettre en cause la présence des automobiles sur voirie, que nous avons fait ces pistes temporaires et peintes en jaune, comme vouées à disparaître ? Mais, petit à petit, la maladie s’est installée dans nos vies, et les pistes aussi. 

Révélation du Covid-19 : supprimer du stationnement pour en optimiser les usages

La sortie du premier confinement, au printemps 2020, a permis aux Français de renouer progressivement avec l’espace urbain, et notamment les terrasses, dans un environnement encore préservé du trafic automobile. Les espaces libérés sur les voies de stationnement ont été l’occasion pour les cafés et restaurants d’étendre leur périmètre. Plébiscitées par les commerçants et le public, des « terrasses non ancrées » ont commencé à mailler la voirie, baptisées « parklets » – un néologisme qui a gardé la trace du mot parking…, la crainte de remettre trop en cause le stationnement ?  Or, sur 10 ou 12 m² précédemment occupés par une voiture immobile, l’expérience a montré qu’il était possible d’installer jusqu’à 12 couverts par place de stationnement, tout en profitant de la rue, de l’air, du soleil…. Sans compter les revenus supplémentaires générés pour notre économie ! 
Dans ce contexte inédit, il aura tant fallu apprendre à vivre avec la maladie dans nos sociétés qu’avec des solutions nouvelles et adaptées, à l’instar des coronapistes, qui ont perdu au passage leur préfixe maladif à mesure que le marquage passait du jaune au blanc. Le mot « parklet » s’est finalement mué en « terrasse », consacrant ainsi, de manière implicite, la pérennité de cet aménagement. Et l’espace autrefois dédié à l’automobile s’est intensifié.

Connaître l’offre de stationnement

Pour autant, faut-il remettre en cause tout espace dédié à l’automobile ? En un sens, oui. L’urgence climatique nous y oblige. Cela impose-t-il de supprimer tout espace dédié à la voiture ? Non, celle-ci représentant toujours une nécessité pour nombre de nos concitoyens, sans doute moins nombreux que ceux qui le clament. Si les objectifs sont de diminuer l’usage de la voiture par deux, cela mobilisera, si on y arrive, encore un bon tiers d’automobilistes au quotidien, on ne supprimera pas la voiture d’un claquement de doigts, et pour des raisons sociétales et au vu des échelles temporelles de l’urbanité, la place de stationnement a encore de beaux jours devant elle.

Dans nos villes actuelles, de quelle offre de stationnement disposons-nous aujourd’hui ? De l’offre publique et de l’offre privée. Si l’on se concentre le plus souvent sur l’offre publique ou ouverte au public (rue, parcs et aires de stationnement, en surface ou en ouvrage), celle-ci est pourtant mal connue : combien de collectivités sont-t-elles capables d’indiquer le nombre de places sur lesquelles elles ont une responsabilité directe ? 

L’offre privée, pour sa part, l’est encore moins, ne bénéficiant d’aucune source exhaustive. Du point de vue statistique, l’INSEE n’apporte pas de réponse satisfaisante, cherchant uniquement à savoir si l’on dispose d’au moins une place de stationnement, sans demande de chiffre exact. La donnée n’apporte ici pas d’éclairage pertinent. Une autre source, meilleure mais plus sensible et complexe : le Fisc, dont certes émanent des mélanges de données, en surface, en nombre de places, de la sous-déclaration, mais d’où aussi peuvent émerger des résultats avec méthode et compétence. En la matière, saluons le travail du CEREMA et de l’ADULM pour la Métropole Européenne de Lille, qui estime que l’offre privée représente 70 % de l’offre de stationnement. Une méthodologie appelée à faire des petits.

Connaître les usages pour foisonner l’offre 

Lorsqu’on a compté l’offre, comment en mesurer les usages ? Il faut d’abord les identifier. Dans les grandes lignes, on distingue les usagers résidents, les usagers pendulaires, les usages visiteurs avec des comportements divers : certains résidents actifs prennent leur voiture en journée, quand d’autres – et de plus en plus avec le télétravail – laissent leur voiture au domicile. Les résidents non actifs utilisent moins leur voiture, et, comme l’indiquent les enquêtes de rotation, environ 20 % de voitures restent immobiles sur 24 heures.  

Les pendulaires laissent leur voiture sur leur lieu de travail, ou à proximité, toute la journée, avec potentiellement des déplacements le midi, tandis que les visiteurs adoptent des comportements plus irréguliers. Il faut envisager une multitude d’usagers avec des temporalités variables tout au long de la journée, de la semaine, de l’année, pour mesurer les possibilités de foisonner les usages de l’offre de stationnement, c’est-à-dire de faire en sorte qu’elles servent à plusieurs types d’usagers selon le moment pour être le plus optimisées. 

D’autres usages pour les parcs de stationnement ?
Il est possible d’intégrer dès leur conception une forme d’évolutivité des parcs de stationnement, en envisageant qu’une partie puisse se transformer en bureaux. Cela implique toutefois des surcoûts, liés à une hauteur plus importante des immeubles. 

Des évolutions ont également été proposées pour des parcs de stationnement vides : endives, champignons, voire de la logistique urbaine. Même si ces pistes peuvent apparaître séduisantes, leur mise en œuvre reste toutefois relativement anecdotique à l’échelle nationale.

De quelle mutualisation parle-t-on ?

La mutualisation du stationnement prend plusieurs formes. La mutualisation groupée de plusieurs usages au sein d’un même ouvrage permet d’abord des économies d’échelle de construction. Et elle a l’avantage, en éloignant le stationnement du lieu de résidence, de diminuer le réflexe automobile pour de courts déplacements. C’est une forme classique qui ne pose pas de soucis particuliers, mais nécessite plus d’offre de stationnement, chaque place étant affectée à une construction et un usage.
La mutualisation avec foisonnement permet quant à elle d’optimiser les usages en banalisant les places de stationnement, c’est-à-dire en désaffectant leur usage. Elle est plus complexe à mettre en place, nécessite des usages qui ont des temporalités complémentaires, mais a l’avantage de permettre de construire moins de places. Point d’attention : la commercialité de ces places est plus complexe, car, plutôt qu’une place de stationnement, il s’agit de vendre un droit à stationner, moins « concret » et moins séduisant pour l’acheteur.

Et comment mutualiser dans l’existant ?

Un des enjeux majeurs de la mutualisation de l’offre existante est de faciliter l’usage des parcs de stationnement relevant du « code du travail » et ceux relevant du « code de l’habitation », sans aller jusqu’aux obligations de mise aux normes ERP (norme PS). Cette dernière nécessite, pour des questions de sécurité incendie et d’accessibilité notamment, des aménagements beaucoup plus coûteux, à la fois en investissement et en fonctionnement.

Les nouveaux acteurs, dits « mutualisateurs », ont cependant ouvert une brèche dans les années 2010. Au départ, sont considérés comme ERP les parcs de stationnement de plus de 10 places recevant du public extérieur à la construction à laquelle ils sont rattachés. Ces acteurs (Zenpark, Yespark, BePark, LPA & Co…) ont pourtant réussi à faire considérer que, même si un parc de stationnement n’avait pas plus de 10 places réservées aux visiteurs, y compris dans des parcs plus grands, il était acceptable de les ouvrir aux usagers extérieurs. À leur décharge, on peut considérer que, si les PLU demandent aux nouvelles constructions de prévoir des places pour les visiteurs, leur accès à ces places n’est le plus souvent que théorique dès lors qu’ils sont limités aux seuls occupants d’un immeuble, et que les visiteurs restent en fait dans la rue. Cette approche permettait donc, dans une certaine mesure, de rouvrir ces places pour un usage tel qu’il était initialement prévu.

Un élargissement de la mutualisation du stationnement existant

Puis l’arrêté du 7 décembre 2020 est venu ajouter un nouvel élément : dès lors que les usagers de ces parcs de stationnement sont des abonnés de plus de 30 jours, ils ne sont pas considérés comme des visiteurs extérieurs, les pompiers considérant qu’ils connaissent suffisamment les lieux pour pouvoir s’en extraire rapidement en cas d’incendie. En résumé : la possibilité de mutualiser en totalité les parcs de stationnement est ouverte, tant que le public visé est un public d’abonnés, avec 10 places pour des visiteurs extérieurs au maximum.

Avec cet arrêté, la mutualisation du stationnement existant a pris une autre ampleur, et continue de se développer. On commence ainsi à voir ces mutualisateurs se positionner comme gestionnaires de parcs de stationnement dans des opérations de constructions neuves ou en projet. 
Un succès de la start up nation, une forme de « bnb » du stationnement, mais qui n’est pas sans créer des difficultés. De fait, ces mutualisateurs se posent en commercialisateurs, et n’ont pas à amortir les équipements lourds qu’implique la construction des parcs de stationnement…, posant la question d’une distorsion concurrentielle. Les prix proposés sont souvent plus attractifs que le marché, lequel embarque à la fois les opérateurs privés travaillant pour les collectivités, voire les collectivités elles-mêmes dans le cas des parcs gérés en régie.

Quels enjeux pour les collectivités ? 

La question est gordienne pour les collectivités : faut-il encourager ces nouveaux acteurs, qui permettent d’optimiser l’offre existante, mais qui encouragent aussi un usage de la voiture, et viennent en sus fragiliser l’équilibre économique des parcs de stationnement qu’elles possèdent par ailleurs ? Le marché reste encore de niche aujourd’hui, et la question financière reste donc relativement à la marge, mais elle pourrait se poser de manière plus importante à l’avenir. 

Pour autant, ce nouveau service vient mettre sur le marché une offre sous-utilisée, qui représente la majorité de l’offre de stationnement. La mutualisation de l’offre privée existante représente un point d’appui pour mettre en œuvre plus facilement des politiques de reconversion de l’espace public, et faciliter la réduction de l’offre de stationnement sur l’espace public pour agrandir les trottoirs, les terrasses, aménager des pistes cyclables dédiées, ou encore faire circuler des transports en commun lourds. L’intérêt des collectivités semble être, a minima, de créer les conditions d’un dialogue gagnant-gagnant avec ces nouveaux acteurs, pour en faire un outil complémentaire de leurs politiques d’aménagement.

Un article signé Olivier Asselin, AITF


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Modérateur

Lilou Le Gal