Les méthodes numériques d’optimisation comme levier de déploiement et garant de performance des réseaux de chaleur et de froid

Rédigé par

Hugo Viot

Ingénieur - Docteur - Chef de projet

2540 France - Dernière modification le 26/01/2023 - 20:00
Les méthodes numériques d’optimisation comme levier de déploiement et garant de performance des réseaux de chaleur et de froid


Stabilité des prix, poids carbone, maitrise des process, souveraineté énergétique : les arguments favorables au déploiement ou à l’extension des réseaux de chaleur et de froid urbains (RCF) ne manquent pas. Pour preuve, ce sont de formidables outils au service de la cause environnementale. Pour en maximiser l’impact, l’intelligence numérique peut accompagner le chainage d’acteurs gravitant autour de l’objet RCF, de la prise de décision jusqu’au pilotage en exploitation.

La complexité d’un tel ouvrage et les impacts de son déploiement rendent parfois difficile la prise de décision en sa faveur. En effet, lorsqu’un projet est acté, la conception du RCF peut converger vers des habitudes « métier » issues d’une expérience mais ignorant peut-être une partie du champ des possibles. De plus, en phase d’exploitation, le pilotage au quotidien est lui aussi basé sur le savoir-faire du gestionnaire qui définit des actions de régulation en fonction de l’état du réseau et de données externes. L’emploi de méthodes d’optimisation au service de chacune de ces étapes est l’objet de recherches menées ces 10 dernières années.

Optimisation numérique : de quoi parle-t-on ?

Dans le monde réel, toute prise de décision se fait au regard de critères économiques, techniques, environnementaux, sociétaux... Une approche d’optimisation au sens numérique du terme consiste à modéliser mathématiquement les liens qui existent entre des choix et ces critères. Pour un RCF cela passe par un modèle mathématique plus ou moins détaillé décrivant son état et son fonctionnement. Sur ce modèle, une combinaison de variantes (débits, diamètres, source de production, tracé, niveau de température) est testée par un algorithme d’optimisation pour faire émerger des solutions optimales au sens des critères visés. Ainsi un problème d’optimisation comprend une (ou plusieurs) fonction "objectif" à minimiser ou maximiser (coût, énergie, émission de CO2), soumise à un ensemble de contraintes représentant les phénomènes physiques et opérationnels. L’optimisation permet de choisir la ou les meilleures solutions parmi un champ des possibles cadré par l’utilisateur. 

Quel que soit la phase, l’emploi d’une méthode d’optimisation peut être motivé par la réduction des coûts d’investissement et d’exploitation, la maximisation de la production ou de l’efficacité énergétique, ou encore l’augmentation de la couverture des besoins par énergie renouvelable.

Selon l’objectif on aura recours à des méthodes statiques où les grandeurs limites sont fixées correspondant à une photographie du RCF à un instant donné. Par exemple, si l’objectif est la recherche d’un dimensionnement de canalisation optimal sur un tracé de réseau déjà défini, on considèrera un niveau de température fixé à l’unité de production et une demande maximale aux points de consommation correspondant au cas le plus défavorable. En revanche, dès lors que l’objectif dépend d’une grandeur qui varie dans le temps (ex. gérer l’intermittence de source production, piloter un stockage, anticiper à la production un profil d’appel de consommation), il faudra faire appel à des techniques d’optimisation dynamiques où cette fois le modèle est utilisé sur un horizon de temps choisi (journées critiques, saison de chauffe, année). Néanmoins ce genre d’optimisation est particulièrement difficile à cause de la complexité du système complet de RCF et de ses grandes dimensions. Les temps de calculs peuvent devenir incompatibles avec un outil métier opérationnel. Des travaux sont menés pour lever ce verrou afin d’outiller les acteurs et ainsi leur donner accès à cette puissante ressource.

Un appui pour étudier la faisabilité et aider à la conception

Ces approches peuvent être mises au service de donneurs d’ordres (collectivités) pour une étape de préfaisabilité où les informations sont très limitées (périmètre supposé d’implantation du RCF) avec l’ambition d’aider les collectivités à intégrer les besoins thermiques ainsi que le potentiel de valorisation d’énergie renouvelable et de chaleur fatale de leur territoire. L’optimisation est alors réalisée avec une saisie simplifiée et une approche en coût global sur une durée de fonctionnement définie. L’outil retourne la solution la moins onéreuse en termes de dimensionnement (diamètres de conduites, vitesses, débits) et de choix des technologies de productions (gaz, biomasse, géothermie, etc.) auxquelles une palette de coûts intrinsèques sont associés. Les résultats peuvent ainsi convaincre de la pertinence du déploiement d’un RCF par rapport à d’autres solutions et d’enclencher une étude plus avancée.

En phase de conception, les algorithmes d’optimisation permettent d’explorer un grand nombre de variantes de conception et de fonctionnement, tout en intégrant la complexité du réseau (variabilité des appels de puissance, effets de foisonnement, prix variable de l’énergie ou de la maintenance). Un outil dédié à cette phase utilisant la force de l’optimisation peut permettre de déterminer un tracé de réseau, des diamètres de conduites ou encore un dimensionnement des unités de production au plus juste (base et appoint, multi source).

Un outil pour guider la gestion en exploitation

Il est aussi possible d’employer ces méthodes pour tirer parti des grands jeux de données disponibles, en les appliquant à des méthodes de machine learning pour améliorer la performance en phase d’exploitation. Il existe aujourd’hui plusieurs initiatives de développement qui doivent venir enrichir l’action des exploitants dans les années à venir.
Concrètement chaque réseau est instrumenté à tous les niveaux et des données relatives à l’unité de production, au réseau et aux sous-stations remontent en continu jusqu’à un centre de supervision ou dispatching, sorte de tour de contrôle où des opérateurs peuvent :

  • Surveiller le bon fonctionnement du réseau (puissance produite, niveau de combustibles).
  • Détecter des anomalies (fuites, panne, défaut en sous-station) pour avertir les équipes de maintenance.
  • Agir sur le pilotage (ajustement de la puissance produite au cours du temps).

Ces tableaux de bord servent d’interface aux opérateurs pour modifier des commandes ou des consignes d’un pilotage qui est souvent automatique avec un système d’envoi d’alerte à l’opérateur qui décide ou pas de se rendre sur site selon le niveau d’importance. Cependant, les données qui sont affichées sont en réalité partielles et n’utilisent pas la totalité de la base des données remontant des capteurs sur le terrain. L’exploitant se limitant aux grandeurs et à l’horizon de temps qui a de l’intérêt dans sa gestion quotidienne. L’exploitation de la masse de données et de l’historique disponible est le point de départ de l’approche envisagée qui consiste à tirer parti de la richesse des mesures pour améliorer le fonctionnement des RCF. L’ambition de ces initiatives est donc de proposer des solutions méthodologiques qui tirent parti des jeux de données mis à disposition pour reproduire un comportement réaliste du système et être capables de prédire le comportement optimal de celui-ci lorsqu’il est soumis à des prévisions météorologiques ou d’usage. In fine, il s’agit via cette approche de :

  • Mieux piloter l'installation : 
    • En anticipant les niveaux de charges des unités de production qui peuvent avoir une certaine inertie au démarrage via la prévision du besoin conditionné par les prévisions météo ;
    • En prenant en compte une éventuelle unité de stockage.
  • Anticiper la maintenance ;
  • Economiser l'énergie et maîtriser les coûts ;

Une expérimentation a déjà été réalisée sur un réseaux de chaleur réel en fonctionnement avec un constat d’une réduction de l’ordre de 5% des coûts de production, uniquement permise par le pilotage avancé en comparaison de la régulation classique en place.

Favoriser le stockage

De nos jours, le rôle que vont jouer les énergies renouvelables et de récupération (ENR&R) dans le futur n’est plus à démontrer. Cependant, afin de pouvoir concurrencer les énergies fossiles, il est nécessaire de pallier le principal problème des ENR&R, à savoir, leur intermittence. Même si l’on ne parle pas que d’énergie solaire, les énergies de récupération peuvent être moins stables qu’une énergie fossile. L’utilisation d’un stockage thermique est une solution pertinente pour permettre le découplage temporel entre disponibilité de la source et besoin. Encore faut-il pouvoir le dimensionner correctement et le contrôler de manière habile. Une unité de stockage doit être dimensionnée en fonction du système énergétique qui l’alimente ainsi que du système à alimenter. Un système énergétique complet (conversion, transport, stockage) est très complexe à maîtriser, et de fait, très difficile à optimiser. Il est donc nécessaire d’être capable de modéliser chacun des éléments constituant le système de la façon la plus précise possible, mais qui soit suffisamment simplifiée pour permettre une optimisation. De plus, dès que l’on parle de stockage thermique, il est nécessaire de prendre en compte la dynamique du système afin de représenter les phases de stockage et de déstockage.

Les méthodes d’optimisation peuvent permettre de démontrer s’il y a un intérêt à intégrer un système de stockage en aidant à son dimensionnement lors de la conception selon plusieurs modes de pilotage possibles. Ceux-ci peuvent être affinés par la suite avec ces mêmes méthodes alimentées par les jeux de données issus de l’historique de fonctionnement.

Aujourd’hui le constat est que le stockage est extrêmement peu répandu en France (alors que quasiment systématique dans d’autres régions du nord de l’Europe). Les acteurs le justifient par un manque de culture/habitude et aussi parce que le contexte des prix de l’énergie jusqu’alors incitait peu à l’investissement (matériel, foncier nécessaire…). Mais, avec l’envolée des prix du gaz, le contexte a radicalement changé, ce qui pourrait faire bouger les lignes et changer les pratiques. Un outil d’optimisation dédié à la question du stockage fait sens, par exemple pour démontrer dans quelle mesure il permet de rendre plus souple l’utilisation d’une chaudière biomasse pour limiter autant que possible l’appoint gaz. Un retour d’expérience sur  des installations réelles a montré une réduction sensible de l’utilisation de l’appoint gaz (consommation d’appoint gaz réduite de 25%) obtenue en intercalant une unité de stockage journalière par hydro-accumulation sans le moindre changement sur l’unité de production et ou le réseau hormis une adaptation des logiques de régulation inhérentes à la présence nouvelle du stockage.

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Un article signé Hugo Viot, Ingénieur, Docteur & Chef de projet - NOBATEK/INEF4


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Modérateur

Grégoire Brethomé - Construction21

Responsable éditorial