L'acte de "Construire", par Marc Mimram et Paul Chemetov - Partie 1

Rédigé par

Amandine Martinet - Construction21

Journaliste

2778 France - Dernière modification le 31/05/2023 - 12:00
L'acte de

 

 

Construction21 s’est rendu dans l'atelier de l'architecte Paul Chemetov dans le 13e arrondissement de Paris pour le rencontrer au côté de Marc Mimram, ingénieur et architecte à l’occasion de la parution de "Construire" paru en janvier 2023. Cet ouvrage, écrit à quatre mains mais d’une seule voix témoigne d'un dialogue riche entre les deux hommes, qui collaborent depuis de longues années. Il nous ont livré leur vision commune de l'acte de concevoir un bâtiment aujourd'hui face notamment aux enjeux environnementaux. 

Dans la série des acteurs de renom dans la conception de bâtiments, voici deux immanquables exemples : Paul Chemetov et Marc Mimram. Le premier en tant qu'architecte et le second en tant qu'ingénieur ont travaillé ensemble sur de nombreuses réalisations. Qu'il s'agisse de la Galerie de l’évolution du muséum d'Histoire naturelle, du ministère des Finances ou encore de la Jetée de la Défense à Paris, leur œuvre est aujourd'hui mondialement connue et reconnue. Mais quelle est la vision profonde de ces deux pontes de l'acte de construire, à l'aune notamment des nouveaux enjeux environnementaux qui entourent le secteur ? Entretien.
 

À lire aussi : Notre interview de Marc Mimram et Paul Chemetov, partie 2
 

 

 

 

 

 

 

Construction21 : "Construire" est un écrit à quatre mains. Il y transparaît un respect mutuel et une véritable complicité, un plaisir à travailler ensemble. Vous évoquez dans votre ouvrage l’acte de Construire, mais faut-il construire aujourd’hui autrement ? Et repenser l’architecture pour qu’elle soit plus durable, plus frugale ? 

Paul Chemetov : La notion d’architecture durable et frugale n’est pas nouvelle. L’atelier où l'on se trouve, d'ailleurs construit par nos soins, Marc comme ingénieur et moi comme maître d'ouvrage,  est réduit à l'os de son ossature. Celle-ci sert même de meneaux pour les vitrages. Elle est perforée pour permettre le passage des réseaux. Les contrevents sont de simples tirants en rond d'acier, il y a également des panneaux en bois... Dans cet atelier, tout est démontable et recyclable, libérant le terrain s’il le fallait. Il est aujourd'hui classé patrimoine du XXe siècle, donc j'espère tout de même qu'il restera ! 

Marc Mimram : Nous étions déjà dans la frugalité au moment de construire cet atelier. C'est une préoccupation que nous avons depuis longtemps. La question de la morphologie structurale notamment était déjà abordée dans les années 1960. Le stade de Munich en 1972 de Frei Otto, par exemple, était déjà très peu consommateur de matière. 

 



Diriez-vous que vous étiez avant-gardistes? 

PC : Avant-gardistes, je ne sais pas, mais pas arrière-gardistes ! Je crois que nous étions justes parmi les justes. C’est ce que je me suis toujours efforcé de faire avec Marc, par exemple dans le ministère des Finances où nous nous posions la question de montrer ou non la structure du bâti. Le muséum d'Histoire naturelle, la passerelle de la Défense... Tous nos projets sont extrêmement différents ! Si nous avons été avant-gardistes, ce n’était pas pour l’être. Nous avons à chaque fois et avec acharnement tenté d'être pertinents.

Bien des gens ne savent pas qu'ils sont face à des outils transformables. Mais cela demande une curiosité pour les choses qu'aucun règlement et aucune attitude bureaucratique ne permet. L'idée, c'est d'avoir le sentiment de se projeter, se lancer vers l'avant et se mettre en léger porte-à-faux sans toutefois tomber (ou alors, tomber sur la meilleure solution !). C’est un très bon terme, se projeter !

Si nous avons été avant-gardistes, ce n’était pas pour l’être. Nous avons à chaque fois et avec acharnement tenté d'être pertinents.

MM : Je fais la plupart du temps ce que je ne sais pas faire. J'ai ainsi l'impression d'être systématiquement dans l’avant-garde de moi-même ! Nous essayons d’être contemporains, user des savoir-faire du moment, s'appuyer sur de nouvelles connaissances… Tout cela nous met dans une position d’avant-garde, mais ce n’est pas une posture. Ces expériences ont montré une même attitude : économe sur le plan statique, sur le plan des matériaux, mais aussi sur le plan de la représentation : aucun de ces bâtiments n'est "m'as-tu vu". Ils sont réduits à l'os. 

C'est cela, construire durable ? 

MM : Je pense qu’il faut que nous gardions le sens de l’attention aux choses et au monde. La construction durable ne se réduit pas à construire le monde entier en bois. Nous pouvons prendre du plaisir à construire à partir d’un regard informé et responsable sur le monde. L'architecture est un art de la transformation, où nous partons de quelque chose qui existe vers quelque chose qui va exister.

PC : Si nous faisions tout en bois, que deviendraient les forêts françaises ? Nous prônons la mixité de matériaux. La construction est composite par nature. Le pavillon central de cet atelier est composé de multiples matériaux, un socle en béton, des planchers en bois, une structure en acier galvanisé... Sur le rendu final, nous ne pouvons pas faire plus modeste ! 

La richesse de la construction vient donc de la diversité des matériaux et du bon matériau au bon endroit ?

 

 



 

PC : Dans chaque projet, la rencontre des matériaux est surprenante. C'est là où les choses se passent, car, en principe, rien n'est fait pour aller ensemble. 

MM : L’approche de la pluralité est essentielle. Les matériaux, tout comme leurs usages et leurs performances, évolueront... Regardons les tels qu’ils sont, avec leur performance intrinsèque, tout en en ayant l'usage le plus adapté possible et en les faisant se rencontrer. 
 

Vous écrivez dans votre livre que « l'architecture n'est pas sans impact pour la nature ». Comment limiter cet impact sur l'environnement ? 

MM : L’idée que l’architecture ne puisse pas avoir d’impact sur la nature me semble surréaliste. 

PC : Accepteriez-vous de vivre dans un igloo en glace ou dans une yourte tibétaine au milieu de nulle part ? Les ouvrages, que ce soient des logements, des établissements de santé , des écoles..., ne peuvent pas être sans conséquence sur l’environnement. C'est impossible ! Mais nous ne pouvons pas pour autant rendre l'architecture responsable de ce qui ne lui appartient pas. Le premier impact sur la planète, c'est l’augmentation de la population par rapport aux ressources de la terre, de la faune et de la flore. 

MM : Cela ne signifie pas qu’il ne faut pas faire attention à ce qui nous entoure. Mais il faut agir en conscience et en responsabilité. La seule autre alternative est de ne rien faire, ce qui ne me paraît pas être une solution viable. 



La question de la durabilité des bâtiments est aussi au cœur des enjeux ? 

PC : Nous devons entretenir les bâtis, même si, sans entretien, les bâtiments que nous construisons vont durer un siècle ! Nous vivons un moment où pour la première fois, la durée de vie des bâtiments et de leurs habitants se rapproche. Leur démolition est la dernière des choses à faire. 
 

Il faut alors réhabiliter plutôt que démolir et sans cesse repenser l'existant ?

PC : Construire, c'est donner forme. Chaque projet est une réinterprétation de l’existant, par sa démarche même, par sa finalité, par sa forme et sa fonction. Nous ne sommes pas hors-sol ! 

J'ai en tête l'exemple la patinoire de Saint Ouen, qui a failli être démolie. Heureusement, elle sera finalement réhabilitée. Le renouvellement de la ville est très lent, il faut avoir la conscience ou l’inconscience de travailler dans le durable et à l’intérieur de ce durable, il faut être le plus pertinent possible. 

Chaque projet est une réinterprétation de l’existant, par sa démarche même, par sa finalité, par sa forme et sa fonction.

MM : Certains réhabilitations haussmanniennes ne sont pas compatibles avec l’isolation par l’extérieur, typiquement. C’est un non-sens. 
Construire, c'est donner forme. Chaque projet est une réinterprétation de l’existant, par sa démarche même, par sa finalité, par sa forme et sa fonction.
 

Faut-il penser réversibilité dès la conception d'un projet ?

PC : Je ne sais pas si nous pouvons penser à tout, mais il ne faut pas interdire ce que nous savons déjà. Donc, a minima, lorsque nous construisons, adoptons les dispositifs structurels permettant des évolutions et transformations futures. 

MM : La structure du bâtiment doit permettre la réhabilitation et la réversibilité. Pour ce faire, elle doit être ouverte avec de grandes hauteurs sous plafond, afin d’y placer par exemple des gaines...
 

Et concernant la réglementation ? 

MM : Les réglementations sont faites pour être interprétées ! Elles n’empêcheront pas de faire de l’architecture et elles n’empêcheront pas de faire des catastrophes ! 

PC : Les réglementations nous disent ce qu’il est interdit de faire, mais aucune réglementation ne dit ce qu'il faut faire. 

 

 

Journalistes : Stéphanie Obadia et Amandine Martinet
Vidéo : Soline Fahmy
Montage : Paul Capgras

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