Les sciences participatives s’invitent aux murs à pêches à Montreuil : réalisation d’ateliers autour de la biodiversité des sols urbains

Les sciences participatives s’invitent aux murs à pêches à Montreuil : réalisation d’ateliers autour de la biodiversité des sols urbains

Pour sensibiliser les usagers (habitants, jardiniers, élus) des murs à pêches de Montreuil à la diversité de la faune dans les sols urbains et les initier à la démarche scientifique, le Cerema et l’Université de Lorraine ont préparé et animé des ateliers participatifs dans plusieurs jardins partagés.

Cette démarche de sciences participatives, proposée à la mairie de Montreuil, a débuté en février 2022. Elle s’inscrit dans le cadre du projet de recherche “Biodiversité fonctionnelle des sols et succession d’usages des sols, de l’échelle du site à la ville”, porté par le Cerema et le Laboratoire Sols et Environnement de l’Université de Lorraine, et subventionné par l’Office français de la biodiversité (OFB).

 

Pourquoi étudier les sols urbains ?

Aujourd'hui, avec plus de 50 % de la population mondiale vivant dans des zones urbaines, 68 % de la population d’ici 2050 et l’érosion importante de la biodiversité, il est nécessaire de mieux connaître et prendre en compte les écosystèmes anthropisés dans une optique de conservation et d’aménagement durable de l’espace (1-2).

En effet, si les sols agricoles et forestiers sont relativement bien connus et étudiés, il en est autrement pour les sols urbains, et plus particulièrement la faune qu'ils abritent. 

Pourtant, les sols fournissent de nombreux services écosystémiques en ville :

  • réservoirs de biodiversité, car il est estimé que les sols abritent un quart des espèces présentes sur Terre (3);
  • recyclage des matières organiques, stockage des éléments nutritifs et production de biomasse;
  • fixation et dégradation des polluants;
  • régulation du climat local ;
  • séquestration du carbone ;  
  • infiltration et rétention de l’eau permettant de limiter le risque d’inondations et de ruissellement (4).

 

Que sont les sciences participatives ?

Les sciences participatives, également appelées “citizen sciences” en anglais, sont définies comme des “formes de production de connaissances scientifiques auxquelles des acteurs non-scientifiques-professionnels, qu'il s'agisse d'individus ou de groupes, participent de façon active et délibérée” (5). Elles opèrent dans de nombreux domaines pour faire interagir le monde académique avec le grand public dans un but d’apprentissage mutuel et d’amélioration de la connaissance. 

       Les 3 piliers des sciences participatives   Source : Bauer A., Girand R. (6)

Sous le terme des sciences participatives, il existe en réalité une multitude de démarches en fonction du degré de participation du public, de l’échelle spatio-temporelle du projet, du type d’acteur à l’initiative (académique, institutionnel, associatif). Dans ces démarches, il est important de définir en amont deux des trois piliers (public-objectif ; public-modalité ou bien objectif-modalité) présentés ci-dessous afin de pouvoir caractériser le troisième (6).

Dans le cas du projet subventionné par l’OFB, le public visé était clairement identifié (jardiniers, habitants, élus) avec un objectif défini. Le choix des protocoles s’est donc fait dans un deuxième temps.


L’apport des sciences participatives dans le projet “Biodiversité fonctionnelle des sols” et son volet participatif


En France, 17 millions d’habitants possèdent un jardin, soit 35 % de la population. Leur surface totale représente plus de 2 % de la surface totale du territoire national, soit quatre fois la surface des réserves naturelles en France (7-8). Les jardins occupent, de ce fait, un rôle important dans la préservation des sols et de leur biodiversité.

Cependant, peu d'outils sont adaptés aux jardiniers pour étudier leurs sols et les difficultés à collecter des données sur des zones comme des jardins partagés et privés contribuent à cette faible connaissance. Développer des protocoles simplifiés et former les usagers à étudier la faune de leur sol par le biais des sciences participatives répond pleinement à ce manque de connaissances et de visibilité des sols urbains.

Le site des murs à pêches, caractérisé par ses nombreuses parcelles avec jardins familiaux et partagés, a facilité la construction d’un réseau volontaire pour ce projet autour de la biodiversité des sols urbains et la réalisation d’étapes nécessaires à la démarche.

 

Enquête auprès des usagers et définition d'une problématique

Un premier contact avec les usagers des murs à pêches s’est fait à travers la réalisation d’enquêtes sous forme de neuf entretiens semi-directifs [1] menés avec différents types d’usagers : jardiniers, habitants et bénévoles d’associations. Ils ont permis de collecter les questionnements des usagers sur la faune du sol et d’échanger sur les fonctions qu’elle porte, les pratiques de jardinage sur leurs parcelles ainsi que les protocoles pouvant être mis en place pour étudier les organismes du sol. 

 

Camembert des réponses

 

À l’issue des entretiens, une problématique s’est dessinée lors d’un échange sur les bacs potagers. Cette pratique, caractéristique de nombreux jardins potagers en ville, a pour objectif de rehausser les plantations par un apport significatif de terreau, avec ou sans la pose de géotextile, afin d’isoler le bac et les plantations avec le sol d’origine.

Piège Barber installé dans un bac potager  à l’association le Sens de l’humus © Cerema

Selon la personne enquêtée, il a été observé que le terreau a dû être renouvelé au bout de trois ans en raison d'une croissance déclinante des végétaux au fil des années, ainsi que d'une production beaucoup moins importante par rapport à celle des plantes en pleine terre.

Les organismes du sol intervenant dans le cycle de la matière et des éléments nutritifs disponibles pour les végétaux, il a donc été pertinent de se demander si les communautés d'invertébrés du sol différeraient entre les bacs potagers et la pleine terre.

De ce questionnement, une hypothèse a été formulée : les bacs peuvent constituer des barrières écologiques pour certains organismes ayant des capacités de déplacement et de dispersion limitées.

C'est cette hypothèse qui a été testée...

 

Quels protocoles pour une démarche de sciences participatives ?

Afin de répondre à la problématique posée, plusieurs protocoles ont été choisis et doivent répondre à plusieurs critères :

  1. Être facile à mettre en œuvre et à reproduire par les participants (peu de matériel nécessaire ou protocoles réalisables avec du matériel de récupération) ;
  2. Répondre à la problématique posée et permettre de sensibiliser les participants à la faune du sol ;
  3. Permettre aux participants de manipuler et d’être actif lors des ateliers ;
  4. Être éthique, c’est-à-dire, mettre en place des protocoles non létaux pour les organismes du sol.
photos des différents protocoles

Les protocoles ont ainsi été sélectionnés en se basant sur l’expérience du consortium scientifique de différents projets participatifs en lien avec le sol : Jardibiodiv, OPVT (Observatoire participatif des vers de terre), Vigie-NatureANR BISES (Biodiversité des sols urbains et villes durables : état des lieux, interactions entre les systèmes productifs et non productifs et importance pour la fourniture de services écosystémiques) et l’observatoire de qualité biologique des sols QUBS.

Deux ateliers ont été menés sur le site des murs à pêches à Montreuil, sur deux parcelles différentes : au Café social puis au Jardin Pouplier. Lors des ateliers, des pièges Barber (pots enfouis dans le sol afin d’inventorier la faune en surface) ont été posés dans différents bacs et en pleine terre pour récolter les organismes en surface. Deux cotons humides ont été posés au fond du pot afin de maintenir les organismes vivants et dans des conditions favorables.

Des blocs de sol ont été extraits à la bêche dans le but d'observer la structure du sol sur les 20 premiers centimètres. Les blocs ont ensuite été triés par les participants et les organismes visibles à l’œil nu ont été identifiés.

D’autres protocoles ont pu être testés afin d’apporter des informations supplémentaires :

  • Protocole du slip en coton biologique pour avoir une information visuelle de la décomposition de la matière par la faune du sol (9);
  • Protocole du sachet de thé que l’on enterre à 10 cm environ dans le but d'étudier la décomposition de la matière organique par les microorganismes.
  • Test de la stabilité des agrégats ou slake test pour obtenir une indication sur la sensibilité du sol à l’érosion à partir d’un pot de cornichon;
  • L’aspirateur à insectes pour attraper la faune du sol en surface (10).

 

Les résultats de l'atelier :

Sur les deux ateliers réalisés, 55 organismes ont été récoltés : 38 en pleine terre contre 17 dans les bacs potagers. On retrouve en effet deux fois moins d’organismes dans les bacs potagers. Il a été observé 9 groupes/familles de faune du sol dans le sol de pleine terre et 6 groupes/familles différents en bacs potagers.

Histogramme tiré de la synthèse de la démarche communiquée aux participants : nombre d’organismes par groupe fonctionnels / famille selon les deux modalités

Les vers de terre endogés, limaces et coléoptères sont absents des bacs, mais ont été retrouvés en faible nombre en pleine terre avec seulement un individu de chaque groupe/famille. On observe un écart plus marqué chez les carabes et les cloportes, beaucoup moins nombreux en bacs potagers.

graphique du nombre d'organismes dans les 2 supportsGraphiquement, malgré un effet très net sur le nombre d’organismes, les tests statistiques réalisés n’ont pas indiqué de différences significatives du nombre d’organismes entre nos modalités bac et pleine terre. 

Cela peut s’expliquer par une quantité trop faible de données amassées, les sols étant particulièrement secs au moment des ateliers, ce qui n’est pas favorable à la faune du sol. De plus, pour avoir un échantillon représentatif des communautés de faune du sol, il faudrait avoir des données à l’automne, période très active pour la vie des sols.

Propositions lors de l'atelier

Lors de la restitution des ateliers auprès des usagers et élus de Montreuil, les principaux résultats ont été présentés. En dernière partie de cette restitution, une activité a été proposée aux 10 participants présents. Des groupes mélangeant les personnes des associations, des habitants, élus et autres personnes intéressées ont été constitués.

Les groupes ont reçu trois cartes illustrant chacune, par un animal, les grandes fonctions (décomposition de la matière organique, régulation des populations d’insectes, modification de la chimie et de la structure physique du sol)  de la faune du sol. Ils ont pu ainsi échanger et proposer collectivement des actions de gestion favorables à l’échelle du jardin pour chaque carte. Des actions défavorables devaient être identifiées également.

De nombreuses interactions et échanges de bonnes pratiques entre les participants ont pu se faire lors de cette activité.

 

Conclusion et perspectives

Cette démarche a permis d’impliquer, aux différentes étapes du projet (entretiens, ateliers, restitution) 36 personnes : élus, jardiniers et habitants. Si le projet est resté ciblé sur les murs à pêches, il a également touché des habitants des quartiers alentours. 

Une interview sur le travail réalisé sera réalisée le 6 juillet prochain pour alimenter les réseaux de l’association des MAP. Un article de la Ville de Montreuil sera également réalisé. Le réseau développé lors de ce volet participatif pourra être à nouveau mobilisé lors de futurs projets de sciences participatives sur les sols portés par le Cerema.

 


[1] Les entretiens semi-directifs sont une méthode de récolte de données qualitatives en sciences humaines et sociales, les questions posées aux enquêtés restent ouvertes et sont définies à l’avance, réparties par thématiques, dans un guide d’entretien. Des hypothèses sont également posées en amont.


Actualité publiée sur Cerema.

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