[Série spéciale] La Rue Commune : Transformons ensemble la rue métropolitaine du XXIe siècle

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La Rue Commune

4467 Dernière modification le 12/04/2022 - 12:00
[Série spéciale] La Rue Commune : Transformons ensemble la rue métropolitaine du XXIe siècle

Comment enclencher une transformation profonde du tissu urbain pour l’adapter aux défis du changement climatique ? Comment répondre aux grands enjeux sociaux et sociétaux mis particulièrement en lumière par la crise sanitaire ? Et si en transformant les rues « ordinaires » de nos métropoles, nous rendions la ville du XXIème siècle durable et désirable ?

Avec pour objectif l’élaboration d’un guide méthodologique de diagnostic et de mise en œuvre visant à accélérer l’adaptation des rues métropolitaines ordinaires, et répondre ainsi à l’urgence climatique et sociale, Leonard s’est associé dans cette démarche inédite de création de « commun » aux agences Richez Associés et Franck Boutté. Ce projet de Rue Commune, réalisé dans le cadre d’un « appel à communs » sur la résilience des territoires porté par l’ADEME, invite également pléthore d’acteurs de la ville et l’ensemble des usagers à participer au développement d’un nouveau standard de rue ordinaire métropolitaine, s’appuyant sur une transition forte des mobilités décarbonées, et agissant à deux niveaux : le sol dans son acceptation la plus large en intégrant, aussi l’interface sous-sol, sol, air.

Dans le cadre de ce projet, la Rue Commune et Construction21 proposent une série d’articles donnant la parole à de nombreux acteurs de la ville, aux professions et points de vue hétérogènes. Chaque semaine, un nouvel entretien sera à découvrir sur le média social du bâtiment et de la ville durable. Lancement de cette série exceptionnelle avec les principaux initiateurs de la Rue Commune, Etienne BOURDAIS – Responsable de projets innovants chez Leonard (VINCI) –, Lise MESQUIDA – Urbaniste / Responsable du Lab Richez Associés –, Laura-Elena ZULUAGA – Architecte chez Richez Associés –, et Loïc CHESNE – Consultant qualité environnementale et acoustique / Directeur de projets chez Franck Boutté Consultants. 

 

Pourquoi ce projet de Rue Commune ? 

Lise MESQUIDA : La raison d’être de ce projet est de mettre en lumière le lien étroit qui existe entre les formes de mobilités dominantes et la ville, les tissus urbains. Au 19e siècle, par exemple, le train façonna la ville industrielle. Au 20e siècle, ce fut la voiture individuelle. Notre réflexion est donc la suivante : les mobilités douces et actives doivent aujourd’hui générer une transformation profonde des tissus urbains, à commencer par la rue qui est le premier bien commun des villes et en particulier des métropoles.

Or, nous constatons que les nombreuses politiques d’aménagement et de mobilités mises en place depuis une dizaine d’années, qui avaient vocation à opérer un rééquilibrage de la voirie vers des mobilités actives telles que les bus à haut niveau de service (BHNS), les pistes cyclables, etc., n’ont pas généré de révision profonde et globale de l’espace de la rue, notamment en réponse aux multiples enjeux mis en exergue à la fois par le dérèglement climatique et plus récemment par la crise sanitaire (enjeux sociétaux et d’usages de la rue).

Loïc CHESNE : La raison d’être de la Rue Commune est de fabriquer la ville post-covid, post-voiture et post-carbone en partant de la rue au lieu de partir de grands plans stratégiques territoriaux. Ainsi, on ne court plus derrière une seule série d’objectifs mais après des séries d’objectifs différents.  

Premièrement, notre démarche vise à faire converger la qualité environnementale avec les qualités urbaines, ce qui est particulièrement novateur. Le deuxième élément assez « révolutionnaire » de cette méthode de travail est de partir de l’infiniment petit – la rue – au lieu de l’infiniment grand – politiques gouvernementales, collectivités territoriales, etc. Même si la portée de ce projet est bien le territoire national à termes, le levier d’action retenu est le plus petit dénominateur commun de ce qu’est un tissu urbain : la rue. Ainsi, on pense que toute la méthodologie de travail qui va découler de ce choix initial sera complètement différente de ce qui se passe à travers les différentes prises d’initiatives des collectivités territoriales et des grands plans territoriaux. 

La raison d’être de la Rue Commune est de fabriquer la ville post-covid, post-voiture et post-carbone.

Etienne BOURDAIS : Ce qui est assez étonnant, c’est que nous avons imaginé ce projet en partant d’une page blanche en 2020, avant le début de la crise sanitaire et avant l’appel à communs de l’ADEME. Nous avons bâti notre sujet en constatant une évolution rapide de certains phénomènes et de certaines thématiques.  

Malgré ce concours de circonstances, nous sommes convenus sur l’outil et le processus nécessaires pour faire la rue autrement. Il s’agit d’une mise en cohérence de nos réflexions. Ainsi, lorsque nous avons eu l’opportunité de confronter notre projet avec l’appel à communs de l’ADEME, nous cherchions juste un canal, un accélérateur, un appel à projet, un mécène ou un sponsor, pour le développer. 

Même si cet appel à projets ne faisait pas tout, notamment parce qu’il ne va pas jusqu’à l’expérimentation, il va néanmoins créer la rampe de lancement de la meilleure des manières en impliquant tous les acteurs. D’où la nécessité d’avoir cette série spéciale sur Construction21 qui donne la parole à de nombreux acteurs aux profils très divers. 

 

En quoi cet appel à communs diffère-t-il d’un appel à projets plus classique ? 

Lise MESQUIDA : L’une des spécificités de cet appel à communs repose sur une démarche de travail singulière qui aboutira à un livrable : le guide de la Rue Commune. Plus précisément, la démarche de travail choisie au sein du groupement doit être conduite en association avec une communauté. En effet, l’ambition est d’associer un maximum de territoires et de professionnels de l’aménagement autour d’une réflexion sur la Rue commune. De telle sorte qu’on arrive in fine, à co-élaborer avec les acteurs de la communauté une méthode de compréhension, de diagnostic et de réalisation de cette Rue Commune qui soit la plus partagée possible, et qui réponde au mieux aux enjeux et problématiques posés par les territoires et leurs acteurs. 

Etienne BOURDAIS : Il y a une notion d’exploration dans le développement de communs et dans la prise en considération des ressentis et des contributions des membres de la communauté. Ce projet repose donc sur une temporalité différente de celle avec laquelle nous avons l’habitude de composer. Normalement, quand on livre un projet, on le fait un peu à huis clos et on le découvre dans son entièreté à la fin. Là c’est différent. On doit montrer de la transparence dans nos réflexions, recueillir des informations auprès de l’ensemble des acteurs de la communauté, les intégrer et accepter que ce travail sur la Rue Commune ne se termine pas à la fin de notre contrat avec l’ADEME.

 

Quels sont les grands enjeux de la Rue Commune selon vous ? 

Lise MESQUIDA : La Rue Commune présente 3 grands enjeux. Le premier consiste à opérer une transition vers les mobilités décarbonées, c’est-à-dire prioritairement les piétons et les vélos. 

Le second vise à transformer le sol – sa matérialité d’abord, si possible, dans une logique d’économie circulaire, durable et de réemploi des matériaux existants, notamment pour favoriser l’infiltration des eaux pluviales et accroître la végétalisation. Et pour cause, l’un des objectifs est de rafraîchir en été les métropoles face aux ilots de chaleur urbains. Par exemple, la couleur des revêtements des sols représente un des outils que nous avons à notre disposition pour parvenir à rafraîchir les rues métropolitaines ordinaires. 

Le troisième enjeu repose sur les usages du sol. Grâce au développement des mobilités douces et actives et à la transformation du sol de la rue, il devient possible d’opérer un ralentissement de la vitesse, autorisant l’émergence de nouveaux usages sur l’espace de la rue. C’est ainsi que la Rue Commune est par essence polyvalente. Elle offre aux habitants et aux actifs des métropoles non seulement un lieu sûr où circuler, mais aussi une « destination » du quotidien, tournée vers la rencontre, la nature, la culture aussi… L’idée étant de faire des rues de véritables lieux de sociabilité.


En quoi partir de la rue permettra de mieux répondre à ces enjeux ? 

Loïc CHESNE : Partir de la rue est intéressant compte tenu des 3 principaux objectifs cités précédemment, et donc de la transversalité de notre projet. Si on veut se donner les moyens de faire évoluer les mobilités, il nous faut sélectionner un point précis et regarder son évolution. Par exemple, quand on cherche à agir sur les mobilités urbaines, il faut avoir à l’esprit qu’on ne peut pas supprimer les flux routiers, mais seulement les déplacer ou limiter. Pour réduire les flux routiers, ce n’est pas en agissant sur la ville, mais en faisant évoluer les mentalités et habitudes des habitants, des locaux. En leur « apprenant » à vivre différemment, à condition que la ville le leur permette. 

Faire évoluer les mobilités au sein d’une ville requiert également de pouvoir faire évoluer l’emprise de la voirie sur le territoire urbain. La faisabilité de la transformation de la voirie doit ainsi être une analyse qui se fait en amont du projet, en prenant la rue comme un objet qui s’insère dans un environnement, et non pas le contraire. On considère donc d’abord la rue, puis on évalue les modifications à apporter sur l’environnement impliquant la modification de la rue. Enfin on peut travailler à une échelle qui nous permet d’impacter les mobilités en ayant une lecture sur ce que cela implique. C’est une première dimension très changeante.  

La seconde dimension est que ce processus partant de la rue permet d’identifier des acteurs particuliers que sont les usagers de la rue et les propriétaires de logements, bureaux ou commerces à l’intérieur de la rue qui, généralement, ne sont pas impliqués dans la transformation de l’espace urbain. Les pouvoirs publics français évoluent aujourd'hui dans leurs façons de procéder et font, par exemple, de plus en plus appel à la population dans l’intérêt des communs. Pour nous, la Rue Commune va donc tout à fait dans ce sens, dans l’organisation complémentaire entre l’action collective et l’action particulière.

Lise MESQUIDA : J’ajouterai une précision à votre question : c’est pourquoi la rue métropolitaine ordinaire. Notre réflexion porte autour de cette dernière. Autrement dit, on s’intéresse moins / pas aux axes structurants des métropoles sur lesquels on considère que doivent perdurer une mobilité massifiée, voire motorisée, pendant quelques temps. Le projet de la Rue Commune prend donc en compte les axes secondaires métropolitains

Le projet de la Rue Commune prend donc en compte les axes secondaires métropolitains.

Par exemple, sur la ville de Paris, ces rues métropolitaines ordinaires représentent 70% des linéaires de voirie et du nombre de voies. Cela ne veut pas dire qu’on pourra faire des rues communes sur 70% des rues parisiennes. Il faut qu’un certain nombre de conditions soient réunies pour pouvoir faire une rue commune. Mais la cible est bien là, c’est le cœur du dispositif urbain.

 

Comment comptez-vous intégrer les disparités territoriales, économiques et culturelles dans votre guide ? 

Loïc CHESNE : Notre guide est méthodologique. La méthode comprend un premier étage de diagnostics qui permettra effectivement d’adapter le projet au contexte dans lequel il est développé. A Marseille, on explorera les solutions pour des rues fraiches. A Dunkerque, on aura plutôt tendance à faire des rues qui vont éponger les eaux pluviales. Nous confirmons que la méthodologie employée à vocation à aboutir à de la pertinence, quel que soit le territoire au sein duquel le projet se développe.

 

Concrètement, comment va se dérouler le projet, notamment avec l’ADEME ?  

Etienne BOURDAIS : Concrètement, nous sommes actuellement dans le premier temps du projet : nous bâtissons la communauté. Le deuxième temps reposera sur les échanges entre le groupement et la communauté. La consultation pour le développement de ce commun sera lancée au printemps 2022.

Nous sommes actuellement dans le premier temps du projet : nous bâtissons la communauté.

Par ailleurs, un programme d’évènements permettra d’associer cette communauté au mieux par rapport aux thématiques de travail du groupement. À la suite de ces évènements, nous intègrerons les apports de la communauté dans le travail fait autour du guide méthodologique. Et lors du troisième temps, le groupement rendra compte à la communauté en divulguant les bases d’un livrable et en publiant le guide méthodologique, au mois de septembre 2022.

 

Quels sont les acteurs que vous avez ciblés pour bâtir votre communauté ? 

Etienne BOURDAIS : Grace aux immersions terrain (interviews et micro-trottoirs) réalisés par les étudiants de la Junior Consulting de Science Po Paris et de Central Audencia Nantes, nous avons identifié 4 catégories d’acteurs :

  • Des associations, idéalement de quartiers, pour répondre à l’échelle de travail telle qu’évoquée précédemment
  • Le monde de la recherche et du financement de l’innovation
  • Des exploitants mainteneurs, les gestionnaires de l’infrastructure publique
  • Des urbanistes

Loïc CHESNE : Si notre ambition est d’augmenter la qualité d’usage des espaces qui sont offerts aux citadins, un des objectifs majeurs est évidemment de faire en sorte que la transformation de la rue ne complique pas outre mesure les missions de services publics, parmi lesquels l’entretien de la voirie, la circulation des engins de voirie notamment pour la gestion des déchets, les missions de sécurité, etc. Ainsi, dans la main gauche, nous essayons d’améliorer le cadre de vie de l’individu,  dans la main droite, on tente de ne pas oublier que cet espace urbain nécessite d’être entretenu. Une bonne solution ne peut pas être une solution instable qui nécessite que la collectivité intervienne tous les jours pour la remettre en situation. 

Un des leviers majeurs est de définir l’usage des sols pour anticiper les futurs besoins : entretien de la voirie, des espaces verts, mise en place d’un dispositif de gestion des eaux pluviales qui ne colmate pas et dont les performances sont pérennes dans le temps, etc. Tous ces éléments constitueront la phase dite d’exploitation.

Prochain rendez-vous : Mobilité & Ecologie Urbaine - le 21 avril prochain de 9H à 10H30

 

Le projet de la Rue Commune est-il totalement nouveau ? 

Etienne BOURDAIS : Je ne pense pas qu’il y ait face à nous un modèle existant intégralement similaire. Chaque pays, chaque territoire a des problématiques spécifiques, des façons de faire différentes, etc. souvent impossible à transposer d’un lieu à l’autre. 

Cependant, il existe bien évidemment des initiatives et expérimentations inspirantes à travers le monde, par exemple les Superblocks à Barcelone en Espagne. Ce qui est certain, c’est qu’on n’est pas en train d’imaginer quelque chose tout seul dans notre coin. On prend le temps d’analyser des expérimentations qu’on voit ailleurs. On arrive à recueillir des points positifs à développer et identifier les éléments, qui, peut-être, ne sont pas des pistes à suivre.

Lise MESQUIDA : Concernant notre projet de La Rue Commune, ce qui a plu et ce qui a fait l’unanimité au sein des services de l’ADEME, c’est la transversalité de notre approche. Il y a en effet beaucoup d’initiatives semblables réalisées par des personnes extrêmement compétentes aux 4 coins du monde, que ce soit sur l’usage des sols, la végétalisation, etc. Cependant, le principal apport de notre démarche est la mise en synergie de toutes les dimensions environnementales, de qualité et de confort urbain, des dimensions bioclimatiques et d’usages de la rue, etc. C’est grâce à cette approche qu’on va apporter véritablement quelque chose de nouveau.

Laura-Elena ZULUAGA : Comme le disait Etienne, il existe déjà des projets à l’international, notamment aux Etats-Unis, à Bruxelles, à Montréal, etc., qui ont cette approche transversale. Nous vivons dans un moment conjoncturel d’urbanisme au niveau mondial puisque les grandes métropoles questionnent leur manière de faire la ville, à travers les mêmes sujets : les mobilités, les usages et l’environnement. La rue est de fait, l’espace public au cœur des réflexions. En revanche, je pense que c’est assez récent de porter autant d’attention à ce sujet en France. La démarche d’appel à communs est alors une opportunité qui tombe à point nommé pour travailler en association avec différents acteurs tout en apprenant de ce qui a déjà été fait.

Par ailleurs, il existe déjà à travers le monde des synonymes de la rue commune : la rue complète, la rue conviviale, la rue transitoire, etc. D’autres réflexions sont déjà à l’œuvre. L’enjeu est de savoir ce qu’on en fait. L’apport de la démarche est d’arriver à produire un guide exploitable par les territoires pour faire la rue.  

 

Propos reccueillis par Alexandre Job, Construction21 - La rédaction


Retrouvez la série spéciale Rue Commune sur Construction21

www.ruecommune.com

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Richez Associés : Crée en 1985, Richez_Associés rassemble aujourd’hui plus de 100 collaborateurs, animés par une approche transversale de leurs métiers : l’architecture, l’urbanisme et le paysage. C’est à travers une démarche sensible, concrète, esthétique et éthique, engagée dans la transition environnementale des territoires, que l’agence est devenue un acteur majeur de la conception de lieux de mobilité combinant priorité aux modes actifs, qualité urbaine et d’usage, et performance écologique.

Franck Boutté Consultants : Franck Boutté Consultants est une agence œuvrant dans les domaines de la conception et de l’ingénierie environnementale et du développement durable 


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