Réemploi: regarder la matière autrement

Rédigé par

Sylvain Bosquet

Responsable Web editorial

11058 Dernière modification le 30/10/2014 - 13:16
Réemploi: regarder la matière autrement

Jusqu’au 4 janvier 2015, le Pavillon de l’Arsenal accueille l’exposition « Matière Grise » (voir notre article) qui met en avant l’architecture du réemploi et le rôle grandissant de cette pratique dans le contexte de la transition énergétique et environnementale. Entretien avec Julien Choppin, architecte et commissaire de l’exposition.

Qu’est-ce qui vous a amené à monter « Matière Grise » ?

Julien Choppin: C’est une première pour mon associé Nicola Delon et moi. Nous avons pris conscience du caractère aberrant de notre système actuel et, dans le cadre de notre agence Encore Heureux, nous avons tenté d’appliquer le réemploi dans nos chantiers. Nous avons pu identifier les obstacles et les problèmes inhérents à cette pratique. Notre première idée a été de monter une plateforme de récupération qui faciliterait l’accès aux matériaux de seconde main aux architectes et aux constructeurs. Mais créer une start-up dédiée nous a paru impossible à gérer de front avec notre agence. Ce n’était pas notre métier. Finalement nous avons décidé de pousser la prise de conscience sur la question du réemploi dans le bâtiment au travers d’une exposition. Nous avons présenté notre projet au Pavillon de l’Arsenal à l’automne 2013 et dès janvier 2014 nous avions lancé le travail de recherche. En choisissant de médiatiser le réemploi, nous avons trouvé la posture qui nous semblait la plus juste aujourd'hui pour légitimer ces pratiques et démontrer les potentialités créatives pour les architectes.

L’exposition présente 75 réalisations qui ont adopté le réemploi, où êtes-vous allés les chercher ?

J.C.: Cela n’a pas été une tâche facile. Les architectes qui font du réemploi ne le mettent pas systématiquement en avant, à part dans les pays les plus avancés comme la Belgique ou les Pays Bas. A notre grand étonnement, les Etats Unis ont également beaucoup de bâtiments intégrant le réemploi de matériaux. La carte indicative montre la dissémination du réemploi dans le monde, toutefois, elle est incomplète. L’Afrique et l’Amérique du Sud, où le réemploi est une pratique courante, sont sous-représentées faute de projets références.

Quelle est la différence entre réemploi, réutilisation et recyclage ?

J.C.: C’est une confusion classique dans le bâtiment. Les mots se mélangent dans la bouche des différents acteurs, même pour nous qui avons monté l’exposition. Aujourd’hui, le réemploi n’a pas de définition juridique, il nous a semblé important de faire la distinction.

  • La réutilisation conserve la fonction: une porte est réutilisée si elle demeure une porte dans sa seconde vie
  • Le réemploi conserve la forme: une porte est réemployée lorsqu’elle est utilisée indépendamment de sa fonction première. Elle devient une paroi, une cloison, etc…
  • Le recyclage ne conserve que la matière: la porte sera broyée pour créer un panneau de de particules.

Actuellement, le recyclage est porté au pinacle comme la solution miracle. Dans les faits, le recyclage est souvent un décyclage. Beaucoup de matériaux ont un nombre de recyclages limité, c’est le cas du papier, au contraire de nombreux métaux qui peuvent être recyclés indéfiniment.


nouveau siège du Conseil de l’Union européenne à Bruxelles - crédit Photo http://www.toutvert.fr/Comment le réemploi s’intègre-t-il dans la problématique de la performance énergétique ?

J.C.: Nous ne sommes pas des « intégristes » du réemploi. Au travers de l’exposition qui montre que le réemploi s’étend à tous les lots du bâtiment, nous voulons mettre en avant l’hybridation intelligente des matériaux dans la perspective de la raréfaction des ressources. Le nouveau siège du Conseil de l’Europe utilise par exemple des fenêtres simples vitrages récupérées à travers toute l’Union Européenne pour créer un espace tampon. Les Bâtisseurs d’Emmaüs, qui ont collaboré à l’exposition, travaillent actuellement avec le CSTB sur la réutilisation des isolants déposés après les déconstructions, les démolitions et les rénovations. Ces matériaux constituent un véritable gisement si on fait attention à la qualité de la ressource.

A terme, l’idéal serait d’allier réemploi, matériaux biosourcés et dans une proportion minimale les matériaux issus des ressources fossiles, lorsque c’est inévitable.

En parcourant « Matière Grise », on se rend compte que ces réalisations ont nécessité un accès facilité aux matériaux de réemploi. Quels sont les moyens à la disposition des maîtres d’œuvre aujourd’hui ?

J.C.: En France, il n’existe  pas de véritable filière avec des centres de matériaux de seconde main, facilement accessibles . La plupart des projets présentés dans l’exposition ont bénéficié d’un chantier proche ou ont réutilisé les matériaux du bâtiment d’origine, ce sont les cas de figure les plus simple quand on fait du réemploi. En Belgique, le site Opalis répertorie les endroits où trouver des matériaux de réemploi. Aujourd’hui, l’intégration du réemploi dans un chantier dépend essentiellement de la volonté de l’architecte, ou parfois de maîtres d'ouvrages ou d'entreprises très engagés. Mais des infrastructures vont se développer, notamment grâce à l’émergence des circuits courts.

Le réemploi a donc le vent en poupe ?

J.C.: On a fait du réemploi de tout temps. En archéologie, la notion de « réemploi » fait référence à des attitudes aux intentions diverses, pillage parfois, notamment lorsqu’on parle de bâtiments religieux, mais aussi devoir de mémoire, appropriation ou simple opportunité. Cependant, si le réemploi a toujours existé, l’accès aux ressources n’était pas aussi facile que lors de la parenthèse historique dont nous vivons les dernières années. A la fin du XIXème siècle, le bas coût de l’énergie a donné un accès presque sans limite à toutes sortes de ressources. On a oublié le réemploi et mis en valeur le « neuf ». Mais les ressources ne sont pas inépuisables et leur exploitation a un coût pour notre environnement. Par conséquent, cette parenthèse est sur le point de se clore. Le réemploi, rationnel, intelligent va redevenir pratique courante. C’est l’hypothèse de notre exposition: il faut regarder la matière autrement pour dépasser cette phase.

Musée d'histoire de la Chine à Ningbo par Wang Shu - Crédit Photo http://projets-architecte-urbanisme.fr/Le réemploi fait-il baisser le coût de la construction ?

J.C.: C’est difficile de dégager un modèle économique basé sur le réemploi. Ça se passe au cas par cas. Dans le cas du Musée Ningbo en Chine, conçu par Wang Shu, la construction a clairement coûté moins cher. . Mais De fait, l’absence de système d’approvisionnement demande beaucoup d’énergie au concepteur. Ce n’est ni moins cher, ni plus cher, c’est une autre manière d’appréhender un projet qui demande plus d’étude, plus de maîtrise d’œuvre, plus d’intelligence de ceux qui conçoivent et qui construisent.

Quels sont vos projets désormais ?

J.C.: Suite à l’exposition, la Ville de Paris nous a contactés pour l’aménagement d’un salon de l’Hôtel de Ville en utilisant le réemploi. Travailler à cette exposition nous a encore plus motivés, pour expérimenter réellement des projets basés sur le réemploi.

L'exposition "Matière grise" se tient au Pavillon de l'Arsenal jusqu'au 4 janvier 2015.

Infos pratiques: http://www.pavillon-arsenal.com/

Nicola Delon et Julien Choppin - Encore Heureux Architectes et Collectif

Nouveau siège du Conseil de l'Europe à Bruxelles par l’architecte et ingénieur belge Philippe Samyn

Le Musée de l'histoire de Chine à Ningbo, par Wang Shu, lauréat du Prix Pritzker 2012

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