Le Lean Construction: apprendre de l’exemple japonais

Rédigé par

olivier de robert

4615 Dernière modification le 27/04/2016 - 17:25
Le Lean Construction: apprendre de l’exemple japonais

A l’automne 2016, Dialog Consult organise un voyage d’étude à Tokyo pour observer les pratiques japonaises du Lean Construction. Patrick Dupin, expert français de cette démarche, accompagnera les participants au voyage.

Qu’est-ce que le Lean et quelles sont ses origines ?

Patrick Dupin : Pour comprendre le LEAN Management, il faut faire un retour en arrière sur l’évolution des pratiques industrielles. De 1920 à 2015, aux Etats Unis, l’industrie a subi plusieurs mutations, du montage à la chaîne introduit par Ford à l’arrivée des outils informatiques. Cette évolution s’est faite pour répondre à la variabilité de la demande américaine. Parallèlement, de 1940 à aujourd’hui, le Japon, qui ne possède pas une demande aussi importante mais tout aussi variable, a travaillé sur des méthodes plus basées sur l’humain. L’un des exemples les plus célèbres au Japon reste Toyota.

Le Lean Management, c’est un travail sur le facteur humain accompagné de quelques outils informatiques. C’est une philosophie visant à la création de valeur pour le client par l’élimination des gaspillages, soutenue par des outils collaboratifs de gestion de projets, s’inscrivant dans le cadre d’une démarche systématique et rigoureuse d’amélioration continue.

Vous évoquez l’industrie automobile comme exemple, qu’en est-il de la construction ?

P.D. : Il est frappant de voir que la construction, qui est aussi une industrie, n’a pas su suivre cette évolution. A partir de 1920, on commence à utiliser le diagramme de Gantt et les premières notions de chemin critique apparaissent. Dans les années 1990, on parle de chaîne critique dans la construction, mais rien d’aussi développé que dans l’industrie manufacturière.

Il y a donc un véritable rattrapage à faire dans le secteur. D’autant plus que la demande est extrêmement variable dans la construction. On ne répond jamais deux jours de suite à la même demande sur un chantier. Pour imager mon propos, aujourd’hui, l’ouvrier sur le chantier est tout aussi valorisé que dans « Les temps Modernes » de Charlie Chaplin. Avec le Lean, il devient un maillon capable d’améliorer l’ensemble de la chaîne. Alors, on cessera de traiter chaque chantier comme un prototype et on le verra pour ce qu’il est vraiment : un site de production.

Concrètement, qu’est-ce que cela implique pour les acteurs de la construction ?

P.D. : D’abord, on importe la méthode japonaise des 5S[i], des notions de microéconomie et des outils de planification. En mettant tout cela en œuvre, on peut faire remonter l’information du chantier. Le Lean permet de rappeler à tous, qu’à la fin des fins, c’est le dernier maillon de la chaîne qui sait s’il peut réaliser une tâche dans les temps ou non. Riche de cette information, le gestionnaire pourra optimiser son planning.

Avec le Lean, il ne faut pas vouloir aller plus vite, il faut viser un flux de production plus stable et plus efficace, dont découle une réalisation plus rapide.

Quels sont les acteurs de la construction qui sont vraiment concernés par le Lean ?

P.D. : Tous les acteurs sont concernés. Jusqu’à présent nous avons accompagné beaucoup de Maîtres d’Ouvrage. Mais aujourd’hui, nous travaillons aussi auprès des acteurs de terrain pour les sensibiliser et les aider. Artisans, architectes, entreprises, grands groupes, maîtres d’ouvrage… Tous sont concernés. Le Lean n’est pas destiné à être élitiste. Il rassemble autour d’un dénominateur commun : la volonté de faire que demain soit différent d’aujourd’hui et de répondre à la mutation du marché.

Quels sont les freins au Lean Construction en France ?

D.P. : Le premier frein a été l’absence de littérature dédiée au sujet en français. En 2014, j’ai publié un ouvrage sur le Lean Construction « Le Lean appliqué à la construction : Comment optimiser la gestion de projet et réduire coûts et délais dans le bâtiment ». On peut citer d’autres obstacles comme la frilosité face à la nouveauté et surtout face à une possible remise en question des process. Le Lean suppose une démarche d’humilité que tous les professionnels ne sont pas toujours prêts à adopter.

Mais on voit déjà le Lean faire son chemin. L’ensemble des grands groupes comme Vinci, Bouygues et Léon grosse ont inscrit le Lean dans leur feuille de route 2016. Et je le vous moi-même avec mes clients. 80% d’entre eux sont des entreprises de 20 à 400 salariés. Ce sont ces entreprises-là qui voient les gains les plus importants, notamment parce que leurs schémas de communication sont nettement plus courts. Ils ont d’ailleurs déjà pris de l’avance sur les grands groupes.

Comment le Lean peut-il contribuer à la transition énergétique du bâtiment ?

D.P. : Avec le Lean, la construction revient environ 15% moins cher. Ce qui est déjà en soi un bel avantage compétitif. Si on l’applique aux impératifs de la construction durable et de la performance énergétique, l’intégration se fait très bien. Le Lean convient parfaitement au bâtiment passif voir au BEPOS qui nécessitent des compétences avancées. Avec le Lean, une entreprise peut opérer un repositionnement opérationnel pour proposer du passif au prix d’un bâtiment classique.

Quant à la rénovation, il s’agit avant tout d’un défi logistique plus que technique. Le Lean est une démarche qui fonctionne sur des flux tirés, c’est une succession de phases. Il prend donc tout son sens dans la rénovation.

Au Japon, quels types d’exemples allez-vous présenter ?

P.D. : Bien entendu nous irons à la rencontre des entreprises de construction japonaises les plus prospères grâce à leur pratique du Lean. Mais il ne faut pas rester enfermé dans le seul secteur de la construction. Le voyage prévoit également des visites de sites industriels automobiles Toyota et des rencontres avec les corps techniques de chez Mitsubishi.

Quelles leçons pourront en tirer les participants au voyage ?

P.D. : A la fin de chaque journée, je propose un débriefing pour faire le lien entre les pratiques japonaises et leurs applications possibles en France. Il s’agit aussi de confronter ces professionnels à une culture de la construction très différente, de les faire réfléchir en comparaison avec leurs propres méthodes. Cela ne peut être qu'une source d’inspiration.



[i] En français on parle de la démarche ORDRE pour Ordonner, Ranger, Dépoussiérer/Découvrir les anomalies, Rendre évident, Etre rigoureux) 
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