La biodiversité végétale dans la ville ! Une richesse encore méconnue

Rédigé par

Mohamed ANNASE

Webdesigner

4667 Dernière modification le 24/03/2016 - 18:03
La biodiversité végétale dans la ville ! Une richesse encore méconnue

On assiste à un intérêt croissant des collectivités locales face à la question de la biodiversité. Lumière de la Ville vous propose d’éclairer la notion de biodiversité urbaine. Pour cela, nous avons contacté Nathalie Machon, professeur d’écologie au Muséum national d’Histoire naturelle et responsable du projet « Sauvages de ma rue » lancé par la mairie de Paris, le Muséum et le partenaire associatif « Tela botanica ».

Les espèces sauvages présentes en ville sont pour la plupart rustiques et très communes. Elles supportent les conditions particulières de la ville, telles que la douceur des températures, un air pollué, un sol sec, tassé, voire « minéral », ainsi que le manque d’espace. Les plantes de centre-ville ont une grande autonomie de reproduction et parviennent à compenser le manque d’insectes pollinisateurs. On compte environ 1 millier d’espèces « sauvages » végétales dans Paris intramuros.

Les conditions de vie que la ville propose peuvent même être un plus pour l’implantation de certaines espèces. « Les orties par exemple, sont ravies d’envahir les lieux pollués en nitrates par les gaz des pots d’échappement ou les déjections canines ». Qui plus est, la ville possède des « poches » préservées, qui peuvent jouer le rôle de réserves. Les décombres et les friches, si peu estimés aux yeux du public, sont pourtant parfois beaucoup plus riches en espèces végétales et animales que les parcs ou les pelouses. Les friches ferroviaires par exemple, recèlent parfois des espèces remarquables, dont les graines ont été emportées au fil des voyages des trains. Ces espaces jouent souvent le rôle de porte d’entrée de la nature en ville.

Plus souvent charriées par les vents, les roues, les semelles des chaussures, les graines arrivent à trouver un terreau fertile malgré les sols imperméables que la ville leur propose. Nombre d’entre elles parviennent à se développer dans des interstices, des failles de murs ou de chaussées… Ces « accidents » dans les parois hermétiques sont propices à l’installation de bien des vies. Trois familles types de plantes végétales se sont très bien adaptées au milieu urbain:

  • les plantes dites « invasives » c’est-à-dire qu'elles viennent de loin et ont tendance à proliférer lorsqu’elles trouvent un milieu à leur goût;
  • les espèces cosmopolites, souvent considérées comme « mauvaises herbes » qui sont très peu regardantes sur le milieu qui les accueille;
  • et les plantes de milieux rocheux, qui trouvent dans la ville des conditions équivalentes à leur milieu naturel.

Celles-ci, sans compter toutes les espèces horticoles ou maraîchères plantées et entretenues par les services des espaces verts des mairies ou les jardiniers amateurs.

Le terme de « plantes invasives » (ou plantes exotiques envahissantes) définit des espèces introduites volontairement ou non, dont la prolifération, dans un espace naturel dont elles ne sont pas originaires, engendre des perturbations de la diversité biologique locale. C’est le cas de la renouée du Japon ou du buddleia par exemple. Ces plantes ont un pouvoir compétitif très grand et sont capables de se développer dans des environnements peu accueillants. Elles font partie de celles qui sont le plus à même de pousser entre deux plaques de bitume. Leur prolifération rapide les amène ensuite à coloniser n’importe quelle friche ou « espace vert ».

Oui, vous avez bien lu les termes « coloniser » et « envahir ». En un mot, ces espèces étrangères prendraient la place de nos espèces locales, risquant d’entraîner leur disparition de certains milieux. Elles font l’objet d’une « blacklist » dans les politiques de verdissement des villes. Mais la controverse fait rage. Jacques Tassin, chercheur au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), a récemment publié un ouvrage intitulé « La grande invasion ». « Il ne faut pas confondre nuisance et changement. Les plantes invasives peuvent certes modifier la physionomie d’espaces naturels, mais elles n’ont jamais entraîné d’extinction avérée (…) Toute population qui s’établit dans un environnement interagit aussitôt avec les autres. C’est un jeu de perpétuels ajustements où tout ce qui est bon à prendre est rapidement pris, mais où l’on donne aussi beaucoup. Dans la banlieue de Davis, en Californie, on ne lutte plus contre l’expansion du fenouil parce qu’on a découvert que c’était une ressource essentielle pour le monarque, papillon emblématique » confie t-il dans un article du M blogs.

Mais attention à ne pas confondre « invasives » et « mauvaises herbes ». La majorité de ces dernières sont des espèces rudérales, spécialistes des terrains bouleversés et régulièrement ouverts. La ville est rapidement devenue leur terrain de prédilection en leur offrant ses zones de chantier, ses terrains régulièrement retournés et ses friches abandonnées. Principales « bêtes noires » des jardiniers municipaux, elles ont tendance à entraver le développement des plantes cultivées. Mais encore une fois, cette flore adventice, compagne des cultures, sait aussi rendre des services. « Elle peut fournir un abri et le nectar nécessaire aux insectes pollinisateurs qui, à leur tour, permettront aux plantes cultivées de donner des fruits comestibles, par exemple ». D’autres de ces herbes portent bien mal leur nom puisqu’elles jouent parfois le rôle d’engrais naturel ou de bio-indicateur de l’état des sols.

En ce qui concerne les plantes de milieux rocheux, elles sont capables de se développer sur un substrat très pauvre et de proliférer sur les chaussées, les murs, les toits, les parapets… bref, les moindres surfaces minérales dont la ville recèle.

Malgré tout, selon Nathalie Machon, il est important de favoriser l’implantation végétale en ville. « Tout ce qui apporte des surfaces utilisables par la biodiversité est une bonne chose, pourvu que la gestion soit raisonnable en terme de coût et qu’elle n’implique pas en contrepartie d’utiliser des produits phytosanitaires. Végétaliser les murs et les toitures n’est pas une lubie, c’est une des solutions à prendre en compte pour faire face aux changements climatiques ». Beaucoup de villes dans le monde ont déjà pris ce genre d’initiatives comme Lausanne ou Berlin. « A Paris, nous sommes très en retard, mais il est intéressant de remarquer que des campagnes comme « du vert près de chez moi » ou « du vert à tous les étages » impliquent les habitants dans les décisions qui concernent leur quartier ». D’autres initiatives sont entreprises comme à Lille par exemple, où un projet de mise en place d’une trame verte et noire est en phase d’élaboration. Ces dernières constitueraient des corridors permettant le déplacement de petits mammifères le jour et d’adapter l’éclairage public à la présence d’animaux nocturnes (papillons ou chauves-souris par exemple).

Notre culture basée sur l’illusion d’une Nature sous contrôle où l’homme maîtrise les éléments a souvent fait fi de la présence d’animaux en ville et a rapidement classé la plupart des « herbe-folles » du côté des « nuisibles », ou au mieux, des « vulgaires ». Mais les mentalités sont en train de changer. La biodiversité en ville, relativement pauvre par rapport à celle des milieux naturels, peut être considérée comme riche par rapport à des milieux de culture intensive. Ce patrimoine reste cependant à valoriser et à enrichir.

 

source : Lumières de la ville

Paru dans CDM Chantiers du Maroc - n° 135 – Janvier 2016

Article publié sur archimedia.ma

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