BIM = Bouleversement Interprofessionnel Majeur

Rédigé par

francois PELEGRIN

10543 Dernière modification le 10/12/2014 - 17:04
BIM = Bouleversement Interprofessionnel Majeur

La crise que nous traversons n'est pas une crise mais une nécessaire mutation. Dans un monde trop longtemps dominé par l'économie, il est urgent de réintroduire d’ autres valeurs : sociales, environnementales et culturelles en remettant l’homme au coeur du dispositif [1].  C’est cela le “développement durable”.

Même si le Grenelle de l’environnement a réveillé les consciences et commence à produire ses effets, une évidence subsiste : le fonctionnement actuel de la filière construction et cadre de vie ne conduit pas facilement à la qualité attendue; preuves en sont le coût annuel de l’assurance construction, le coût de la non qualité [2] sans parler du coût du mal vivre [3].

Il faut donc promouvoir des approches globales, multicritères (et certainement pas seulement thermique comme c’est trop souvent le cas aujourd’hui), apprendre à raisonner en “économie globale” [4] pour réparer et construire un cadre de vie de qualité durable.

Qu’il s’agisse d’aménagement, de construction neuve ou de requalification architecturale et technique de quartiers et de bâtiments devenus inadaptés aux besoins, il nous faut, d’urgence, renvoyer en formation tous les professionnels de l’acte de construire, oser la rupture avec des pratiques obsolètes, et certainement saisir l’opportunité de nouveaux outils tels que le BIM pour nous faire sortir de l’âge de pierre.

Le consommateur, qui n’a aucune raison de faire ‐à priori‐ confiance veut être rassuré [5], le banquier comme l’assureur ne financent que ce qui est certifié et le maître d’ouvrage n’entreprend que si c’est financé et assuré.

Ainsi, dotées de compétences actualisées et de nouveaux outils, les professions du cadre de vie seront mieux armées pour faire ce que l’on attend d’elle, à savoir :

  • GARANTIR LES PERFORMANCES du projet à chaque étape d’élaboration du projet , voir garantir les résultats dans la mesure ou le comportement de l’usager est clairement établi.
  • ASSURER LA TRAÇABILTÉ DE LA PRESCRIPTION : le matériau posé doit être le matériau prescrit.
  • ATTESTER DU RESPECT DE NORMES , RÉGLEMENTATIONS, CERTIFICATIONS, LABELLISATIONS , QUALIFICATIONS , en attendant de réussir à alléger l’arsenal normatif et réglementaire [6] ). 

Osons la rupture

Pour cela , il leur faut oser de vraies ruptures, et notamment comportementales :

  • travailler en mode ingénierie concourante et non plus en ingénierie séquentielle; cette plurisciplinarité au service du projet doit conduire à de plus larges investigations sur les système constructifs et sur les choix des matériaux;
  • le sujet est ancien [7] mais il est vrai que les outils adaptés manquaient à l’époque; 
  • développer des systèmes d'auto contrôle et des superviseurs de contraintes permettant aux acteurs majeurs (maîtrise d’ouvrage, maîtrise d’oeuvre, entreprises) de justifier du respect des exigences et du même coup endiguer le flot et le coût des auditeurs, vérificateurs, experts en tout genre qui se multiplient à chaque nouvelle réglementation ou certification.

Un outil révolutionnaire peut accompagner cette MUTATION en plaçant les acteurs en situation de démarche qualité partagée.

Le nom de code de cet outil qui marquera cette décennie est le BIM : (Building Information Model) autrement appelée MAQUETTE NUMERIQUE. Pour ma part, je préfère l'appeler BIM comme BOULEVERSEMENT INTERPROFESSIONNEL MAJEUR. C’est en effet ce qui va se passer ; il va révolutionner nos pratiques et le mode d’élaboration des projets [8], l’INGENIERIE CONCOURANTE qui induit une démarche qualité partagée :

Concevoir en mode "ingénierie concourante" autour d’outils 3D collaboratifs au format BIM. Nos outils de conception [9] et de réalisation ont bien 25 ans de retard par rapport à ceux utilisés dans les autres filières : aérospatiale, automobile, électro‐ménager…

Rénover le processus de PROGRAMMATION‐CONCEPTION‐RÉALISATION‐EXPLOITATION, grâce à la gestion cohérentes en 3D des informations du projet, à leur  partage et à leur enrichissement progressif dans la maquette numérique, qui seule permet une représentation fidèle du projet et des évaluations justes.

La création de la MAQUETTE NUMERIQUE revient naturellement à l‘architecte ; c ‘est lui qui crée et agence les espaces, les volumes, et définit les matières qui les séparent . C’est lui qui s’assure que les formes spatiales ainsi créées conjuguent harmonieusement les différentes contraintes à satisfaire : intégration au site, conception bioclimatique, respect du programme et des différents règlements tels que PLU et apporte ce supplément d’âme qui donne du sens au projet et produit de l’architecture et pas simplement de la construction.

Une fois les formes urbaines et les espaces validés, la maquette numérique sera progressivement enrichie des apports des partenaires de la maîtrise d’œuvre, laquelle économisera un temps précieux car elle n aura plus à décoder et ressaisir les informations du projet architectural[10] ; en contrepartie de ce temps gagné, elle pourra multiplier les itérations , les simulations , les calculs nécessaires à l’optimisation du projet : thermique, structure, économie, coût global, bilan énergie grise…

La saisie soignée du projet en 3D au format BIM par l’architecte (il faudra lui en donner les moyens) permet aux autres acteurs l’exploitation directe des données dans leur(s) logiciel(s) de calcul. 

Ainsi ils s’évitent non seulement 70% (environ) de temps de décodage d’informations et de ressaisie dans leur logiciel‐métier mais aussi de dangereux risques d’erreur [11]. Le BIM est un format 3D intelligent . Au delà de la révolution induite par l’ingénierie concourante dans tout le process : programmation‐conceptionréalisation‐maintenance ; il en est une autre révolution qui s’annonce : le SUPERVISEUR DE CONTRAINTES

En effet, le concepteur pourra décider « d’embarquer dans la maquette numérique » un certain nombre d’exigences à satisfaire qu’elles soient issues du programme, du PLU, de réglementations ou d’exigences propres au concepteur, ce qui fera du BIM :

  • un outil pédagogique car le concepteur pourra visualiser sur sa demande les règles à respecter 
  • un outil d’auto‐contrôle automatique signalant sur demande ou automatiquement les transgressions des régles édictées : par exemple non respect d ‘un prospect, d’un C+D, d’une surface de baie, mais encore d’une isolation de paroi, etc…
  • une mémoire vive du projet bien utile surtout quand le projet s’interrompt puis redémarre quelques mois ou années plus tard avec de nouveaux collaborateurs qui n’ont pas en tête toutes les contraintes à satisfaire.
  • Les référentiels, à terme, seront supportés par la maquette numérique [12] et permettront au fil de réaliser les auto contrôles et in fine d’éditer un rapport « officiel » sur le respect ou non respect des éléments du référentiel (c’est exactement ce qui se passe aujourd’hui avec la RT 2012) [13].  

A chaque phase d’élaboration du projet, la maquette numérique jouera donc le rôle de SUPERVISEUR DECONTRAINTES et permettra d‘alléger la mission et le coût des vérificateurs externes. Ainsi, il sera possible à chaque étape de GARANTIR que les PERFORMANCES demandées sont bien atteintes.

A QUI PROFITE LE BIM ?  

A tous les acteurs et « in fine » au « maître d’usage exploitant » puisqu’il héritera d’une super base de données en 3D, utile pendant toute la durée de vie du bâtiment jusqu’à son éventuelle destruction. Cette maquette numérique a donc une valeur certaine. Le BIM implique une vision « gagnant‐gagnant ». On le voit, bien tous les acteurs sont impactés et chacun pourra en tirer profit en s’évitant des saisies multiples, sources d’erreur et de perte de temps. Il est autant destiné aux constructions neuves qu’à la réhabilitation [14].

PROGRAMMATION :

On peut faire de la programmation spatiale, associer aux espaces les caractéristiques attendues. Ainsi les concepteurs pourront automatiquement afficher les exigences des différents éléments du programme CONCERTATION‐ COMMUNICATION. Support de dialogue et de concertation avec les élus, la maîtrise d’ouvrage et les autres partenaires. A tous les stades du projet, le format BIM permet de visualiser le bâtiment sous tous ses angles et de s’y promener en temps réel, de rentrer à l’intérieur des volumes. 

CONCEPTION

Dés l’esquisse , vérifier automatiquement le respect des règles du PLU et le respect de contraintes que le concepteur s’est lui même donné ; insertion dans l’environnement, prise en compte des masques lointains Dés l ‘avant projet appréhender et ausculter le projet : performance bioclimatique, comparaison de modes constructifs, coût global sur l’enveloppe, empreinte environnementale.

A toutes les étapes du projet , vérifier le respect des exigences programmatiques ou réglementaires, partager les informations avec les partenaires de la maitrise d’œuvre au profit de l’optimisation du projet. Indépendamment des gains de temps pour tous (sauf pour l’architecte qui devra faire une saisie très soignée), le travail en mode collaboratif est porteur de qualité et de gain de temps. Accès aux banques de données des industriels dès lors qu’ils sont au format IFC : il est de l’intérêt de ces derniers, s’ils veulent être prescrits, de « ne pas louper le coche ».

CONSULTATION DES ENTREPRISES

Outil à la disposition des entreprises pour :

  • chiffrer les travaux en évitant de longs et fastidieux métrés;
  • préparer du chantier;
  • simuler l’avancement du chantier, la pose des échafaudages, le calepinage, par exemple;
  • etc... 

GESTION DE CHANTIER

  • Simuler l’avancement.
  • Aide à la mise en œuvre.
  • Respect de la prescription.

RECEPTION

  • Respect des conformités.

GESTION MAINTENANCE EXPLOITATION

Restitution au maître d’ouvrage d’une banque de données en 3D à jour pour exploitation et la maintenance du bâtiment: une sorte de « carnet de santé du bâtiment » perpétuellement réactualisé. Belles économies en perspective en évitant les coûts de relevés et ressaisies d’un bâtiment à réhabiliter lorsque l’on ne dispose que de « plans papiers ». non mis à jour.

LES CHANTIERS A ENGAGER TOUT DE SUITE

LA QUESTION DE LA FORMATION

La formation à la saisie en 3D et notamment auprès des architectes, car c’est naturellement à eux que revient la réalisation de cette maquette numérique même si on peut imaginer qu’elle peut « changer » de main puisque « in fine » elle reviendra au maître d’usage exploitant la formation des autres acteurs pour se former à leurs logiciels de métier mis à jour au format BIM/IFC.

LA QUESTION DE LA REMUNERATION ET DE LA REPARTITION DES HONORAIRES PAR PHASE

  • Définir la juste rémunération pour la réalisation de la maquette numérique, revoir la répartition des honoraires par phase : il faut beaucoup plus de moyens plus tôt car la saisie démarre à l’esquisse et dés l’APS elle doit être méticuleuse. 
  • Apprécier la valeur marchande de cette base de données EXPLOITATION MAINTENANCE dont le grand bénéficiaire est le maitre d’usage exploitant.
  • Repenser la juste répartition des honoraires au sein de la maîtrise d’œuvre ; l’économie de temps pour ceux qui exploiteront directement les données de la maquette numérique étant de l’ordre de 70% ; se pose alors la question de l’usage de cette économie ; le but n’est pas de demander 70% de rabais à nos partenaires mais de travailler autrement pour, après avoir investi dans la saisie soignée du projet, collaborer plus en amont, et faire plus de simulations.
  • Le recours au BIM va coûter plus cher au début (coût des logiciels , des formations, du rodage…) mais il génèrera globalement de l’économie une fois la pratique devenue courante. [15]
  • Les maîtres d’ouvrage publics (état, collectivités territoriales, bailleurs sociaux , etc…) devraient (comme certains pays l’on déjà fait) imposer ou au moins fortement inciter le recours au BIM dans les marchés publics.

LA REMISE EN QUESTION DE L’ENSEMBLE DU SYSTEME : REGLEMENTATION, NORMALISATION, CERTIFICATION, LABELLISATION  à voir avec tous les acteurs, l’Etat et les organismes certificateurs.

En remettant au centre du jeu les acteurs reconnus compétents, dotés d’outils validés, il y a matière à revoir tout cet arsenal en vue de son allègement. 

C’est une impérieuse nécessité ; si rien n'est fait, nous ne pourrons plus construire tant nous serons englués dans des dispositifs ne permettant plus de satisfaire des exigences trop nombreuses et parfois contradictoires. 

LA QUESTION DE NOUVELLES FORMES DE CONSULTATION ?

Le BIM permettrait de nouvelles formes de consultation, sujet à voir avec les tous les intéressés.

LA QUESTION DE LA MODERNISATION DE LA PRESCRIPTION

La traçabilité de la prescription [16] (sujet à voir avec les industriels).

En bref : la maquette numérique doit permettre le recentrage souhaitable sur les acteurs majeurs, d'encourager les démarches qualité partagée et les auto-contrôles en vue d'alléger, voire supprimer dans certains cas, le coût des contrôles externes tout en diminuant ceux de non qualité. 

De tels outils impactent directement tous les comportements et vont faire sensiblement « bouger les lignes ». Nous sommes bien à l’aube d’une nouvelle ère pour les acteurs de la construction et du cadre de vie.

C’est pourquoi je confirme que la meilleure définition du BIM (Building Information Model traduit en français comme maquette numérique) est : BOULEVERSEMENT INTERPROFESSIONNEL MAJEUR… 

Et j’ajoute en direction des architectes :

  …avec comme initiateur et chef d’orchestre tout désigné : l’ ARCHITECTE, à condition qu’il comprenne les enjeux [17]  et entreprenne tout de suite les efforts de formation nécessaires pour passer de la saisie 2D au vrai 3D format BIM

BIM ou « has been », il est temps de  choisir…

 

François PELEGRIN
Architecte dplg, Urbaniste dup–, 
Membre du bureau du comité stratégique du PLAN BATIMENT DURABLE, 
Administrateur d’AMO (architecture et maîtrise d’ouvrage)
Président du COS CONSTRUCTION ET URBANISME à l AFNOR, , 
Président d’honneur  de l’UNSFA (Union Nationale des Syndicats Français d’Architectes)
Président d’honneur d’ARCHINOV, du CNC (conseil national de la construction) et du CIAF (conseil international des architectes français)

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[1] Ce message porté depuis longtemps par l UNSFA semble avoir été entendu ; la preuve :la prochaine réglementation 2020 ne sera pas une réglementation thermique mais une réglementation « Bâtiment responsable » donc multi-critères.

[2] les experts considèrent que le coût de non qualité d’un secteur d’activité est de 10 à 15% de son chiffre d’affaire ; le secteur.

« construction et cadre de vie » représente 160 milliards d’euros par an soit 24 milliards d’euros en retenant le taux de 15%.

[3] lire à ce sujet l’ouvrage « édifiant » de la MIQCP sur le coût global.

[4] c’est à dire en « coût global » mais autant le dire en terme positif ; encore faut il placer les acteurs en position de “bien faire “du premier coup; Ce qui pose  de lourdes questions sur les compétences, missions, rémunérations, responsabilités et indépendance des acteurs.

[5] la société n’a plus confiance : le monde de la médecine a failli avec le sang contaminé, l’agriculture avec la « vache folle, le bâtiment avec l’amiante.

[6] Sous ma présidence le comité d’orientation stratégique COS CONSTRUCTION  et URBANISME à l’AFNOR, a lancé il y a 3 ans le chantier « verdissement des normes » et il y a un an déjà la réflexion « TROP DE NORMES ».

[7] voir l'article de F Pélegrin : cahiers du Moniteur 1985.  

[8] mais ce n'est qu’un outil ; sans le talent et de la compétence des acteurs, il ne fera pas de miracle.

[9] et pour cause : dans les années 80 un standard (dxf) s’est rapidement imposé comme mode d’échange entre logiciels graphiques mais limités à des échanges vectoriels en 2D, incapables d’ajouter une couche sémantique, il a certes contribuer à l’informatisation rapide du secteur mais a malheureusement habitué la majorité de ses acteurs au travail en 2D ; souhaitons que la même énergie sera investie pour promouvoir désormais le format 3D BIM avec les IFC (attention, avant d’acheter un logiciel 3D,bien vérifier la compatibilité avec le format IFC).

[10] si leurs logiciels de métier sont bien au format IFC.

[11] l’enjeu n’est pas de réduire les honoraires de nos partenaires de 70% mais bien de travailler différemment.

[12] B Ferries et F Pélegrin étudient actuellement les  contraintes d’un référentiel qui pourraient être supportées par le BIM de façon à alléger le coût des audits au profit de la rémunération des concepteurs.

[13] c’est déjà le cas avec certain logiciel RT 2O12 ; exemple concret : depuis ma saisie 3D sous ARCHICAD au format BIM, je teste sous ARCHIWIZARD en temps réel les performances énergétiques et le confort visuel de mon projet, en attendant de pouvoir établir prochainement le calcul du coût global et le bilan énergie grise de l ‘enveloppe du bâtiment

[14] la recherche action SOLOMA (mandataire ARCHITECTURE PELEGRIN) , soutenue par le PUCA illustre parfaitement l’application du BIM (ARCHICAD/ARCHIWIZARD) appliquée à des opérations de réhabilitation.

[15] il serait judicieux de confier à la MIQCP une étude sur la juste rémunération des projets  réalisés en BIM : les surcoûts du départ et les économies à l’arrivée ; la répartition des honoraires par phase et les surcoûts de saisie…

[16] telle que proposée par ARCHINOV en 1996.

[17] hélas, j’en attends déjà certains dire que le BIM serait une atteinte à leur créativité et une entrave supplémentaire ; à ceux là –qui n’ont visiblement encore rien compris‐ je dis : « rassurez vous, c’est bien vous qui concevez mais vous devrez désormais saisir votre conception en 3D, faute de quoi d’autres le feront à votre place et c’est là que vous prendrez un gros risque. 

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